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Le conflit ukrainien et la relance de la guerre froide. Problèmes et perspectives.

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par Fiston KABUE YANGOYI
Université de Lubumbashi - Licence 2014
  

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§3. Problème de la Crimée et Dobbas

Dans ce paragraphe nous l'avons préféré scinder en deux point dont l'un s'intéresse de la Crimée et l'autre point s'intéressera sur Dobbas.

1 Galtsyan, G., « Le renouveau de l'Église orthodoxe russe après la chute de l'URSS ». In Guilly-Sulikashvili, L'énigme russe, pouvoir, économie et société, Septentrion, 2012 p. 69-100.

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A. La Crimée

La Russie a annexé la Crimée avec une remarquable facilité, pratiquement sans qu'un coup de feu soit tiré, à la faveur d'une opération qui n'aura duré que quelques jours. Elle a profité de la situation de rupture du pouvoir politique à Kiev, du fait qu'elle a pu sur place augmenter rapidement sa présence militaire grâce à sa base navale de Sébastopol et à la proximité géographique, s'appuyer sur des personnalités pro-russes et des hommes-liges comme Sergueï Aksionov, nommé fin février Premier ministre de Crimée par la Rada locale occupée, et agir avec l'assentiment d'une partie de la population. Que la Crimée soit tombée1 aussi aisément dans le giron russe et qu'elle soit une terre qui a longtemps été russe (mais aussi tatare) ne change rien au fait qu'il s'agit d'une agression contre un Etat souverain dont la Russie a violé la souveraineté et l'intégrité territoriale et que celle-ci a agi en violation des accords qu'elle avait signés avec l'Ukraine en 1994 et en 1997. Depuis 1991, c'est la deuxième fois, après la Géorgie en 2008, qu'elle a recours à la force dans l'espace postsoviétique, la première qu'elle annexe un territoire : l'Abkhazie et l'Ossétie du sud ne sont que des Etats-croupions totalement dépendants de Moscou, mais formellement elles n'ont pas été annexées.

Cette annexion s'inscrit-elle dans une stratégie cohérente ? Estelle une démonstration de puissance de la Russie après le nouveau revers que représentent, neuf ans après la révolution orange, Maïdan, l'échec et la fuite de Viktor Ianoukovitch et l'arrivée au pouvoir à Kiev d'une nouvelle équipe ? Relève-t-elle d'un opportunisme destiné à la fois à « punir » l'Ukraine et les Etats occidentaux et à récupérer une terre considérée comme historiquement russe ? Est-elle une étape dans la déstabilisation de l'Ukraine ? Une étape dans une politique de reconquête dans l'espace postsoviétique qui permettrait à la Russie de corriger la perte de puissance qui a suivi l'effondrement et l'éclatement de l'URSS ? La politique russe apparaît aujourd'hui trop irrationnelle pour qu'il soit possible d'en identifier

1 Levesque J., op.cit., p. 36-40.

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les objectifs. Rien ne prouve qu'elle ait été planifiée depuis longtemps et qu'elle soit pensée sur le long terme, en bref qu'elle corresponde à une stratégie. Quoi qu'il en soit, ce conflit, qui est à la fois post-impérial et russo-occidental, est d'une extrême gravité : il s'agit du plus grave dans cette partie du monde depuis la fin de la guerre froide et l'effondrement de l'URSS1.

La rhétorique poutinienne confirme la nécessité de le prendre très au sérieux. Le discours le 18 mars devant le parlement russe est particulièrement préoccupant. Il révèle un fort désir de revanche après des années de frustrations accumulées, générées depuis 1991 par de sérieuses déceptions, réelles ou supposées : à maintes reprises, la Russie n'a pas été en mesure de peser sur les politiques ukrainiennes d'une part, occidentales d'autre part (Kosovo, élargissement à l'est de l'Alliance Atlantique, Irak, bouclier anti-missile, Libye, etc). La remise en question de l'héritage soviétique (la décision khrouchtchévienne de 1954 a été « prise en violation des normes constitutionnelles alors en vigueur ») justifiant l'annexion de la Crimée, celle de l'héritage de 1991 (« les promesses » contenues dans la Communauté des Etats indépendants sont « toutes restées vides ») suggèrent un révisionnisme qui pourrait viser d'autres éléments de cet héritage. Préoccupant aussi parce que le président continue à fonder son analyse sur des contre-vérités (les menaces auxquelles étaient et sont confrontés en Ukraine les Russes et les russophones, le « coup d'Etat » opéré à Kiev par « les nationalistes, les néo-nazis, les russophobes et les antisémites », etc) qui bloquent toute possibilité d'évolution allant dans le sens d'une sortie de crise. Lourde également de menace pour l'avenir, la rhétorique de Vladimir Poutine sur le monde russe a une nouvelle dimension qui contient en germe contentieux et conflits.

Le maître du Kremlin réaffirme le droit et le devoir de l'Etat russe à l'égard des populations russes et russophones de l'étranger : étant

1 Marchand, P., Atlas géopolitique de la Russie, Paris, éd. Autrement, 2012. p.14

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donné les menaces auxquelles était confrontée « la Crimée russophone » et « l'appel à l'aide » que les habitants de la péninsule lui avaient lancé, « la Russie ne pouvait pas l'abandonner dans le malheur, cela aurait été une trahison » l'argument, on s'en souvient, avait déjà été avancé pour justifier son action militaire en Géorgie en 2008. Le 18 mars, le président russe va plus loin en affirmant la légitimité de « l'aspiration du monde russe, de la Russie historique, à restaurer son unité », aspiration qu'il compare à celle des Allemands lors de la réunification de l'Allemagne. « La nation russe, ajoute-t-il, est devenue en 1991 l'un des plus grands groupes ethniques, sinon le plus grand dans le monde à être divisé par des frontières ». Il y a là un nouvel argument susceptible d'être invoqué dans maintes autres situations. Rappelons que les minorités russes sont encore numériquement très fortes dans les régions orientales de l'Ukraine, dans celles du nord du Kazakhstan limitrophes de la Fédération de Russie, en Biélorussie, en Estonie, en Lettonie, etc.

La crise actuelle est susceptible, on le voit, d'avoir de multiples et profondes répercussions :

En Ukraine si la Russie poursuit l'action de déstabilisation et de démantèlement de cet Etat qu'elle a entreprise

Sur les relations entre la Russie et l'Ukraine : la première a peut-être gagné la Crimée, mais, du fait du traumatisme provoqué par ce coup de force, elle risque d'avoir perdu l'Ukraine en la repoussant vers l'Europe, ce qui bouleverse les équilibres au centre du vieux continent et ceux entre l'UE et la Russie

sur les rapports entre la Russie et ses autres partenaires de l'espace postsoviétique qui ne se sont pas précipités pour soutenir la démarche russe, ainsi que sur le projet d'Union eurasienne, imaginé par V. Poutine pour concurrencer les accords d'association proposés par l'UE, un projet qui paraît aujourd'hui sérieusement ébranlé sur les rapports entre le pouvoir et les sociétés des Etats de la région qui ont mis en place un régime

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de type autoritaire (notamment ceux d'Asie centrale, l'Azerbaïdjan, la Biélorussie)

sur les relations entre la Russie, les Etats européens et les Etats Unis : le partenariat UE-Russie et la politique américaine de reset , qui n'ont pas permis de prévenir cette crise, sont en échec; la politique européenne de voisinage est à redéfinir sur le fonctionnement du système international (rôle du Conseil de sécurité, impact sur les Etats désireux de se doter de l'arme nucléaire, etc.) en Russie : conséquences économiques, nationalisme, rapports gouvernants-gouvernés

Dans ce contexte, les réactions des Etats européens et des Etats-Unis sont d'une particulière importance. Vladimir Poutine se base-t-il sur la guerre en Géorgie qui a permis en 2008 à la Russie d'atteindre plusieurs des objectifs qu'elle poursuivait (la question de l'élargissement de l'Alliance atlantique à la Géorgie et à l'Ukraine n'a notamment plus été à l'ordre du jour après ce conflit) sans que ses relations avec les Occidentaux en soient affectées ? Sur la décision à l'automne 2013 de Barack Obama de renoncer au recours à la force en Syrie ? Sur la perception dominante depuis plusieurs années à Moscou d'une UE très affaiblie et en perte de vitesse à la fois sur le plan économique et politique ? Quels que soient les éléments de son analyse, le président russe semble aujourd'hui convaincu que les rapports de force sont favorables à son pays et que le coup de force opéré n'aura que des conséquences limitées. Une absence ou une quasi-absence de réactions serait donc interprétée au Kremlin comme une marque de faiblesse et un feu vert donné à d'autres initiatives, aujourd'hui ou demain, en Ukraine ou ailleurs, notamment dans l'espace postsoviétique.

La riposte européenne et américaine peut et doit être multidimensionnelle. Les sanctions prises seront-elles dissuasives ? Celles déjà prises par Washington, notamment dans le domaine financier, semblent pouvoir être significatives. L'économiste Sergueï Guriev a rappelé cette semaine que l'économie russe était vulnérable et que l'impact de sanctions sur la capacité de la Russie à attirer des investissements étrangers risquait

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de lui coûter fort cher à un moment où la croissance s'est fortement tassée et où le pays est en mal de modernisation. Notons que les Russes, qui semblent largement soutenir la politique actuelle de Vladimir Poutine, en particulier le rattachement de la Crimée à la Russie, sont aussi une majorité (56 %) à s'inquiéter de la détérioration des relations avec l'Occident et (53 %) de possibles sanctions politiques et économiques de l'Occident (enquête Levada 7-10 mars)1.

La riposte ne se limite pas à des sanctions. Elle consiste aussi à soutenir l'Ukraine sur la voie des réformes. Faire reculer la Russie en Crimée risque d'être un objectif de long terme. L'objectif prioritaire et immédiat doit être d'aider l'Ukraine, notamment techniquement, à préparer les élections du 25 mai prochain, étape essentielle dans le processus de transition dans lequel elle est engagée, et à avancer sur la voie des changements. Une Ukraine qui se stabilise, se démocratise et se réforme avec le soutien de l'Europe, une Ukraine qui serait un modèle pour d'autres Etats de l'espace postsoviétique, constituerait une formidable réponse au coup de force de Vladimir Poutine.

La riposte doit aussi être une politique européenne ambitieuse et généreuse qui soit à la hauteur de la situation et des attentes des Ukrainiens. Au-delà de la signature du volet politique de l'accord d'association, une décision comme la suppression des visas serait perçue, sans nul doute, comme un geste fort à leur égard. L'UE doit enfin s'engager, rapidement et plus fortement qu'elle ne l'a fait jusqu'ici, auprès des Etats qui ont souhaité se tourner vers elle : la Moldavie et la Géorgie, déjà soumises à de fortes pressions de la part de la Russie.

Rouvrir le dossier de l'Alliance Atlantique apparaît par contre inutilement risqué. C'est un dossier qui n'a jusqu'ici jamais fait l'unanimité au sein de la société ukrainienne et qui est donc de nature à la diviser, ce qui serait contreproductif dans le contexte actuel. Par ailleurs, ce serait

1 Maurice, V., Les Relations Internationales depuis 1945, Paris, 13e édition Armand Colin, 2013, p. 320

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répondre à l'agression par la provocation : agiter un « chiffon rouge » devant les yeux des élites dirigeantes russes exacerberait encore les tensions sans que cela corresponde, on vient de le dire, à une forte demande ukrainienne1.

Lorsque le pouvoir politique sera stabilisé, les Ukrainiens souhaiteront-ils réfléchir à une modification de leur système politique allant dans le sens de la fédéralisation ? Souhaiteront-ils conserver le statut « hors blocs » inscrit depuis 2010 dans la législation ukrainienne ? Les laisser seuls décider de leur sort est probablement le meilleur service que le monde extérieur peut leur rendre.

Une action en direction de la société russe est par ailleurs rendue nécessaire par la campagne de désinformation de grande ampleur menée par les dirigeants russes. La propagande russe a des effets significatifs : elle nourrit notamment un nationalisme qui a une forte dimension anti-occidentale. La contrer pourrait se faire via les médias internationaux reçus sur le territoire russe, l'internet et les réseaux sociaux, mais aussi par un développement des liens entre les sociétés, notamment au niveau des jeunes.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984