II - DEUXIEME ETAPE : INTERPRETATION DES DONNEES
1er item : une des conditions de
réussite du tutorat réside dans le choix du tuteur. Il doit
être expérimenté, reconnu, et avoir des qualités
personnelles?
Il ressort de tous les entretiens des tuteurs que le choix a
été fait en fonction de leur ancienneté, leur
expérience dans le travail et leur connaissance de la structure. Sur les
5 tuteurs, tous ont globalement dit "cela fait longtemps que je travaille
dans la Maison".
Nous pouvons dire qu'il s'agit d'une reconnaissance de
l'Organisation, l'un des tuteurs ajoute que "c'est une question de
confiance de la hiérarchie"
Au sujet des qualités personnelles, les 5 tuteurs ont
répondu en premier lieu, "la patience" ;
4 ont évoqué les aptitudes pour la communication
"écoute, échange, avenant, mettre à l'aise,
répéter, expliquer". Une personne trouve qu'elle n'a pas
assez d'assurance ni les mots. Une autre pense être trop rude dans ses
paroles.
L'avis des tutorés sur ces questions ont
été recueillis au détour de la conversation. Selon 3
personnes, il apparaît que le tuteur est un guide "guidée,
aiguillée", il est motivé "il s'implique", il a des
qualités relationnelles "pose des questions, confident, relation
humaine". Les 2 autres déplorent le manque de présence du
tuteur, autre condition nécessaire au moment du choix.
Cette première condition de réussite du tutorat
est partiellement remplie.
2ème item : le tuteur est une
personne motivée (volontariat et intérêt personnel) qui
maîtrise la communication, la pédagogie et qui a des
capacités personnelles.
Nous observons que sur les 5 tuteurs qui disent être
volontaires, pour 2 d'entre eux, le volontariat semble véritable, la
mission est réalisée avec plaisir. Au regard de
l'hésitation des 3 autres personnes, nous nous posons la question d'un
"volontariat forcé" accomplit par devoir pour l'organisation, qui leur
apporte peu personnellement.
Cette deuxième condition n'est pas complètement
remplie. Malheureusement, il n'y a pas assez de candidats aujourd'hui qui ont
assez d'ancienneté et d'expérience, le choix est donc
limité.
3ème item : le tuteur a la
connaissance de l'histoire, des valeurs, du métier et les
transmet
Les tuteurs n'ont aucune hésitation pour parler de
l'histoire de la Maison. Les propos qui reviennent le plus souvent font
référence aux fondateurs, la généreuse bienfaitrice
et les religieuses. Le terme "soeurs" a été usité 2 fois
par les tuteurs, pour les 3 autres, cela est sous entendu car elles
travaillaient dans l'Etablissement à l'époque où la
Directrice était une soeur "l'histoire, je la connais". Les
tutorés ont dit 3 fois le mot "soeurs", aucune n'a
mentionné ne pas connaître l'histoire.
Nous en concluons que les tuteurs connaissent l'histoire et
peuvent la transmettre par le biais du tutorat.
Les valeurs sont abordées sans difficulté. En
effet, les tuteurs sont tous à même de les décrire.
L'expression "valeurs humaniste" est cité 2 fois chez les
tuteurs et les tutorés ; "respect de la personne" 2 fois
également. 2 personnes ne les nomment pas, l'une certainement par manque
de vocabulaire, l'autre parce que cela va de soi qu'elle les connaît,
cela transparaît dans son discours.
Il faut remarquer que 2 tutorés (cadres) ont
déclaré spontanément que les valeurs étaient en
cohérence avec la pratique.
En ce qui concerne le métier, aucune personne n'a
répondu dans le cadre de cette question. Nous considérons que le
terme n'était pas assez clair ou qu'il n'était pas opportun de la
poser la question à ce moment.
Un rite a marqué plusieurs tutorés, il s'agit de
l'interdiction de porter des blouses. Ce n'est pas étonnant car ces
personnes ont eu une expérience antérieure hospitalière.
On peut parler d'accommodation car elles ont mis un certain temps pour
l'accepter et changer leurs représentations.
4ème item : tous les acteurs de
l'entreprise sont partie-prenante du tutorat
Les tuteurs, à l'unanimité se sentent soutenus
dans cette fonction "ce n'est jamais individuel". Il apparaît
clairement qu'il s'agit d'un travail d'équipe. Les 5 ont cité
leurs collègues de travail comme premier soutien, 2 personnes ajoutent
l'infirmière référente et pour l'évaluation, un
tuteur se sent aidé par son Responsable. La Direction et la psychologue
apparaissent une fois.
Le point de vue des tutorés met aussi en
évidence que "tout le monde" participe au tutorat.
L'encadrement n'est pas présent au quotidien, mais intervient à
certains moments de la méthode organisée ou en cas de besoin de
l'un des acteurs "tu peux demander à telle ou telle
personne".
Ces déclarations impliquent que le tutorat revêt
certains caractères du projet d'entreprise tel que le soutien de
l'encadrement. Le poids de cette fonction supplémentaire est
amenuisé par le relais des collègues et le travail
d'équipe et permet d'assurer la continuité.
5ème item : la formation des
tuteurs et la "Boîte à outils du tutorat" composée de tous
les documents écrits d'information sur l'entreprise, charte, projet
d'Etablissement, livret d'accueil, facilitent la transmission des savoirs
organisationnels.
La formation au tutorat a apporté deux choses
importantes qui émergent dans les témoignages des tuteurs :
1°) un cadre rassurant pour professionnaliser la fonction. Ce travail ne
peut pas se faire "au feeling". 2°) un outil "le guide du tutorat" qui
semble en adéquation avec le besoin. En effet, plus il y a de supports
écrits, plus la tâche est facilitée. L'assimilation des
connaissances peut être étalée dans le temps.
Selon les réponses des tutorés, 4 personnes sur
5 ont été destinataires du dossier. Mis à part une
personne, tous ont lu le projet d'Etablissement, "petit à petit" ou "en
travers".
Nous pouvons dire que cette formation est une réussite
et concours à l'amélioration de la transmission des savoirs
organisationnels.
6ème item : la transmission des
connaissances explicites et tacites nécessite
- une relation personnelle et
privilégiée et des contacts permanents,
- d'une méthode organisée de
socialisation : accueillir, informer, former, expliquer, montrer, accompagner,
écouter, évaluer.
Les tuteurs affirment que le contact permanent existe, qu'il
est indispensable mais qu'il ne dure que quelques jours. Une majorité de
témoignages le situe dans une fourchette de 1 à 3 jours. Dans
cette courte période, beaucoup de choses vont se dérouler. La
phase d'accueil est la plus importante semble-il, c'est aussi la plus
délicate autant pour le tuteur que pour le tutoré. Une somme
d'informations et de connaissances sont à transmettre, explicites et
tacites "je montre bien comment je procède". Les verbes
montrer, expliquer, observer, répéter, parler discuter, souvent
utilisés, expriment la façon dont les tuteurs procèdent
pour transmettre leurs savoirs. L'écoute et l'ouverture à de
nouvelles idées font également partie de la méthode, mais
un seul tuteur en a fait état.
Lorsque les tuteurs parlent des relations avec le
tutoré, ils les décrivent comme étant plutôt une
relation d'égal à égal, ni amicale, ni distante, du moins
les premiers temps "au début, on se vouvoie et après on va se
tutoyer". L'aspect d'une relation privilégiée a
été évoqué "cela crée des liens
particuliers, je ne suis pas n'importe quel employé, je suis le tuteur".
Si les personnes se sentent à l'aise, elles auront plus de
facilités pour communiquer.
Si on compare avec le discours des tutorés, on
s'aperçoit que la période de contact permanent va d'une
journée jusqu'à une semaine. Les liens privilégiés
sont matérialisés par des rencontres quotidiennes pour discuter
qui peuvent se prolonger dans le temps jusqu'à un mois.
Dans ces moments, le tutoré peut apprendre, assimiler
car il a l'exemple sous les yeux "je l'ai vu faire, ce qui m'a aidé
à mieux comprendre". Il peut aussi avoir un droit à l'erreur
si une relation de confiance s'est instaurée "si j'ai fait une
faute, je sais qu'on ne va pas me le reprocher" "on crée plus une
affinité avec le contact".
Tous les tutorés ont déclaré avoir
bénéficié d'une écoute et ont pu apporter des
idées ou de nouvelles compétences au tuteur et à
l'Organisation.
7ème item : pour apprendre le
tutoré doit être motivé et engagé dans la
démarche collective
Il doit avoir des valeurs personnelles proches de
celles de l'entreprise
En préambule, il faut rappeler que les tutorés
interrogés sont des personnes qui ont été
confirmées par l'Organisation et sont supposées avoir
adhéré à la culture. Il n'est donc pas étonnant
qu'elles déclarent s'être engagées à fond, avoir
fait des efforts.
L'avis des tuteurs par contre est plus pertinent car il
concerne tous les cas de figure, des réussites aux échecs. Tous
ont pointé que le profil, la personnalité ou l'attitude du
nouveau interfère dans le processus d'apprentissage. Le manque
d'expérience peut être compensé par la motivation "il y
en a qui font des efforts, d'autres pas, cela ne se fait pas tout seul".
L'une avance que l'âge ne joue pas un rôle déterminant, mais
plutôt le vécu professionnel. Les traits de caractère comme
"l'impatience, l'exaspération" peuvent freiner l'apprentissage.
Pour certains tuteurs, c'est incompatible avec ce métier, pour d'autres,
cela augmente simplement la difficulté du tutorat. Un tuteur affirme que
le tutoré doit faire ce travail "avec plaisir".
Ces observations nous permettent de démontrer que,
premièrement, la motivation et l'engagement du nouveau sont
nécessaires pour apprendre, s'intégrer et adhérer à
la culture. Deuxièmement, le tutorat permet de repérer assez
rapidement si la personne a ces qualités, de tenter de les corriger ou
d'en faire retour à l'Organisation.
La majorité des tuteurs pensent que la proximité
des valeurs de la personne avec celles de l'Etablissement est un facteur de
succès pour l'adaptation et l'intégration, "celles qu'on n'a
pas gardé n'avaient pas les mêmes valeurs".
L'une soutient que "la façon d'être"
empêcherait plus souvent une intégration dans l'équipe,
alors que "la façon de faire" est plus facilement adaptable. Cette
réflexion nous renvoie au concept d'apprentissage en simple et double
boucle. En effet, nous constatons qu'il est plus difficile pour l'individu de
modifier les valeurs directrices qui guident son action que d'apprendre
à reproduire les routines.
Une autre remarque, en général les personnes qui
arrivent ont "déjà une petite vocation". Nous
interprétons cela comme une appréciation positive du filtre au
niveau du recrutement.
Notre première question posée aux tutorés
avait pour but de connaître la branche d'activité de leur
expérience antérieure pour vérifier si cela constitue un
frein à l'acquisition de la culture.
Quatre personnes sur cinq viennent du secteur médical
ou médico-social. Pour ces dernières, les valeurs humanistes
sont supputées être acquises. Ce n'est toutefois pas suffisant car
malgré ce, les 4 ont évoqué l'obligation de s'adapter aux
spécificités d'une Maison de retraite et à la culture de
l'Etablissement "j'ai dû faire des efforts", "en tant que
médecin, on est formaté". Même dans ce cas, ce n'est
donc pas gagné d'avance.
Le cas de la personne qui avait une expérience
professionnelle dans le secteur industriel et commercial soulève
également notre intérêt car elle s'est
intégrée parce que ses propres valeurs étaient en
cohérence avec celles pratiquées dans l'Etablissement "cela
correspondait à ce que j'étais".
Nous pouvons en conclure que l'expérience
antérieure de la personne embauchée n'est pas déterminante
pour son intégration et l'adhésion aux valeurs de l'entreprise.
En revanche, il est indispensable que ses valeurs intrinsèques soient
proches. Cet élément est difficilement décelable lors de
l'entretien d'embauche. Il est même parfois inconscient chez le
tutoré. Mais, le témoignage des tuteurs prouve que le tutorat
permet de le révéler assez tôt. Si les valeurs sont
radicalement différentes, soit c'est le tutoré qui s'en
aperçoit et quitte l'Etablissement, soit c'est le tuteur qui fera une
évaluation négative.
8ème item : la transmission des
compétences s'appuie sur
- un référentiel de
compétences, - de diverses situations de travail, proches les unes des
autres
- d'un collectif de travail.
Il ressort des entretiens que malgré la présence
de fiches de poste et de procédures sur lesquelles le travail est
prescrit, d'un référentiel de compétences qui fait
référence aux écarts entre travail prescrit et
réel, il existe les "routines". Il s'agit des habitudes, des
façons de procéder de la même manière, sans
référence à une règle écrite "il y a
des routines comme faire une toilette, mettre le couvert...". Ces
routines sont faciles à reproduire en regardant faire le tuteur
"le plus facile à transmettre c'est tout ce qui est
technique car la personne doit faire pareil, c'est une routine". Elles
sont toujours liées à une situation particulière de
travail et les professionnels expérimentés de la Maison de
retraite les réalisent spontanément, inconsciemment " elle
ne m'a pas expliqué pourquoi, pour elle c'est naturel".
L'existence de ces routines constitue tout le savoir-faire que
l'entreprise a accumulé en réajustant face aux problèmes
rencontrés et qu'elle souhaite pérenniser. Comment le nouveau
pourrait-il les connaître sans que quelqu'un lui montre ou explique ? Par
l'exemplarité et la reproduction des situations de travail, le tutorat
facilite la transmission de ces routines.
Offrir aux résidents le meilleur service est un travail
collectif. Comme le soutient M.C. Combes (cf. concept transfert), chaque
individu contribue au travail des autres. Des interviewés nous en
donnent leur vision et son intérêt "l'intérêt du
travail d'équipe c'est que le travail soit mieux fait et mieux
suivi... c'est travailler avec des gens différents qui ont des fonctions
différentes".
Nous avons tenté de savoir au cours de nos entretiens,
dans quelle mesure les compétences organisationnelles pouvaient se
transmettre et s'apprendre.
Sur les cinq tuteurs, 4 nous ont parlé du travail
collectif. Pour 2 tuteurs, le travail d'équipe fait partie des valeurs
fondamentales du métier qu'il faut transmettre en priorité "
c'est le travail d'équipe qu'on met en avant : pour s'occuper d'une
personne il y a toute une équipe, il va falloir travailler avec toutes
ces personnes". Sans cette compétence, la personne sera
rejetée " quand il s'agit de faire partie d'une équipe, il
faut plaire à une majorité, c'est extrêmement important
pour rester".
Pour un tuteur, l'apprentissage de ce savoir-faire
reste une difficulté "pour le travail d'équipe, cela
dépend des personnes, c'est plus délicat". Cet avis n'est
pas toujours partagé "cela on le transmet, et cela s'acquiert aussi,
ce n'est pas compliqué".
Le discours des tutorés sur cette question est un peu
différent. Pour eux, dès l'entrée, ils ont observé
que le travail d'équipe est matérialisé par les nombreuses
possibilités de réunion d'échange d'information, ou chacun
peut donner son avis et s'exprimer sur sa pratique, "il y a un dialogue
entre les différents membres de l'équipe et une réflexion
sur notre pratique". Tous en ont parlé "il y a beaucoup de
contacts entre tout le monde, pas de différence entre le personnel et
les cadres et la direction n'est pas isolée dans son bureau" ;
à condition que les horaires permettent d'y participer "
le travail d'équipe, je ne les vois pas souvent... je ne suis pas
là aux transmissions" ce qui est assez rare.
Il apparaît donc clairement qu'il existe un " collectif
de travail", et que sa pérennité passe par l'importance que le
tuteur va accorder à sa transmission et aux conditions d'organisation
que la structure a mis en place pour faciliter la coopération.
9ème item : le tutorat
réduit le temps d'intégration
Nous relevons un certain décalage entre la
réponse des tuteurs et celle des tutorés. Ces derniers
identifient un temps d'intégration plus long. Ils n'ont peut-être
pas la même définition de la notion d'intégration. Il
semblerait que pour les tuteurs, ce soit plutôt quand la personne a
acquis tous les savoirs organisationnels, lorsque l'évaluation est
objectivement concluante. Alors que pour les tutorés, c'est plus
subjectif, c'est un sentiment " c'est moi qui me sens
intégrée."
Pour les tuteurs la fourchette va de 15 jours à 2 mois
et pour les tutorés d'1 mois à plus de 3 mois.
En revanche, nous n'avons pas recueilli des
éléments fiables pour comparer avec le temps d'intégration
des nouveaux avant le tutorat.
Cette question de temps nous intéresse par rapport
à notre questionnement de départ : transposer la pratique
actuelle du tutorat concernant les remplaçants en CDD à la future
phase de changement et au tutorat de nouveaux personnels en CDI.
L'investissement en temps peut-il et doit-il être le même ?
10ème item : les conditions de
travail du tutorat sont favorables à son
déroulement
Il est évident que, sur ce point, la position des
tuteurs et des tutorés est diamétralement opposée. En
effet, les tuteurs évoquent spontanément et unanimement le manque
de temps. Tandis que les tutorés ne perçoivent aucun
inconvénient. Au contraire, ils ont trouvé le tutorat
"rassurant" ; "j'ai été épaulée"
;"c'est très bien. On n'est pas isolé".
En ce qui concerne les suggestions, les tuteurs proposent soit
un allongement du temps de "doublage" soit de pouvoir être
déchargé de ses tâches au moment de l'accueil du
nouveau.
En réfléchissant un peu, les tuteurs ont
réussi à citer quelques avantages qui sont au niveau personnel,
l'échange, la valorisation, la remise en question, avoir un
collègue de travail performant "...au final, quelqu'un qui a les
mêmes façons de faire, les mêmes valeurs, c'est
appréciable"; " ils font moins d'erreurs".
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