Chapitre 2 - Entrée dans une carrière et
justifications
Ce deuxième chapitre a pour but de comprendre pourquoi
et comment l'individu est amené à s'inscrire dans une nouvelle
carrière. Il s'agit donc d'appréhender le comment devient-on
végétarien, végétalien ou végan ? et
comment le reste-t-on ? A travers son approche interactionniste de la
déviance, Howard Becker identifie dans Outsiders trois phases
constituant la carrière déviante :
1. La transgression d'une norme dominante
2. Cette transgression devient déviante quand il y a une
désignation publique
3. L'adhésion dans un groupe déviant
organisé, justifiant l'engagement de l'individu dans la carrière.
Ici l'adhésion dans un groupe déviant peut être
reliée aux sociabilités virtuelles. Nous verrons qu'elles ont une
place importante dans le maintien des individus dans des pratiques
déviantes.
Dans ce courant interactionniste, la pratique des
végétarismes peut être considérée comme une
déviance puisqu'elle est marginalisée dans la
société française. En effet, ces types de populations se
voient étiquetés comme déviants par la
société en raison de ses pratiques extérieures à la
norme dominante qui est celle de la consommation de produits d'origine animale.
En ce sens, ce ne sont pas les pratiquants qui sont déviants mais c'est
par le prisme de la société qu'ils le deviennent. Cette
stigmatisation peut induire chez les pratiquants d'une alimentation
non-carnée une redéfinition de leur statut social et des effets
sur leur identité, c'est-à-dire la façon dont ils se
perçoivent socialement et personnellement, sur leur intégration
dans la société, sur leurs relations... Par conséquent,
les pratiquants sont amenés à s'inscrire dans une nouvelle
carrière. En continuant dans le sens de Becker, il est nécessaire
pour les individus de passer par différentes phases pour s'engager
pleinement dans une carrière des végétarismes : ils
doivent dans un premier temps apprendre la technique qui permettra de produire
différents effets qui vont eux-mêmes produire un changement dans
la perception de la pratique ; à la suite de cela, ils doivent passer
par l'apprentissage de la perception que les effets peuvent avoir sur eux
(bienfaits de l'alimentation végétale...) ; ils doivent
finalement passer par un apprentissage du goût pour les effets,
c'est-à-dire que si certains aliments étaient auparavant
considérés comme mauvais, les individus doivent donc passer par
une redéfinition de leurs sensations pour que la représentation
de ces goûts changent pour y intégrer ces aliments.
Le deuxième chapitre s'articule donc autour de deux
tendances : la justification de la conversion et une sociabilité
virtuelle comme condition d'entrée dans une carrière.
Quant aux justifications, nous parlerons en termes de
dispositions. Il ne s'agit pas de justifications dans le sens « je suis
devenu végétarien parce que... ». Les multiples
expériences au cours de la vie des individus participent à la
formation de ces dispositions et aux conséquences des ruptures
alimentaires par rapport à l'enfance. Cependant, elles ne sont pas
forcément visibles pour les individus. En effet, les « raisons
» avancées par les personnes
29
interrogées proviennent souvent d'un choc
moral45 (qui sera traité au cours de ce chapitre) qui «
débloque » la manifestation des dispositions, c'est pourquoi leurs
trajectoires sont primordiaux dans l'analyse des justifications de la
conversion. En effet, dans L'homme pluriel, Bernard Lahire souligne
comment le chercheur peut être amené à analyser les
dispositions. Pour l'auteur, le chercheur reconstruit les dispositions sociales
à travers la description des pratiques, des situations dans lesquelles
les pratiques sont déployées, mais aussi les
éléments dont il juge important sur la base de la biographie et
de la trajectoire des individus étudiés (Lahire, 1998, p. 63).
Le sens « je suis devenu végétarien parce
que... » fait donc référence à la raison,
c'est-à-dire les arguments que les informateurs donnent
spontanément lors des entretiens quand il était demandé
par exemple « pourquoi êtes-vous végétarien ? »
ou plus indirectement « comment êtes-vous devenu
végétarien ? ». Deux termes s'opposent donc, la
justification pour l'aspect objectivé et la raison en tant qu'aspect
subjectif.
2.1. Analyse des justifications
Il est à noter avant de débuter que les
entretiens réalisés sont anonymes. Par conséquent tous les
prénoms utilisés au cours de cette étude sont fictifs.
Si nous parlons en termes de justifications et non de raisons,
c'est parce subjectivement les raisons sont des éléments
spontanés et ne rendent pas compte des trajectoires de vie. Trajectoires
qui sont décisives dans la compréhension de l'inscription de
l'individu dans une carrière des végétarismes. Nous
commencerons l'analyse dans un premier temps par les raisons données
spontanément ainsi que les éléments de vie des personnes
interrogées.
Selon Marc, sa conversion (à l'âge de 33 ans)
serait due au visionnage d'une vidéo montrant les conditions de vie des
vaches et l'abattage industriel de ces dernières. Cette vidéo
aurait été initialement « partagée » sur le
réseau social Facebook juste avant Pâques. Cependant, sa
conversion peut être amplement justifiée à travers des
dispositions acquises dans sa trajectoire de vie. Ainsi : Marc a 37 ans,
marié depuis dix ans et père de deux enfants. Il a grandi au
Portugal jusqu'à l'âge de 12 ans. Il consommait beaucoup de viande
avec sa famille. Il se dit être nostalgique des paysages de son village,
de voir les animaux en liberté et de cueillir directement sur les arbres
des fruits de bonnes qualités. Il essaie de revenir dans son pays natal
lors de chaque été. C'est quand il a amené son premier
enfant à l'âge de 5 ans en 2010 dans son ancien village qu'il
s'est rendu compte de ce que pouvait « donner » la terre. En rentrant
en France, il décide d'occuper une partie du jardin de sa
belle-mère (il vit en HLM) pour y faire un potager bio,
représentant également selon lui un substitut à son
salaire. Le potager a permis à lui et sa femme d'acheter de la viande
blanche de meilleure qualité, sauf la viande rouge qu'il
considère comme mauvaise pour la santé en plus du fait qu'il en
consommait beaucoup dans son enfance : « je me suis cantonné
à quelques steaks de temps en temps ». Par la suite, il acquiert
des poules et lui fournissent tout au long de l'année des oeufs. En mars
2011, alors âgée de 6 ans, sa fille décide de ne plus
manger « les oeufs du poulailler » et la viande qui «
ressemble
45 Certaines questions lors des entretiens
demandaient d'effectuer une rétrospection dans leur enfance (notamment
par rapport à l'alimentation, milieu d'origine, etc.). Cependant, les
réponses apportées tenaient pour justification un choc moral qui
entraînait par la suite la conversion (de manière rapide ou
étalée sur une période plus ou moins longue).
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aux poules ». Elle consomme toutefois du poisson en
faible quantité et des produits laitiers. Marc est le seul à
accepter le choix de sa fille, sa femme est réticente à
l'idée de ne plus consommer de viande. Sa fille continue toujours cette
nouvelle alimentation et c'est en avril 2012 que Marc visionne un reportage sur
les conditions de vie des vaches élevées industriellement, et
qu'il décide de proscrire la viande et le poisson de son
alimentation.
Pour le cas de Sophie, elle se dit être devenue
végétarienne pendant six ans et maintenant végane depuis
cinq ans grâce à une amie qui elle-même était
végétarienne. Ainsi, elle aurait montré à Sophie
des images d'animaux ensanglantés. En ayant eu de l'empathie, elle dit
être devenue végétarienne pour ne plus participer à
l'abattage d'animaux. Cependant, Sophie (28 ans) est vétérinaire
dans la région parisienne, elle habite à Paris depuis sa
naissance. Elle allait à de très nombreuses fois chez ses
grands-parents pendant les weekends et les vacances (à la campagne) car
selon elle ses parents étaient pris par leurs métiers (tous les
deux sont médecins). Que cela soit chez ses grands-parents ou chez ses
parents, elle raconte avoir toute sa vie mangée des produits de
qualités, dont la viande. A l'âge de 8 ans, elle commence à
pratiquer l'équitation et finit par arrêter à 22 ans
à cause d'un problème de dos. Même si la consommation de
viande chevaline était rare chez ses parents, elle raconte avoir
très vite eu un sentiment profond de dégoût pour cette
viande. Elle devient donc végétarienne à 17 ans et ce,
jusqu'à ses 23 ans. Après son baccalauréat scientifique et
une classe préparatoire en BCPST (biologie, chimie, physique et sciences
de la Terre), elle intègre l'ENVA (École nationale
vétérinaire d'Alfort) jusqu'à ses 25 ans où elle
est diplômée. C'est au moment de sa formation et du contact avec
les animaux qu'elle décide, après s'être informée,
de devenir végane à 23 ans. Elle raconte que manger de la viande
et soigner les animaux étaient incompatibles.
Une seule personne interviewée est dans la
capacité d'expliquer sa conversion à travers son histoire
sociale. Eléonore a 25 ans, elle a été
végétarienne de 22 à 23 ans. Pour elle, ne plus consommer
de viande est avant tout un gain d'argent qui lui permet de varier son
alimentation. Elle a grandi chez son père à Amiens, il est
mécanicien et sa mère travaille en tant que secrétaire
dans un cabinet dentaire. Elle raconte avoir vécu durant son enfance
plusieurs années difficiles financièrement parlant à la
suite du divorce de ses parents. A cela, les hospitalisations
régulières de son père ont également
été des moments difficiles à vivre. Cet ensemble, ainsi
que l'alcoolisme et les absences répétées au travail de
son père auraient selon elle eu des répercussions
financières et donc, sur l'achat de viande : « On avait pas le
choix, du moins je subissais tout ça. Du coup, soit avec le peu d'argent
que mon père avait on mangeait de la viande dégueulasse, soit on
en mangeait pas parce que y'avait pas d'argent ». Eléonore a
quitté le domicile de son père lorsqu'elle avait 23 ans, cela
fait donc deux ans qu'elle habite seule dans son logement après avoir
obtenu un CDI en tant que secrétaire médicale. Elle aurait selon
ses mots « gardé ce truc qui fait que je regarde toujours les
étiquettes des produits pour le prix au kilo ». Ce souci de
rentabilité est surtout valable pour l'achat de viandes.
Néanmoins, elle a pu expliquer avoir arrêté
définitivement les produits carnés par manque d'argent à
cause de son emménagement. Cela ne la dérangé pas dans le
sens où elle consommait déjà peu de viande lorsqu'elle
habitait chez son père. C'est pourquoi sa conversion au véganisme
intervient seulement quelques mois après son emménagement ; les
restrictions alimentaires et autres (cuir, loisirs, restaurations...) propres
aux pratiques des végétarismes représentant un atout
financier. La conversion au véganisme s'accompagne néanmoins
d'une incorporation d'un ethos végan lui permettant de s'engager dans
cette carrière, en tant que légitimation, ce point est
traité dans
31
la partie suivante sur les chocs moraux. Le contexte familial
et économique a permis d'acquérir pour Eléonore, dans sa
trajectoire de vie, des dispositions qui lui ont permis d'entamer une
conversion au végétarisme (souci de rentabilité, de faire
des économies, dégoût pour la viande, faible attache aux
produits carnés en raison d'une faible consommation durant
l'enfance).
Quant à Laura, le végétarisme est une
suite logique à ses convictions. A l'âge de 14 ans elle part
voyager avec ses parents en Indonésie qui décident de le faire
seuls, c'est-à-dire en utilisant les transports en commun, le
vélo et la marche, et non dans le cadre d'un circuit collectif avec la
présence d'un guide touristique. Dans la province de Riau - dit-elle -
une épaisse fumée couvrait le ciel, elle ne comprenait pas mais
les habitants avaient l'air d'être en colère. Ses parents et elle
sont hébergés par un ami français installé dans la
province depuis quelques années. Elle y apprend que la fumée
était une culture sur brûlis pour la plantation de palmiers. L'ami
de ses parents lui apprend également quels sont les impacts sur
l'environnement, sur les espèces menacées et sur les populations
locales. A la suite de cela, elle se documente et décide de ne plus
consommer d'aliments comportant cette huile
végétale46. En parallèle, Laura mange des
produits issus de l'agriculture biologique depuis sa naissance (fruits,
légumes, produits carnés et sous-produits), ses parents
possèdent un potager de 300m2. L'Indonésie
était son premier voyage hors Europe, c'est à partir de ses 18
ans qu'elle décide de voyager seule lors des vacances
d'été (Amérique Latine et Asie). Elle dit être une
« backpackeuse »47, elle y
découvre les cultures locales mais également les conflits
généralement entre les populations et les compagnies
industrielles (déforestation, pétrolières,
hydrauliques...), ainsi que des conséquences sur l'environnement et les
animaux. Elle consomme toujours à ce moment-là de la viande et du
poisson, mais c'est à 20 ans, lors de son arrivée à Amiens
dans le cadre de ses études qu'elle décide de devenir
végétarienne : « j'étais préoccupée par
l'extinction de certains animaux. Les vaches, les cochons et tout eux ne
l'étaient pas donc j'ai jamais pensé à arrêter la
viande. En Asie j'ai rencontré des végétariens,
c'était des bonnes discussions mais c'est pas pour autant que j'ai
arrêté... j'étais dans la logique du bio, mes parents et
moi on pensait que c'était la meilleure consommation possible [...] J'ai
adhéré à l'AMAP et là j'ai rencontré une
végétalienne qui est devenue mon amie. J'me suis donc
intéressée au végétarisme tout ça et j'ai
regardé un reportage qu'elle m'avait conseillée, c'était
un discours de Gary Yourofsky48. Deux mois après j'mangeais
du tofu (rires) ».
La trajectoire menant au végétarisme est
différente chez Laura, la pratique du bio et son refus de l'huile de
palme, et donc des représentations et des convictions qui
s'accompagnent, ont été le fils conducteur. Nous verrons dans le
dernier chapitre que c'est le contraire pour les autres interviewés : la
pratique du bio découle des végétarismes. Se
déployant dans des situations vécues au cours de son adolescence,
l'arrêt de produits carnés est une suite logique aux valeurs de
Laura. Son départ du domicile parental a également
été un moyen pour elle pour se convertir au
végétarisme, ses parents consomment des produits carnés et
des sous-produits biologiques. Au moment de l'entretien, elle se disait
être en transition au végétalisme.
46 A la suite de cette interaction avec l'ami de
ses parents, Laura voulait voir de ses propres yeux la déforestation et
les conséquences qu'elle a sur les animaux. Néanmoins ses parents
n'ont pas accepté car selon elle ils devaient prendre deux jours plus
tard l'avion pour retourner en France.
47 Une routarde. Elle voyage
généralement seule avec comme unique objet son sac de voyage.
48 Il s'agit d'un discours donné en 2010
à la Georgia Institute of Technology. Gary Yourofsky est végan et
est un activiste américain pour les droits des animaux.
32
Le fait de prendre en compte dans les analyses les
trajectoires personnelles des individus montre un certain déterminisme
du passé des acteurs qui est décisif dans la conversion.
L'individu ne peut être disposé à devenir
végétarien, végétalien ou végan sans ce
passé. Les processus dans lesquels les individus se convertissent au
végétarisme et à ses déclinaisons sont
précisément liés à l'idiosyncrasie des biographies
personnelles. Cependant, à l'instar d'une justification objectivement
traitée sous la forme de dispositions, les justifications
spontanées des individus au moment des entretiens sont toutes aussi
importantes. Puisque les dispositions n'ont pas forcément l'occasion de
se manifester selon une situation particulière dans laquelle l'individu
est confronté, la conversion au végétarisme et ses
déclinaisons est un révélateur de ces multiples
dispositions. Par conséquent, d'un point de vue subjectif, les individus
interrogés relient leur conversion à un moment bien
précis. Leur présence lors d'un abattage, la mort donnée
à un animal de compagnie, la visionnage d'une vidéo, etc. sont
alors considérés comme des éléments clés
dans leur choix de conversion, tels des déclics. L'exemple de Julien
peut l'illustrer. Selon lui, le fait d'être devenu
végétarien est « normal ». De manière
rationnelle, il explique son choix de conversion comme cela :
« J'ai été végétarien
seulement pendant un an, je suis tombé sur un témoignage d'un
végétarien dans un article de l'Obs ou de Rue89
je crois. Je sais pas pourquoi mais j'étais d'accord avec lui, je
trouvais ça con de manger de la viande. Donc j'ai arrêté la
viande d'un coup et naturellement, ça m'a pas dérangé ni
manqué. Je n'avais pas d'attache à la consommation de viande,
c'est juste que j'ai grandi avec comme beaucoup de monde. Là je suis
végétalien mais en transition au véganisme ».
(Julien).
Si pour Julien, sa conversion semble être « logique
», elle dépend cependant de contextes personnels, proches
d'Eléonore. Julien a 27 ans, en couple depuis 4 ans à une
omnivore et sans emploi. Il a grandi à Amiens dans une famille à
faibles revenus, ses parents sont à la retraite (son père
était ouvrier et sa mère alternait entre employée d'usine
et mère au foyer). Il a pu indiquer que ses parents achetaient de la
viande congelée à bas prix dans les grandes enseignes. En
grandissant, Julien a commencé à éprouver du
dégoût quand il voyait le gras, les nerfs, les os et le sang de
ces produits carnés, la qualité gustative fait également
partie de la construction du dégoût. Nous supposons donc qu'il
était prédisposé d'une certaine manière aux
pratiques végétariennes. Ainsi, le témoignage qu'il a pu
lire constitue subjectivement l'élément déclencheur (sa
raison) de sa conversion mais objectivement, ses origines sociales
représentent la justification de son inscription.
L'analyse des trajectoires de vie souligne la pluralité
des dispositions que les individus acquièrent au cours de leurs
expériences, du plus jeune âge à un âge
avancé. Ainsi, l'individu est à la fois un « homme pluriel
» et singulier. En effet, les différents entretiens
réalisés illustrent une multitude de raisons, de conditions
d'entrée dans la carrière et de sensibilités qui sont
propres aux enquêtés
Les dispositions s'inscrivent profondément et
inconsciemment et participent aux représentations sociales, aux
façons d'agir, de penser, etc. des individus. Ces manières
incorporées permettent de « réagir » par
conséquent selon la situation dans laquelle l'individu se trouve, elles
sont activées lors d'un événement social inhabituel. Pour
reprendre le cas de Sophie, ce n'est pas les images d'animaux
ensanglantés qui l'ont amenée à se convertir au
végétarisme dans un premier temps, mais bien les dispositions
acquises au cours de sa
33
trajectoire. Le dégoût prononcé pour la
viande chevaline à la suite de la pratique de l'équitation, son
rapport à la nature et aux animaux de par sa présence à la
campagne, la bonne qualité des aliments consommés depuis son
enfance, ses études vétérinaires... l'ont disposée
à « devenir » végétarienne lorsqu'elle a
été confrontée à cette situation «
inconfortable ». Sans ce type de trajectoire de vie et de l'incorporation
de sensibilités, Sophie n'aurait pu être disposée à
le devenir. Idem pour Julien et Eléonore qui ont eu une socialisation
des pratiques alimentaires quelque peu identique en raison de la mauvaise
qualité nutritionnelle et gustative des produits carnés induite
par un contexte économique. Ils ont incorporé une construction de
dégoût vis-à-vis de la viande au cours de leur trajectoire,
ce qui a provoqué un lien « faible » à sa consommation
(viande mauvaise et fréquence de consommation faible). Nous pouvons
également apporter un élément supplémentaire en
avançant l'idée que la rupture avec le régime alimentaire
familial peut être une rupture plus globale. En effet, certaines
trajectoires rendent compte d'un certain déplacement dans l'espace
social : le cas d'Eléonore obtenant un CDI et déménageant
de chez son père, les voyages et l'installation à Amiens de Laura
dans le cadre de ses études universitaires.
La subjectivité des justifications spontanément
données lors des entretiens permet de faire ressortir le concept de
« choc moral ».
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