3.2.3. Conversion et amis
Dans l'échantillon, les réactions initiales des
amis lors de la conversion se répartissent plus favorablement que celles
des familles en positives. Quant aux réactions négatives, elles
sont moins importantes dans l'entourage des individus.
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Réaction
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Fréquences
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%
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Fréquences
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entourage
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cumulées
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très bien
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106
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9,8
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106
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658
60,9
21
1,9
215
19,9
Figure 3. 9 - Réaction de l'entourage
%
9,8
plutôt bien
764
70,7
très mal
785
72,6
plutôt mal
1000
92,5
sans avis
81
7,5
1081
100
Cependant, l'analyse des entretiens montre une toute autre
tendance, à savoir que les
relations se compliquent et peuvent se détériorer.
En plus de la famille, la conversion induit une
certaine distanciation entre l'individu concerné et son
réseau primaire amical. Ainsi, l'analyse
fait ressortir une énumération commune des
conséquences quant à l'adoption d'une
consommation sans viande. Si les individus interrogés ont
une certaine réticence quant à
partager un repas où l'hôte se sentirait
obligé de préparer un mets spécial, il en est de
même
dans les lieux de restaurations. La sphère amicale serait
alors contrainte de choisir un restaurant
proposant un menu en lien avec la pratique alimentaire ou un
restaurant où il serait possible de
supprimer la viande de l'assiette. Par conséquent, la
gêne occasionnée entraîne le sentiment de
ne pas vouloir déranger les convives. L'articulation entre
ces pratiques alimentaires et la
consommation de viande les obligent à se retirer de ces
moments conviviaux :
« Euh... (rire), mes amis se foutaient de moi avec mes
salades et mes graines (rire).
Avant de devenir végétarienne on sortait pas mal
dans les restaurants et les
fastfoods. Quand j'ai arrêté la viande
c'était la fin du monde, surtout que j'étais
étudiante donc la malbouffe c'était le quotidien.
J'ai donc stoppé la viande en juillet,
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pendant les barbecues... Et c'est là que j'ai connu ma
première et plus grosse gêne en ramenant ma propre nourriture :
saucisses végétales et steaks de soja. En plus je voulais les
faire cuire en premier pour éviter le contact avec la graisse animale
sur les grilles donc mes amis se sont donnés à coeur joie,
c'était méchant de leur part. Je me souviens aussi des
kébabs de fin de soirée quand on était bien
éméchés, ils voulaient me faire manger de la viande... Par
contre là où on s'est entendus c'était pour les
restaurants asiatiques vu qu'il y a beaucoup de bouffe sans viande, et aussi
certaines pizzas. J'ai fini par ne plus sortir manger avec eux quand je suis
passée végétalienne, le fromage et les oeufs
c'était le dernier lien qui nous unissait (rire) »
(Héloïse).
En dehors du fait de partager des repas avec la sphère
amicale, les différents entretiens soulignent deux autres
réactions s'articulant autour des critiques. Premièrement, la
détérioration des liens amicaux intervient donc lorsque la
nouvelle pratique alimentaire est critiquée. Il devient alors
désagréable pour l'individu d'être perçu par le
prisme de son alimentation. Même si l'individu peut être sujet aux
railleries et que les remarques de ses amis peuvent être de nature
à la plaisanterie, ce phénomène s'intensifie notamment
quand il est combiné avec les réactions familiales. Cet ensemble
participe à la détérioration des liens et au sentiment
antipathique, notamment sur le long terme où les ruptures «
totales62 » se multiplient. Seconde réaction, si ces
ruptures totales n'interviennent pas dans l'immédiat, les individus
interrogés expliquent cela par une déception de plus en plus
accrue et intermédiaire entre les réactions et les ruptures.
L'argument énoncé par les interviewés quant à leur
déception tient au fait qu'ils font face aux préjugés de
leurs amis. La pratique alimentaire en question étant sujet aux
critiques de toute part - famille, amis et société -, six des
huit individus ont indiqué être lassés de ces objections.
Ce second cas de réaction peut également souligner une
déception plus personnelle. Les ruptures relationnelles et les
réfutations des liens initiées par les individus concernés
ou bien les amis s'expliqueraient par le non-partage de ces derniers quant aux
idéaux et aux représentations nouvellement acquises de l'individu
en question à la suite de sa conversion.
Pour terminer, en entraînant des ruptures, la conversion
favorise aussi une restructuration de la sphère amicale63.
Alors que l'ensemble des populations excluant la consommation de viande soit
très minoritaire en France, le recours aux liens de sociabilités
permet à la fois de rencontrer de potentiels futurs amis et d'entretenir
des relations déjà existantes. Les réseaux
62 A savoir les ruptures des liens entre l'individu
et ses amis. Tout comme la famille des personnes concernées, les
relations amicales peuvent finir par se détériorer et
entraîner des « pertes ». Les interviewés ont pu
expliquer que la conversion était un révélateur des «
vrais » et des « faux » amis, à savoir ceux qui ont
accepté la pratique alimentaire et qui entretiennent toujours les
mêmes liens amicaux et ceux qui ont coupé tout lien car n'ayant
pas accepté.
63 J'ai pu m'entretenir avec différents
individus lors des manifestations en faveur d'une alimentation
végétale et/ou de la protection animale. Certains d'entre eux
m'ont indiqué avoir perdu quelques amis mais à un très
faible niveau, voir aucun. Dans ce cas, il ne s'agissait pas d'une
restructuration mais plutôt d'un « ajout » de
végétariens, de végétaliens et de végan dans
leurs sphères amicales. C'est une nuance à prendre en compte dans
l'analyse des ruptures puisque cela ne tend pas à une même
finalité : d'un côté nous avons une restructuration
à la fois par compensation et par volonté de partager les
mêmes idées et représentations, et de l'autre nous avons
des individus n'ayant pas eu de rupture avec leurs sphères amicales et
où la rencontre de personnes partageant ces mêmes idées et
représentations font suite aux différents lieux de
sociabilités (groupes de rencontres, manifestations, amis d'amis,
associations, etc.). Bien entendu, j'ai pu discuter avec des
végétariens et des végétaliens qui ne
possédaient pas au sein de leurs cercles privés des amis issus
des mêmes pratiques alimentaires.
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sociaux, les groupes virtuels, les manifestations et le
bénévolat d'associations végétariennes,
végétaliennes, végan et/ou de défense des droits
des animaux forment ainsi un ensemble d'intermédiaires à la
recomposition des relations amicales.
Par conséquent, dans les débuts de la
conversion, les individus tentent d'articuler leurs nouvelles façons de
consommer et leurs fréquentations amicales pour maintenir les liens
relationnels. Néanmoins, la pression qui peut être exercée
sur les individus quant à leurs pratiques alimentaires de la part du
cercle privé peut induire une distanciation. Par la suite, les individus
peuvent être amenés à se retirer progressivement de ces
cercles lorsqu'il y a une certaine incompatibilité. Le cas
d'Héloïse est un bon exemple lorsqu'elle précise que les
oeufs et les produits laitiers constituaient le dernier lien entre elle et ses
amis (les restrictions alimentaires étant plus importantes). La
distanciation tend alors à la formation de nouveaux groupes amicaux qui
partagent donc des idées et des représentations sensiblement
identiques.
Cependant, la conversion occasionne d'autres ruptures qui sont
présentées dans la partie suivante. L'analyse de ces
dernières tend à s'articuler autour d'un triptyque, à
savoir l'aspect social, politique et religieux.
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