CHAPITRE I : NATURE ET BASE JURIDIQUE DE LA
RESPONSABILITE CIVILE DU COMMISSAIRE AUX COMPTES
La compréhension d'un concept de droit comme celui de
la responsabilité civile du commissaire aux comptes, passe
essentiellement par l'identification de sa nature, elle permet de
catégoriser le problème, puis d'établir les
différentes règles qui s'appliqueront à cette
responsabilité.1
Ainsi la détermination de la nature juridique de la
responsabilité civile du commissaire aux comptes, parait un
préliminaire nécessaire car avant d'entreprendre n'importe quelle
action en responsabilité, il faut pouvoir la situer soit dans le cadre,
de la responsabilité contractuelle, soit dans celui de la
responsabilité délictuelle2. Le droit de la
responsabilité civile est en effet dominé par la summa divisio
qui oppose, dans leurs domaines et leurs effets, responsabilité
contractuelle et responsabilité délictuelle.3
Par ailleurs il convient de signaler que le débat
relatif à la nature juridique de la responsabilité civile du
commissaire aux comptes, n'est pas limité aux thèses
contractuelle et délictuelle, mais s'intéresse également
aux particularités que revêt cette responsabilité, qu'il
s'agisse d'un caractère hybride ou professionnel.
Section I : La nature de la responsabilité civile
du commissaire aux comptes :
La responsabilité civile revêt bien des
caractéristiques particulières, s'agissant des commissaires aux
comptes. La détermination de la nature de la responsabilité
civile du commissaire aux comptes, nous conduit à introduire une
distinction fondamentale, qui orientera le plan que nous suivrons
ultérieurement. 4 La nature de la responsabilité
civile est limitée à deux hypothèses qui constituent un
concours de responsabilité (§ I), soit qu'il
s'agisse d'une responsabilité civile délictuelle, sinon d'une
responsabilité civile contractuelle.5 Mais, cela
n'empêche que compte tenu de l'évolution, qu'a connue la
profession du commissariat aux comptes, aussi bien au niveau des devoirs et
normes
1 V. Blanc, La responsabilité précontractuelle,
perspective québécoise et internationale, Mémoire
présenté en vue de l'obtention de grade de maitrise en droit,
Université de Montréal, aout 2008
2J. Poulpiquet, Responsabilité des notaires,
Dalloz, 2009, p 21
3 A. Robert, Responsabilité des commissaires
aux comptes, Dalloz, 2008, p 21
4 A. Grépinet, La responsabilité du
vétérinaire, Point Vétérinaire, 1992, p 127
5 C. Mélotte, La responsabilité des
professions juridiques, Kluwer, 2006, p 25
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comptes
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imposées, qu'au niveau des missions exercées, la
responsabilité civile présente des particularismes marquants
(§ II), qui sont loi d'être limités au
débat contractuel et délictuel.
§I : La qualification de la responsabilité : le
concours des responsabilités
La possibilité pour une partie victime d'un dommage, de
choisir entre l'action contractuelle, ou l'action délictuelle, est au
coeur du problème dénommé assez important cumul de
responsabilités. On lui préférera le terme de concours,
puisqu'il s'agit en définitive de savoir, si une partie dispose d'une
option entre les règles de la responsabilité contractuelle ou
délictuelle. Il s'agit, tout au plus, d'un choix entre deux voies qui en
aucun cas, ne pourra conduire à un cumul des indemnités. 1
La responsabilité civile trouve sa source principale,
soit dans l'exécution, ou l'inexécution défectueuse d'un
contrat, et il s'agit alors de la responsabilité contractuelle, soit
dans une faute volontaire ou involontaire (délit civil), commise en
dehors de tout contrat, et c'est la responsabilité
délictuelle.2
Au fil du temps, différentes théories ont fait
leur apparition, chacune apportant une idée nouvelle sur la conception
juridique que l'on devrait donner à la responsabilité civile du
commissaire aux comptes.3 S'opposent ainsi deux thèses :
thèse contractuelle (A) et thèse délictuelle (B).
A) La Thèse contractuelle :
La responsabilité contractuelle est définie
comme celle qui résulte de l'inexécution d'une obligation
née d'un contrat, 4 il s'en suit que la possibilité du
recours à la responsabilité contractuelle présuppose
certaines circonstances bien définies, et la réalisation de
conditions tout à fait particulières. Affirmer en matière
de responsabilité contractuelle la nécessité de
l'existence d'un contrat, implique que par leur consentement réciproque
le commissaire aux comptes et la société se sont engagés
dans les liens d'une convention.
1 B. Dubuisson, La Responsabilité Civile :
Chronique de jurisprudence, Larcier, p 481
2 M. Florin, Les obligations et la
responsabilité juridique de l'infirmière, Heures de France, 1999,
p 118
3 A. Idrissi, Le commissariat aux comptes au Maroc,
Gestion et société, Revue trimestrielle publiée par
L'ISCAE, 1979
4 N. Ferry, Gestion juridique de l'entreprise, Pearson
Education France, 2006, p 70
La responsabilité du commissaire aux
comptes
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En effet, il convient de signaler d'abord, que la
responsabilité civile du commissaire aux comptes était d'origine,
contractuelle, car l'ancien dahir de 1922 régissant la
société anonyme, disposait dans son article 43, que «
l'étendue et les effets de la responsabilité de la
responsabilité des commissaires aux comptes, sont
déterminés par les règles générales du
mandat. », ce dont on déduisait que la responsabilité du
commissaire aux était contractuelle. 1
Mais aujourd'hui, depuis la réforme de 1996, l'article
180 de la loi 17-95 2sur la société anonyme, ne fait
plus allusion au lien contractuel entre la société et le
commissaire aux comptes, sans pour autant préciser la nouvelle nature de
ce rapport et de la responsabilité qui peut en découler.
En fait, la théorie contractuelle, est loin de
rencontrer l'unanimité, chez les auteurs. Plusieurs sont plutôt
d'opinion, qu'il s'agit d'une responsabilité délictuelle, du
commissaire aux comptes aussi bien à l'égard de la
société qu'a l'égard des tiers. Mais cela
n'empêchent qu'il existe certains auteurs qui soutiennent encore,
l'idée de l'existence d'un contrat entre le commissaire aux comptes et
la société.3
Cette situation dincertitude par rapport à
la nature de la responsabilité civile du commissaire aux comptes, a
divisé la doctrine entre deux courants, l'un favorable et l'autre
défavorable à la thèse contractuelle.
Selon l'opinion d'une partie de la doctrine4, la
responsabilité civile du commissaire aux comptes est de nature
contractuelle, comme l'est celle des experts comptables, des notaires, des
médecins, des avocats, et qu'elle est par conséquent
fondée sur contrat : louage de services ou mandat.
Dans ce sens, certains auteurs, 5font cependant
valoir que nonobstant, le caractère institutionnel de sa mission, le
commissaire aux comptes reste lié par un contrat de louage d'ouvrage
à la société, et invoquent comme arguments pour justifier
leur thèse, le libre choix du professionnel par l'entité qui le
nomme, la rémunération en honoraires librement débattus
1 A.Idrissi, Le commissariat aux comptes au Maroc,
« Gestion et société » revue trimestrielle,
publiée par l'ISCAE, 1979 p 37
2 Loi 17-95 relative à la société
anonyme, promulguée par le dahir n° 196-124 du 14 rabii 1417 ( 30
aout 1996) telle qu'elle a été modifiée et
complétée par la loi n° 20-05 promulguée par le dahir
n° 1-08-18 du 17 Joumada 1429 ( 23 mai 2008), (BO n° 5640 du jeudi 19
juin 2008)
3 C. Mélotte, La responsabilité des
professions juridiques, Kluwer, 2006, p 5
4 J. Poulpiquet, Responsabilité des notaires,
Dalloz, 2009, p 23
5 A. Robert, Responsabilité des commissaires
aux comptes, Dalloz, 2008, p 20
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comptes
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et le fait que selon les normes professionnelles, une lettre
de mission doit être rédigée, fixant les termes et les
conditions des interventions du commissaire aux comptes.1.
En revanche, d'autres auteurs2 estiment,
plutôt que le commissaire aux comptes se comporte souvent comme un
mandataire, et qu'il agit dans l'intérêt des actionnaires, puisque
son rapport de mission est opposable aux tiers. Ils invoquent ainsi à
l'appui de leur opinion, que puisque la relation de mandat consiste en ce qu'un
mandataire s'acquitte d'un service par le biais d'actes matériels ou
juridiques au profit du mandaté, il convient donc de vérifier si
le commissaire accomplit des actes matériels ou juridiques pour le
compte de la société et des actionnaires.
Ainsi, pour certaines de ses missions légales, il se
borne à établir un rapport descriptif et à commenter
celui-ci. Dans cette hypothèse, il n'exécute de toute
évidence qu'un acte matériel. Dans la plupart des cas par contre,
il exerce un contrôle juridico-financier quant à l'exactitude et
la fiabilité des comptes sociaux. Le jugement du commissaire aux comptes
entraine incontestablement sur ce point des conséquences juridiques,
puisque la régularité de certains actes juridiques, dépend
de son rapport (le rapport de contrôle ou le rapport relatif aux apports
en nature), il s'ensuit que le commissaire aux comptes agit comme mandataire,
et par conséquent sa responsabilité ne peut être que
contractuelle.
L'aspect contractuel de cette relation liant le commissaire
à la société, est attesté également par
l'emploi, très tenace, des termes « obligation de moyen » et
« obligation de résultat » lorsqu'il s'agit d'apprécier
l'étendue des devoirs incombant aux commissaires aux
comptes3, en outre, la thèse contractuelle est
renforcée par la mise en oeuvre de mécanismes typiquement
contractuels telle l'exception d'inexécution.
Cependant, s'agissant de la jurisprudence, elle est un peu
confuse au sujet de la nature de la responsabilité civile du commissaire
aux comptes, ainsi certains juges ont reconnu au commissaire aux comptes le
droit de suspendre sa mission en cas de non paiement des honoraires, faisant
ainsi application de l'exception d'inexécution propre au domaine
contractuel.4
1 A. Robert, Responsabilité des commissaires aux comptes,
Dalloz, 2008, p 20
2 B. Tilleman, Le mandat, Kluwer, 1999,p 437
3 J. Barbieri, Commissariat aux comptes, GLN JOLY,
1996,p 73
4 J. Monéger, et T. Granier, Le Commissaire aux
comptes, Dalloz, 1995, p 137
La responsabilité du commissaire aux
comptes
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Par ailleurs, il convient de signaler qu'une autre partie de
la doctrine1 ne partage pas, la même conception, et estime que
la responsabilité civile du commissaire aux comptes, ne présente
pas une nature contractuelle, ainsi que l'utilisation des concepts d'obligation
de moyen et de résultats ne fait qu'entretenir le trouble des
esprits2 et se basent sur le fait, que dans l'accomplissement de ses
devoirs officiels, le commissaire aux comptes n'aurait l'intention de
contracter envers les parties aucune autre obligation que celles
imposées par la loi et les clients n'auraient pas l'avantage de
s'engager envers lui.3
En plus puisque le commissaire aux comptes doit être
impartial, indépendant et désintéressé, dans ce cas
il cesserait de l'être si dans les missions qu'il exerce, il agissait
comme mandataire de l'une ou des parties ; un tel conflit
d'intérêt est expressément prohibé.4
Au surplus, tenter de rattacher à l'ordre contractuel, le
rapport commissaire aux comptes-société, ne saurait fournir
qu'une explication partielle de la responsabilité du commissaire aux
comptes, car si la responsabilité de celui-ci était toujours
contractuelle, il ne serait plus responsable à l'égard des tiers,
auxquels il peut causer pourtant un préjudice par sa faute, on
aboutirait donc à une explication plutôt ambiguë et
incomplète. 5
Après avoir posé ces bases essentielles à
la responsabilité contractuelle, nous nous demanderons maintenant, si la
violation des obligations légales ne doit pas déboucher
plutôt sur la responsabilité extracontractuelle ?
' J. Monéger, et T. Granier, Le Commissaire aux comptes,
Dalloz, 1995, p 137
2 Y. Guyon, et G. Coquerau, Le commissariat aux
comptes : aspects juridiques et techniques, Librairies techniques, p 274
3 M. Coipel, Droit des sociétés
commerciales, Kluwer, 2006, p 875
4 M. Letaief, L'état et les entreprises
publiques en Tunisie, L'Harmattan, 1998, p 370
5 Y. Guyon, et G. Coquerau, Le commissariat aux
comptes : aspects juridiques et techniques, Librairies techniques, p 273
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