1.7.1.4-Le modèle de l'acceptation
technologique
Ce modèle s'inscrit en faux contre la tendance à
considérer l'individu comme un acteur passif sous l'emprise d'un
déterminisme technologique comme le soutient le diffusionnisme ou sous
l'emprise des déterminants psychosociaux. Pour eux, l'individu
opère des choix et adopte des comportements sur la base d'un calcul
rationnel en termes d'investissement et de gain.
Pour les tenants de ce modèle d'analyse, l'adoption
d'une technologie ne passe pas par sa mise à disposition, il faut en
réalité que les destinataires soient rassurés que cette
technologie répondra à leurs besoins et qu'ils aient les moyens
de l'adopter.
Appliquant le modèle de l'acceptation technologique
(TAM) à l'adoption et à l'usage des TIC, Davis (Davis et al,
1989) se base sur deux croyances ; l'utilité perçue et la
facilité d'utilisation perçue. Ces deux croyances expliquent les
comportements d'adoption des TIC par les individus. L'adoption d'une
technologie par un individu ou un groupe social est donc favorisée par
l'aspect utilitaire de la technologie perçue. Si l'utilisation de cette
technologie répond à leurs besoins, ils sont disposés
à l'adopter.
En nous replaçant dans le contexte de l'Afrique, nous
pouvons constater que l'expérience africaine de la
téléphonie mobile montre que plusieurs facteurs ont concouru et
concourent toujours largement à son développement. Il s'agit du
caractère utilitariste du téléphone mobile, du
caractère hyper relationnel du tissu social africain et de la
stratégie des opérateurs économiques.
Dans un premier temps, cette innovation dans les usages est
l'expression d'un rapport foncièrement utilitariste que les populations
africaines entretiennent à l'égard du téléphone
portable et des NTIC en général. Ce rapport utilitariste
découle des caractéristiques même de leur environnement
politique et économique (Do-Nascimento, op.cit). En effet, il
apparaît qu'en Afrique les desseins d'appropriation des NTIC
répondent à des desseins caractéristiques de
sociétés marquées par la pénurie. Ces desseins sont
: d'une part, la recherche de palliatifs aux carences de l'environnement
politique et économique ; d'autre part, la quête permanente
d'opportunités au sein d'un espace social de développement
inégal. Dans un tel contexte socio-économique, l'adoption des
NTIC répond à un besoin spécifique. Celui d'accéder
à des ressources qui amplifient la marge de manoeuvre des acteurs
sociaux à l'endroit d'un environnement politique et économique
caractérisé par la pénurie. Pénurie des
infrastructures, des prestations d'intérêt général,
des libertés publiques, des emplois, des soins et des aliments etc.
Les usages du téléphone portable en Afrique
confirment cette analyse de Do-Nascimento (idem). Ainsi, le
téléphone portable en Afrique, comme tous les NTIC en
général, apporte une réponse moderne, c'est-à-dire
efficiente, à une problématique d'origine et d'expression locale.
En l'espèce, la recherche de moyens qui affranchissent des pesanteurs
d'un contexte politique et économique caractérisé par la
pénurie. Par cette fonction, le téléphone portable comme
vecteur de la communication, présente en Afrique une utilité
sociale qui lui affecte une valeur d'usage sans commune mesure. Cette valeur
d'usage l'élève à la qualité d'un bien
d'intérêt public ; en ce sens que sa diffusion permet
à une majorité de citoyens en Afrique non seulement de jouir
enfin de leur droit citoyen à la communication, mais aussi de
s'affranchir de certaines pesanteurs d'un contexte politique et
économique caractérisé par la pénurie.
En deuxième lieu, l'adaptation des opérateurs
économiques au profil du consommateur africain a largement
contribué à la diffusion du téléphone portable en
Afrique. La majorité des consommateurs africains appartient au secteur
informel. Or, au sein de ce secteur, le consommateur ne réunit pas les
instruments de paiement habituels dans les transactions du secteur formel :
chéquiers, comptes bancaires, prélèvement automatique etc.
Pour ne pas s'aliéner cette fraction majoritaire des consommateurs
potentiels, les opérateurs de la téléphonie mobile en
Afrique ont adopté et généralisé le système
de paiement par la carte prépayée. Selon Blanchard (2004)
l'utilisation des cartes prépayées par opposition aux formules
avec abonnement mensuel, représentant jusqu'à 90 % des
abonnés dans certains pays, permet une meilleure maîtrise des
dépenses par l'usager et simplifie grandement pour l'opérateur la
gestion de sa base de clients.
Le système des cartes à prépaiement est
intéressant dans des pays où les revenus sont faibles et
où l'on préfère généralement tout
régler d'avance. Pour les opérateurs, les services à
prépaiement réduisent le risque du crédit, et pour les
consommateurs qui parfois ne réunissent pas les conditions requises pour
disposer d'un service d'abonnement, le service mobile devient accessible. En
effet, un nombre croissant de réseaux mobiles africains sont uniquement
à prépaiement, tandis qu'à l'échelle du continent,
quatre abonnés sur cinq utilisent des services à
prépaiement, soit près du double de la moyenne mondiale (UIT,
2001).
Notons en dernière position que le ressort interne du
développement de la téléphonie mobile en Afrique
réside dans le caractère hyper relationnel des
sociétés africaines. Celles-ci présentent en effet une
disposition contingente à un usage intensif du téléphone
en raison d'un tissu social hyper relationnel. L'individu en Afrique (il faut
le noter) est inséré dans un tissu relationnel extrêmement
dense. Ce tissu est constitué par deux réseaux : un réseau
familial et un réseau amical. A l'intérieur de ces deux
réseaux la communication interindividuelle est particulièrement
dense. L'individu en Afrique n'hésite pas à parcourir des
kilomètres à pied ou en voiture dans la journée pour
prendre des nouvelles ou donner des nouvelles à la parenté et aux
amis. Dans un tel contexte, l'arrivée du téléphone
portable ne pouvait que constituer une véritable opportunité. Il
affranchit de la contrainte kilométrique tout en maintenant
l'intensité du lien social, l'intensité du réseau
communicationnel. Dans un tel contexte hyper relationnel du tissu social, le
téléphone en soi ne pouvait qu'être porteur d'une valeur
d'usage sans commune mesure.
Mais en raison des carences du service public des
télécommunications en Afrique, jusqu'aux années 1980, la
majeure partie des populations africaines s'est retrouvée en marge de
cet outil moderne de communication. L'arrivée du téléphone
portable ne pouvait donc que bouleverser le tissu communicationnel en Afrique.
Elle a permis de satisfaire la demande sociale d'accès au
téléphone en palliant les carences des prestations du service
public des télécommunications (Do-Nascimento, op.cit).
De ces facteurs vient le succès inattendu du
marché du téléphone portable en Afrique. La
rapidité de mise en service de cet outil qui répond aux multiples
besoins pour l'usager l'a fait immédiatement apparaître aux
populations africaines comme un outil dont l'adoption vaut le sacrifice.
Ces exemples tirés du cas spécifique de
l'Afrique confirment alors l'importance de tenir compte de la
rationalité et du caractère calculateur de l'individu dans
l'explication de ses stratégies d'adoption d'une technologie.
Les modèles d'analyses qui s'inscrivent dans cette
logique peuvent être classés dans une perspective théorique
plus large, qui est, l'individualisme méthodologique et de l'analyse
stratégique qui reconnaissent ce caractère calculateur et
rationnel de l'homme.
Le modèle de l'acceptation technologique, même
s'il prend en compte les aspirations et motivations des individus dans leurs
stratégies d'adoption des NTIC, ne peut à elle seule servir de
modèle d'explication privilégié de l'adoption des
innovations.
Les NTIC, au regard de leur fulgurante vulgarisation à
travers tout le continent africain, suscite une importante interrogation, celle
de savoir si elles constituent une aubaine pour le développement de ce
continent ?
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