3.2 Le pillage des jeunes talents africains : le «
muscle drain »
En raison d'un manque de développement du football
africain et des nombreuses conséquences que cela engendre, ce sport voit
apparaître au grand jour un nouveau type d'exode similaire au «
brain drain » que l'on qualifie de fuite des cerveaux à
l'étranger, attirés par les entreprises qui cherchent à se
démarquer de leurs concurrents en captant les meilleurs talents.
L'objectif premier est bien entendu d'améliorer la productivité
globale de l'entreprise grâce aux qualités intrinsèques de
ces talents
Le « muscle drain »84 est donc le terme
utilisé pour évoquer l'exode des sportifs africains vers Europe
avec l'espoir d'un avenir meilleur. Cette pratique est particulièrement
monnaie courante en Afrique Subsaharienne. La principale raison de cet exode
est essentiellement économique. Comme en témoignent les
statistiques de l'Organisation des Nations Unies (ONU) et repris dans la revue
« Géoéconomie : Football, puissance, influence
», sur les 20 derniers pays au classement de l'indice de
développement humain (IDH), 17 proviennent des pays de l'Afrique
subsaharienne.
Dans ce contexte peu avantageux pour le développement
du football en Afrique, bon nombre de jeunes ayant le rêve de fouler un
jour les plus belles pelouses européennes et de jouer pour leurs
sélections nationales, se voient dans l'obligation de quitter leurs pays
d'origines.
L'étude menée par Afrique Football en 2004 montre
que 555 joueurs issus d'Afrique évoluaient dans les championnats majeurs
d'Europe. On comptait exactement à cette période : - 105
nigérians (de loin la nation d'Afrique la plus représenté
dans le football européen).
- 84 camerounais.
- 59 ivoiriens.
- 58 sénégalais.
- 52 ghanéens.
Le pays accueillant le plus de joueurs issus du continent
africain sont dans l'ordre :
84 LOROT Pascal et DAGUZAN Jean-François,
Football, puissance, influence, Géoéconomie n°54,
Choiseul, revue trimestrielle été 2010, p.22 - 30
82
- La France avec près de 130 joueurs en 2004.
- La Belgique, accueillant 80 joueurs africains.
- L'Angleterre avec 37 joueurs évoluant dans les
différentes divisions.
- La Turquie, considérée sur le plan
footballistique comme faisant partie de l'Europe
avec près de 35 joueurs.
- Les Pays-Bas avec 31 joueurs.
Le sous-développement du continent africain et l'exode
de ces milliers de jeunes, conduits par un mélange de rêve et
d'insouciance provoquent de nombreuses dérives notamment de la part des
clubs européens qui n'hésitent pas à dénicher de
nouveaux talents à prix dérisoire. En réalité,
l'Europe profite indirectement du manque de moyens des ligues nationales
africaines pour récupérer ses jeunes pépites. Les
championnats nationaux n'ayant pas la possibilité d'offrir une formation
de qualité aux jeunes joueurs (contrairement aux formations
européennes), le choix semble simple pour ces adolescents. En tout
état de cause, L'Afrique et l'Europe ne battent pas à armes
égales, puisqu'il est très difficile, voire impossible, de
retenir ces jeunes talents qui connaissent par coeur les différents
championnats européens. Néanmoins, Henri Depireux85
attire l'attention sur le fait que « dans le monde du
football, il y a beaucoup d'appelés pour très peu d'élus
»86. Les jeunes voient l'Europe comme un eldorado
où les chances de réussite sont élevées. Or, la
réalité les rattrape tôt ou tard car la concurrence est
très forte. Beaucoup croient en leurs rêves et bon nombre d'entre
eux sont finalement déçus d'avoir échoué.
Pour autant, l'Afrique fut insufflé d'un nouvel
élan grâce à l'organisation de la Coupe du Monde 2010 en
Afrique du Sud. Cet événement exceptionnel a permis au continent
d'être médiatisé tout au long de la compétition.
Cependant, il serait intéressant d'analyser l'après Coupe du
Monde et les retombées économiques et sociales sur le football
africain. L'attribution de ce tournoi international pour la première
fois sur le continent africain aurait dû être l'aubaine du
développement du football en Afrique. Or, l'effet escompté d'un
tel évènement n'a pas eu le succès qu'on lui
prédisait. En effet, le printemps arabe et les nombreux conflits
territoriaux ont entaché en partie les espoirs d'un avenir meilleur
puisque le football africain stagne encore à l'heure actuelle. Comme
l'atteste François Hilbrandt, expert Sport, dans les colonnes de
l'Equipe : « la tendance est négative depuis le
Mondial.
85 Ancien football et entraineur belge.
86 SAUSSEZ Isabelle, « L'Afrique sur la touche du
football mondial », le courrier ACP-UE, Juillet-Aout 2002
83
Le printemps arabe a interrompu le
décollage des clubs ». Les tensions ethniques et
politiques ont sans doute refroidi les investisseurs notamment chinois et
américains qui semblaient pourtant intéressés par des
projets d'investissement. Il est donc évident que le lien entre le
développement du football et la stabilité économique et
politique est très étroit.
On pourrait donc se demander si l'Afrique n'est-elle pas
condamnée à une forme de fatalisme qui l'empêcherait toute
évolution positive tant sur le plan sportif, politique,
économique et social. Doit-t-on considérer l'Afrique comme une
cause perdue ? Le reste du monde a-t-il un rôle dans le
développement du football africain ? Dans quelle mesure pouvons-nous
agir pour aider le continent ? Doit-on privilégier en premier lieu une
aide purement financière ou aider socialement les pays à se
tourner vers un modernisme qui leur permettraient d'établir de nouvelles
bases saines, propices au bon développement du football ?
Pour répondre à ces nombreuses interrogations, il
est nécessaire de trouver des solutions.
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