1.3.3 Intuition et stéréotype
L'utilisation du jugement intuitif, spontanéet
automatique, sans le soutien de la raison analytique mène souvent
à des biais de jugements (Kahneman, 2003; Kahneman et Tversky, 1974). Le
jugement intuitif qui se déclare souvent à la suite d'un ressenti
somatique, serait souvent subjectif et en rupture avec la
réalité. En effet, l'état somatique dépend en
grande partie du comportement idiosyncrasique de l'individu et donc de son
histoire individuelle, familiale et culturelle: Lorsque le choix d'une
option X, qui conduit à une conséquence n~efaste Y, est suivi
d'une punition et donc d'un état du corps déplaisant, [...] La
réexposition de l'organisme à l'option X, ou l'évocation
par la pensée de la conséquence aura dès lors la
capacitéde réinstaurer l'état du corps déplaisant,
lequel servira de rappel automatique des conséquences n~efastes et
prévisibles (Damasio, 1994, p.248). Le jugement qui fait suite
à cet état somatique peut alors ne pas être
adaptéà la situation présente, et la connaissance
intuitive d'une personne sera alors faussée et fondée sur une
croyance ancienne non-adaptée.
Il est d'ailleurs courant que nos intuitions à propos
de quelqu'un ne soient finalement que des jugements guidés par des
stéréotypes (Kunda and al, 1996). Selon la théorie sociale
cognitive, il existerait des structures implicites
de la connaissance ou schémas sociaux
(Krieger, 2008), ces schémas seraient construits au cours de la vie
et contiendraient les croyances, les expériences, les connaissances
de l'individu. Ainsi lorsqu'une personne veut interpréter le
comportement d'une personne, ou avoir un avis global sur la personne, elle va
corréler ses schémas à la perception de la situation ou
d'autrui. Lorsque la personne perçue s'inscrit dans un
élément du schéma, l'ensemble du schéma
préexistant se réactive et donne une information globale et
catégorisée de la personne. Une étude de Cuningham et al
(2004) montre qu'il y aurait une activation plus importante de l'amygdale chez
des sujets blancs occidentaux en réponse à la présentation
de visages d'individus noirs. Lorsque le temps de présentation augmente
(de 30 à 545ms), il y aurait l'intervention du cortex préfrontal
qui viendrait contrôler la réponse émotionnelle.
Or en sachant que l'amygdale aurait un rôle dans la
reconnaissance d'une menace externe (Becker and al, 2012; Feinstein et al,
2013), et connaissant les expériences de Tajfel (1974) sur les
comportements intergroupe, on peut en conclure que cette réaction
émotionnelle immédiate, automatique (< 30 ms)
provoquant l'activation de
l'amygdale serait une réaction non-consciente apprise et
transmise. Dans la définition du jugement intuitif proposépar
Kahneman (2003), il ressort que ce type de jugement se forme automatiquement
vis à vis d'un objet, et
n'est pas sous le contrôle volontaire. C'est ce que
Kahneman appelle les jugements naturels '. Toutefois la nature
automatique de ceux-ci peut être corrigée par un processus
raisonnéet analytique (Evans, 2008; Stanovitch et Evans, 2004) qui
interviendrait par l'intermédiaire du cortex préfrontal
(Cuningham et al, 2004; Damasio, 1995). C'est que nous retrouvons dans
l'étude précédemment citée, les structures
impliquées dans la cognition sociale auraient
1.4 L'intuition à la lumière des neurosciences
29
une action sur les structures limbiques, l'amygdale dans ce
cas particulier, et inhiberait le jugement automatique possiblement
hérité, pour plus de tolérance, de respect et
d'ouverture.
Toutefois méfions-nous des dichotomies. Depuis
Aristote, il est courant de créer une dichotomie entre processus de
pensée intuitif et logique. La logique serait souvent vue comme
l'apanage des sociétés modernes, de la culture, tandis que
l'intuition serait plutôt réservée aux
sociétés dites primitives. La logique serait làpour
pallier aux défauts
de l'intuition, pourtant comme nous allons le voir dans la partie
suivante, il est courant que l'intuition se mêle
àl'insight dans la résolution de problème, ce
qui prouverait que l'intuition est indispensable à la logique tout comme
la
logique est nécessaire à l'intuition dans le but
de la transmettre, de la partager. Certains éléments des
neurosciences semblent montrer qu'il est possible de dépasser cette
ancienne dichotomie.
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