8.4.2 Les failles de l'intuition
L'intuition est un processus cognitivo-emotionnel
liéà l'apprentissage (Lieberman, 2000) faisant intervenir un
ensemble de processus cognitifs allant de la perception au raisonnement, en
passant par la mémorisation, la sensation et l'émotion. Nous
avons vu dans la revue de littérature qu'elle faisait intervenir un
grand nombre de structures corticales et sous corticales telles que le cortex
temporal supérieur droit (Ilg et al, 2008; Jung-Beeman et al, 2004), le
cortex ventromédian préfrontal, les ganglions de la base
(Lieberman, 2000), le cortex inférieur bipariétal (Ilg et al,
2008). L'ensemble des expériences n'a pas portésur le même
type d'intuition, certains se focalisant plus sur l'intui-tion
sémantique (Ilg et al, 2008) et d'autres sur l'intuition
émotionnelle (Lieberman, 2000), toutefois la plupart des recherches
supposent que les régions neurales impliquées dans l'intuition
sont aussi impliquées dans l'activation de réseaux
sémantiques larges et dispersés pouvant mener à l'insight.
D'autre part, des régions comme les ganglions de la base et le cortex
préfrontal ventro-médian, suggèrent que l'intuition joue
un rôle primordial dans l'apprentissage ainsi que dans tous les types de
comportements rapides et automatiques tels que les jugements basés sur
des stéréotypes ou encore les prises de décision. Dans les
psychoses mais aussi dans tout type de pathologies psychologiques, le fondement
des dysfonctionnements pourrait provenir des apprentissages dysfonctionnels,
des croyances inadaptées, des jugements automatiques engrammés
menant alors, à des raisonnements biaisés et inadaptés au
contexte. Or, les thérapies cognitivo-comportementales se sont
efforcées, dans une première et seconde génération,
de travailler sur les-dites croyances dysfonctionnelles et les raisonnements
défaillants. Pourtant, une meilleure compréhension de
l'intuition, de ses liens avec les processus automatiques et les processus de
contrôle pourraient aider à élaborer des thérapies
permettant de modifier l'intuition, c'est à dire un complexe
cognitivo-émotionnel-contextuel derrière le raisonnement
défaillant. A' mieux comprendre le sentiment de
familiaritéimmédiat et spontanéqui crée le lien
entre les traces mnésiques et l'objet contextuel, il serait possible de
le modifier, de le transformer, et de travailler dessus afin de modifier
l'ensemble des réactions émanant de cette familiarité.
Dans la psychose, l'intuition délirante est souvent
présente dans la paranoïa donnant lieu à un délire
interprétatif mais aussi dans la schizophrénie pouvant
créer des délires hallucinatoires en lien avec cette intuition
primordiale (Minkowski, 1927). Or, nous avons reliél'intuition à
un vide, à une absence d'information élicitant de ce fait un
instinct de connaissance et préactivant à sa suite un certain
nombre de réseaux neuronaux liés à des
représentations
internes, et qui viendraient s'apparier à travers le
sentiment de familiaritéà des objets externes, menant alors
àune sensation de plaisir, à un sentiment
»d'avoir trouvé» en lien avec l'appétence du
désir de connaissance. Cette
conception de l'intuition, pourrait se rapprocher de la
psychanalyse, et des termes de déni(Verleugnung), de forclusion
(Verwerfung), qui supposent une négation, un rejet d'une trace
mnésique. Pour Freud (1895, 1924), ce rejet de la représentation
ressurgira dans le réel sous forme de délire, et proviendrait
d'une »faille dans la relation du moi au monde extérieur»
(Freud, 1924). Ainsi, le délire s'élaborerait autour de cette
faille, autour de cette absence de représentation et
d'élaboration possible. Minkowski (1927) suggérait
déjàau début du siècle précédent, que
les thèmes récurrents abordés par le délire d'un
patient, pourraient avoir une signification avec ce qui a fait
8.4 Vers une compréhension de l'intuition 99
défaut au patient, et ainsi, tout comme Freud, accorder
une fonction réparatrice au délire. Il se pourrait alors, que le
traumatisme en tant que trace mnésique intolérable pour la
conscience, créerait une dépression (dans le sens physique) dans
le réseau mnésique neuronal qui augmenterait l'appétence
du désir de connaissance à travers une pré-activation des
réseaux adjacents. Cette pré-activation figée et
ciblée du réseau mnésique, entraînerait une
recherche d'éléments dans le monde extérieur afin de
remplir cette dépression, et de pallier à ce manque. Ainsi, tout
élément externe se rapprochant des concepts internes
pré-activés susciterait un sentiment de familiaritéet une
impression d'avoir trouvél'élément manquant, menant ainsi
à une intuition délirante et par la suite, à une
interprétation délirante pouvant entraîner un passage
à l'acte. L'intuition délirante proviendrait donc, de cette
absence d'infor-mations dans le réseau, laissée par la faille du
traumatisme. Nous pensons donc, qu'une meilleure compréhension
des processus sous-jacents à l'intuition sous ses
formes sociales, émotionnelles, et sémantiques pourrait aider
àcomprendre ce phénomène d'intuition
délirante présente dans de nombreuses psychoses. Les
mécanismes de l'intui-
tion et plus généralement de l'apprentissage
implicite joueraient aussi un rôle prépondérant selon les
théories des thérapies cognitivo-comportementales dans d'autres
pathologies comme les phobies,
l'anxiétégénéralisée, ou encore la
dépression (Samuel-Lajeunesse, Mirabel-Sarron, Vera, 1998).
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Applications et Limites
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