3.4 Continuitéde l'intuition dans un
environnement virtuel
Il est commun, presque trivial, de souligner la capacitéde
tout individu sain à passer d'une réaliténaturelle
àune réalitévirtuelle. C'est ce que nous
faisons plusieurs dizaines de fois par jour avec nos smartphones, nos commu-
nications en ligne, nos ordinateurs. En science cognitive,
psychiatrie, et réalitévirtuelle, le concept de présence
est utilisépour décrire cette capacitécognitive
étonnante, de maintenir un sens du self et un sens de la
réalitélors de
ce passage. Dans cette étude, nous investiguons les
processus cognitifs et physiologiques impliqués dans la
capacitéde créer cette continuitéentre des environnements
virtuels et naturels et ainsi maintenir une forme de
réalitéfluide
(mélangée) (mixed reality). Cette
dernière correspond à un continuum entre l'environnement
réel et virtuel. Un environnement virtuel est un environnement dans
lequel le participant est totalement immergéet fait l'expérience
d'un monde artificielle, qui peut ou non, respecter les lois physiques de notre
monde, il pourrait s'apparenter au monde du rêve, à la fiction
(Milgram et al, 1994). Au contraire, l'environnement réel est
défini par les lois physiques stables et immuables qui le gouvernent.
La réalitévirtuelle date des années
1960's, pendant lesquelles Morton Heilig créa le premier cinéma
immersif en 1962. Le »Sensorama» était le premier
cinéma individuel projetant cinq courts métrages en exploitant
les différents sens (souffle, vibrations, 3-D). En 1968 est
créée le premier casque de réalitévirtuel,
l'Épée de Damoclès, par Ivan Sutherland. Ce casque
était lourd et ne permettant aucun mouvement. Mais il influencera de
nombreux autres inventeurs, dont Jaron Lanier, qui créa en 1990, le
»Dataglove», muni d'un gant, ce casque permettait de
recréer
3.4 Continuitéde l'intuition dans un environnement virtuel
55
le mouvement dans un environnement virtuel. Il fut
utilisépar la NASA et l'armée dans le but d'entraîner ses
hommes et de les mettre dans des situations au plus proche de la
réalité(combats dans un désert, dans une ville,
déplacement dans l'espace etc..). Paradoxalement, cette même
réalitévirtuelle, est utilisée aussi dans le traitement
des stress post-traumatique chez les vétérans.
La réalitévirtuelle se définit comme
»l'ensemble des techniques et systèmes qui procurent à
l'Homme le sentiment de péenéetrer dans des univers
synthéetiques créeées sur ordinateur; avec la
possibilitée d'effectuer en temps réeel un certain nombre
d'actions déenies par un ou plusieurs programmes informatiques, à
l'aide de techniques qui offrent la possibilitée d'éeprouver
physiquement un certain nombre de sensations (visuelles, auditives, haptiques)
et de pouvoir opéerer dans ce monde par des moyens d'actions
»naturels» comme les mouvement du corps et la voix.»
(Segura, 2012, p.1).
La réalitévirtuelle s'appuie donc sur un double
concept avec d'un côtél'interaction en temps réel avec des
objets virtuels et de l'autre, un sentiment d'immersion qui dépend le
plus souvent des outils et techniques utilisés. L'interac-tion en temps
réel englobe toutes les opérations effectuées sur les
objets virtuels ainsi que sur leurs transformations. Le sentiment d'immersion
dépend essentiellement des outils de réalitévirtuelle et
de leur capacitéà retranscrire l'environnement en augmentant le
nombre de modalités sensorielles impliquées. De nombreuses
sociétés se sont crées dans la Silicon Valley afin de
maximiser le degréde présence au sein d'un environnement virtuel
(exemple de Fake Space Labs dont le but est de faciliter la perception
intuitive humaine face à des données et comportements
générés par un ordinateur).
Le terme de réalitévirtuelle participe aussi au
concept de téléprésence, développépar Scott
Fisher à la NASA, qui permet à un opérateur humain munis
de gants, d'un visiocasque et d'une télécommande permettant de
donner des ordres de déplacements et gestes au robot
situéà distance dans un environnement hostile ou inaccessible
(drones utilisés par l'armée, mais aussi dispositifs permettant
d'explorer les fonds marins). Ce même robot, peut en retour, envoyer des
informations à l'opérateur sur la nature de l'environnement et
sur les conséquences des actions effectuées. (Segura, 2012). La
réalitévirtuelle participe aussi au concept de
télévirtualitéqui permet à plusieurs personnes de
partager une même expérience dans des mondes virtuels, et
permettre de la même façon une communication entre les personnes
et les objets virtuels. La télévirtualitéest
utilisée dans les jeux vidéos mais aussi dans le monde
professionnel, »Skype» pourrait être une forme
simplifiée de télévirtualité. Enfin, la
réalitévirtuelle comprend aussi la
réalitéaugmentée qui »propose de méelanger
des images et graphiques de synthèse en surimposition du monde
réeel par le biais d'interfaces déediéees de type
visières ou surface semi-transparente» (Ibid, p.9).Ses
applications les plus utiles pourraient concerner la médecine avec la
visualisation en direct des organes d'un patient grâce aux images
provenant d'un appareil d'examen tomographique (scanner X ou IRM).
Le terme de réalitévirtuel se
réfère généralement à un des trois types de
présentations virtuelles : (i) un environ-
nement présentésur un écran plat tel que
les jeux vidéos sur ordinateur, les films... (ii) un environnement
présentédans un CAVE (Cave Automatic Virtual Environment), qui
est un ensemble de 3 à 6 écrans formant un cube d'en-
viron 9m2 et oùsont projetés en haute
résolution un environnement préalablement
modélisésur ordinateur, et dans lequel l'utilisateur est en total
immersion et peut, dans certains cas, interagir grâce à des
lunettes et des capteurs de mouvement. (iii) L'environnement peut être
présentédans un casque de réalitévirtuel (Head
Mounted display), qui suit les mouvements de l'individu et qui adapte
l'environnement 360° en temps réel (Christophe et Sorenzo,
56 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente
2015). Ces systèmes créent tous l'illusion de
percevoir des objets dans un espace 3-D, et permettent d'interagir avec (Burdea
et Coffit, 2003). Les possibilités presque illimitées de
création, la possibilitéde contrôler strictement les
stimuli et l'environnement, et la facilitéà mesurer les
réactions de l'individu comparéà l'environnement naturel,
en font un outil riche d'application dans de nombreux domaines comme
l'éducation, la médecine, la psychothérapie, et la
recherche. Même si la personne sait que l'environnement n'est pas
naturel, mais artificiel, les perceptions des objets virtuels entraînent
des manifestations émotionnelles (Diemer et al, 2015). L'individu a
l'impression »d'être là» (Lombard et Ditton, 1997), de
se sentir »présent» dans ce nouvel environnement et d'y
réagir comme il le ferait dans une situation naturelle. Par
conséquent, les automatismes, les processus émotionnels et
cognitifs utilisés dans un environnement naturel aux lois physiques
reconnues (temps, gravité, espace, danger), se transmettent en changeant
d'environnement. Les modèles structuraux qui permettent de comprendre
cette continuité, cette sensation de présence, le font à
travers l'analyse des processus émotionnels et cognitifs (Sheridan,
1999; Schuemie et al, 2001). Le modèle le plus récent
suggère que la sensation d'être dans un environnement virtuel est
associée avec la »précision des signaux intéroceptifs
prédictifs» (Seth, 2012, p.12). Par conséquent, les stimuli
interoceptifs sont continuellement interprétés et prédis
en fonction du différentiel entre les informations bottom-up
(perceptions) et les prédictions et anticipations top-down. Ce
différentiel est appelé»erreur de prédiction»
dans les modèles bayésiens appliqués aux sciences
cognitives et permet grâce à un ensemble de boucles
rétro-actives d'adapter constamment le comportement à la
situation présente. La perception intéroceptive comprenant la
sensation des viscères mais aussi les sensations liées à
la température, au rythme cardiaque, à la transpiration,
joueraient un rôle dans la sensation d'être là, d'être
soi dans un environnement virtuel. La perception intéroceptive est
indispensable dans les prises de décisions intuitives (Bechara et al,
1997; Crone et al, 2004; Damasio, 1995; Tomb et al, 2002), ainsi que dans la
sensation de continuum entre les différents environnements, c'est
pourquoi nous supposons que les processus cognitifs impliqués dans
l'intuition sont aussi ceux impliqués dans la sensation de
continuitédu self entre naturel et virtuel.
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Problématique et hypothèses
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