3.1.2 Le non-conscient dans la clinique
Il y a plus d'un siècle, Claparède, neurologue,
psychologue et s'intéressant de près à la psychanalyse,
serra la main d'une patiente atteinte du syndrome de Korsakoff avec une
aiguille entre les doigts. Le lendemain, cette patiente ne se souvenait pas de
son médecin (le syndrome de Korsakoff provoque des amnésie
à court terme), mais elle refusa pourtant de lui serrer la main. Ainsi,
nous supposons qu'une partie d'elle avait bien associée et
enregistrée Claparède et l'aiguille. Il existerait donc une
mémoire corporelle qui pourrait fonctionner sans l'intervention de la
conscience.
Une autre expérience, très similaire à la
précédente, montre que certains cas d'amnésie seraient
moins un déficit de mémoire qu'un trouble lors de la
récupération des souvenirs. Jacoby et Kelley (1987) raconte
l'histoire d'un psychologue qui recevait un patient atteint de Korsakoff et qui
eu l'idée de raconter toujours la même blague pendant l'entretien
pour faire rire et détendre son patient (et au passage, minimiser sa
créativité). La première fois qu'il raconta sa blague, le
patient rit. Mais le jour d'après, le patient trouva la blague stupide
et pas drôle ' alors même qu'il disait ne pas connaître la
blague. Le patient aurait inconsciemment anticipéla chute de la blague,
annulant son effet amusant. L'information aurait bien
étéenregistrée, mais la personne serait incapable d'y
avoir accès consciemment. Toutefois, l'information continue d'avoir un
effet sur son comportement et ses réactions.
De la même façon, des patients atteints de
lésions au niveau des aires corticales visuelles, qui les privent d'une
vision consciente (ils se comportent comme des aveugles) sont capables
d'indiquer la position d'un objet avec une grande précision (Weiskrantz,
1986). La première hypothèse stipule, que les informations
visuelles provenant de la rétine, et se projetant sur le corps
géniculélatéral par l'intermédiaire de l'axone du
nerf optique, contourneraient la lésion du cortex occipital, et seraient
déviées à 30% en direction du thalamus. Pourtant certains
comportements de patients victimes de lésions occipitales seraient trop
complexes pour ne provenir que de structures sous-corticales. Il a
étémis en évidence que les informations visuelles
pouvaient être déviées vers le lobe pariétal qui
analysait la
3.1 L'inconscient cognitif 47
Figure 3.1. Le Doux, Wilson et Gazzaniga,
1977
taille, l'orientation et les formes présentées
à la rétine (Milner et Goodale, 1991). Il y aurait donc un
traitement implicite de l'information.
L'expérience de Halligan et Marshall (1988) montrerait de
la même façon que des patients ayant une négligence
spatiale unilatérale sont capables de traiter
implicitement la partie de l'image qui leur est normalement impossible
àpercevoir consciemment. Les patients
héminégligents auraient des lésions unilatérales au
niveau d'un réseau atten-
tionnelle complexe encore mal
délimitéaujourd'hui (Ptak, 2014), qui les priveraient du champ
visuel controlatéral à la lésion. Ainsi, une
héminégligence droite empêche l'orientation de l'attention
vers la partie gauche de l'espace. Ces patients se raseront que du
côtédroit ou ne dessineront que la partie droite d'un dessin, d'un
visage. Pourtant, Halligan et Marshall (1988) démontre que ces patients
perçoivent toujours inconsciemment la partie négligée et
sont capables de la traiter. Dans leur expérience, ils ont
présentéaux patients, négligeant la partie gauche, deux
maisons, dont l'une avait la partie gauche en flamme. Alors que pour le
patient, ces deux maisons étaient strictement les mêmes
(négligence de la partie gauche enflammée), lorsqu'on lui
demandait dans laquelle il voudrait vivre, il choisissait
systématiquement celle sans flamme. Les informations
négligées seraient donc présentes dans le cortex des
patients héminégligents.
Les patients ayant subi ou souffrant de callosotomie
(split-brain), ont les deux hémisphères
séparés,ceux-ci ayant un fonctionnement plus ou moins
indépendant. Dans l'expérience de LeDoux, Wilson et Gazzaniga
(1977), il était demandéà un jeune garçon ayant
subit une callosotomie de juger ce qu'il ressentait à propos de certains
mots, sur une échelle de 1 à 7 avec 1 comme bien, et 7 comme mal.
On adressait successivement les mots à son hémisphère
gauche puis à son hémisphère droit. Étonnement, les
résultats montrèrent que l'hémisphère droit juge
différemment et plus négativement que l'hémisphère
gauche. Sans arrière-pensée psychanalytique, on constate que les
mots ayant la plus grande différence de jugement sont : mère,
sexe, guerre, son prénom et son personnage de télévision
préféré.
48 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente
Une autre patiente très connue des neurocognitivistes,
Vicki, se plaignait après sa callosotomie de ne plus pouvoir s'habiller
normalement. En effet elle passait plusieurs heures avant de se mettre d'accord
sur sa tenue. Lorsque sa main gauche attrapait un habit, aussitôt sa main
droite s'en emparait pour le lui retirer (Wolman, 2012). Ces observations
cliniques posent la question de l'unitéde la conscience au sein du
cerveau, l'hémisphère gauche aurait un jugement différent
de l'hémisphère droit; le Christ en avait
déjàpressenti l'hypocrisie : » Mais toi quand tu fais
l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite.»
(Evangile selon Matthieu 6 (1-8)).
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