2.2.2 L'empathie émotionnelle : une catégorie
de l'intuition
Liebermann (2009) définit l'empathie
émotionnelle comme un processus automatique, non-conscient
oùla personne ressent les émotions d'autrui à partir de
représentations mentales communes (Liebermann et Ramson, 2009, p.
3). Cette définition se rapproche du modèle de Friston (2015)
présentédans la partie précédente, qui suppose un
générateur commun permettant à deux interlocuteurs de
rentrer dans une forme de synchronisation.
L'empathie pourrait aussi être assimilée à
une capacitésomatique de deviner ce qui se dissimule derrière les
mots. Tout comme l'intuition, l'empathie s'incarne dans le corps, dans la
sensation pour ensuite mener à une réflexion
(morale/éthique) et/ou à une action/décision. Nous
pourrions reprendre les termes de Freud (1913), et renommer l'empathie,
»empathie intuitive» (intuitive Einfuhlung) afin de mieux
souligner le rôle de l'intuition dans l'empathie. L'intuition n'est pas
que de l'empathie, mais l'empathie a besoin de l'intuition pour exister, c'est
à dire de cette capacité»de voir au travers», de
résonner, de se synchroniser avec l'autre, avec ce qui est en-dehors du
Moi, c'est à dire l'autre.
Pourtant certaines études tendent à montrer
qu'il est plus difficile d'être empathique lorsque nous ne partageons pas
la même représentation qu'autrui. Ainsi les patients qui souffrent
d'alexithymie ont plus de difficultés à décrire
l'expérience émotionnelle d'autrui dans certaines situations
(Bydlowski et al, 2005 citépar Liebermann, 2009).
D'autres études citées par le même auteur,
vont dans ce sens, et montreraient que les patients alexithymiques sont
incapables de se mettre à la place d'autrui. Sifneos (1973)
définit l'alexithymie comme un déficit de l'affect
2.2 Une fonction sociale 39
~ une vie fantasmatique pauvre avec comme résultat
une forme de pensée utilitaire, une tendance à utiliser l'action
pour éviter les conflits et les situations stressantes, une restriction
marquée dans l'expression des émotions et
particulièrement une difficultéà
trouver les mots pour décrire ses sentiments , et une
inhabilitéà pouvoir faire des connexions entre les
émotions et les idées, les pensées, les fantasmes, qui en
général les accompagnent ~. Les patients alexithymiques sont
surtout incapables de se relier à leurs émotions, ce qui par une
absence de représentations internes et élaborées, les
empêcheraient par la même, de ressentir les émotions
d'autrui.
Il y aurait alors une incapacitéà traduire les
signaux somatiques de l'émotion (tachycardie, bouffées de
chaleur, tremblements) vers un niveau subjectif et à les élaborer
en émotions (joie, tristesse, peur...). La personne souffrant
d'alexithymie est empêchée de s'emparer de ses émotions et
de les élaborer grâce au langage (c'est à dire de
subjectiviser l'objet somatique).
L'intuition semble aussi fonctionner sur ce modèle :
les informations de l'environnement sont perçues au niveau somatique
pour être ensuite élaborées, interprétées et
ainsi subjectivisées par l'individu. Le langage possède ici
une
valeur principielle qui permet de structurer et
matérialiser l'intuition ressentie et ainsi le rendre
interprétable àl'autre. Il y a une prise de position
subjective, qui donne ainsi corps à l'intuition. Nous retrouvons ce
terme de
»prise de position», dans la définition que
donne Freud (1921) de l'empathie : Partant de l'identification une
voie mène, par l'imitation, à l'empathie,
c'est-à-dire à la compréhension du mécanisme qui
nous rend possible toute prise de position à l'égard d'une vie
d'âme. (citépar Widlöcher, 2013, p. 2)
Par conséquent, nous retiendrons que l'empathie peut
être considérée comme une fonction de l'intuition sociale,
c'est à dire comme capacitéde ressentir ce que l'autre vit dans
toute sa personne, dans le but d'y répondre de façon
adaptée. Si je ne peux ressentir la colère d'autrui, comment
pourrais-je l'éviter/l'amoindrir? Si un ami ne peut me faire ressentir
sa tristesse, comment pourrais-je savoir son besoin de consolation? Cette
capacitéserait nécessaire à la vie en groupe, et
permettrait la régulation, l'homéostasie des émotions
individuels, dans le but de parvenir à un certain équilibre au
sein du groupe, et de ce fait, à être plus à même de
se tourner vers l'extérieur, et d'éviter/résoudre les
conflits internes.
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