2.2 Une fonction sociale
2.2.1 La synchronisation
généralisée
Un système en physique est défini comme un
ensemble d'éléments interagissant entre eux selon certaines
règles. Il peut être ferméou ouvert, et est
analyséen rapport à son environnement.
Il existe trois sortes de systèmes : aléatoires,
déterministes et chaotiques. Les systèmes aléatoires
évoluent au hasard sans qu'aucune équation ne les régisse,
les systèmes déterministes sont déterminés par des
lois mathématiques connues et sont donc prévisibles. Les
systèmes chaotiques sont infiniment complexes, et nous pouvons dire
qu'ils sont à la fois déterministes et aléatoires. Un
système est dit chaotique s'il est régi par des lois
déterministes connues mais que son évolution échappe tout
de même à toute prévision sur le long terme. Ainsi
même le mouvement de la Terre à l'échelle de l'Univers et
non pas du seul système solaire décrit un mouvement chaotique; la
fumée d'une cigarette s'élevant des les airs et formant une
figure bien étrange peut aussi être considérée comme
un système chaotique.
Nous ne rentrerons pas dans les détails, mais il semble
que ces systèmes soient attirés par une figure
géométrique nommée »attracteur étrange»
ou »attracteur de Lorenz», (figure 2.1) qui est une structure
fractale non périodique, souvent représentée comme suit
:
2.2 Une fonction sociale 37
Figure 2.1. Attracteurs étranges, pris
du site accromath.uqam.
Le fait de considérer un système comme chaotique,
peut intéresser les psychologues, en ce sens, que toute
psychéhumaine pourrait être représentée comme un
système complexe. En effet, à l'inverse des théories
déterministes
qui supposent qu'en connaissant toutes les informations d'une
condition initiale, il serait possible de prédire son évolution,
les théories chaotiques supposent qu'un système sensible aux
conditions initiales ne peut être prédit, car chaque nouvelle
information sera susceptible de changer le cours de son évolution. Le
modèle n'est donc jamais stable.
C'est de cette théorie que provient l'idée
populaire qu'un battement d'aile de papillon au Japon pourrait produire une
tornade à New-York. C'est le fameux effet papillon. Il n'est pas utile
pour notre propos d'étudier plus en avant cette théorie, ce que
nous retiendrons ici est le terme de complexité. C'est à dire que
le comportement humain peut être comparéà un système
complexe non-déterministe. Pourtant à travers cette
complexitéet cette instabilité, nous devons naviguer, et
construire une forme de stabilité, même illusoire, de la
réalité, et de l'autre qui nous fait face.
C'est pourquoi selon Friston et Frith (2015), nous
inférerions en permanence le comportement d'autrui, et ce dans le but de
maximiser la capacitéprédictive de notre modèle
bayésien et ainsi, minimiser l'effet de surprise. Dans leur
expérience, Friston et Frith (2015) ont modélisédeux
»cerveaux bayésiens» qui tentent de se prédire
mutuellement, d'anticiper les réactions d'autrui (figure 2.2). Leur
étude montre que deux cerveaux qui tentent de se prédire, se
règlent l'un sur l'autre et accèdent ainsi à un
état général synchrone (generalized synchronisation). Nous
pourrions comparer ces deux cerveaux aux deux pendules de Huygens (1673). En
1665, Huygens observa la synchronisation de deux pendules placés
côte à côte. Il interpréta ce phénomène
intuitivement, en le nommant sympathie : d'imperceptibles mouvements se
transmettraient entre les pendules. De la même façon, deux
personnes synchronisées seraient deux personnes partageant la même
scène narrative. Il y aurait donc l'introduction d'un tiers faisant
office de lien entre deux personnes étrangères et
imprévisibles l'une de l'autre.
38 2 L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?
Figure 2.2. Synchronisation
généralisée (pris de Friston et Frith, 2015)
Friston et Frith (2015) supposent alors qu'une telle
synchronisation entre deux personnes ne peut avoir lieu que si elles partagent
le même modèle générateur. Nous pourrions dire que
ce modèle commun fonctionne comme un tiers faisant office de lien au
réel, et regroupant ainsi les mythes, les croyances partagées par
l'ensemble des êtres humains : ceci se rapproche de l'inconscient
collectif de Jung. D'une façon plus générale, nous
pourrions dire que le langage fait office de tiers dans la relation à
l'autre, et permet de part la structure langagière (logique)
partagée par tous, de se synchroniser à l'autre et de partager la
même scène narrative, le même lieu de pensées.
Quel que soit le domaine d'expertise de l'auteur (philosophie,
psychanalyse, physique, psychologie cognitive), la notion de sympathie est
utilisée quand il s'agit de d'intuition ou d'anticipation, et dans un
sens plus large de la notion de résonnance (Denis, 2003).
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