2.1.2 Le cerveau bayésien
Parce que notre perception de l'environnement est incertaine
(Helmotz, 1866), le cerveau inférerait la perception à partir de
nos expériences antérieures. Selon le modèle
bayésien probabiliste, le cerveau effectuerait une série de
calculs dans le but d'interpréter de façon optimale
l'environnement et vérifierait ainsi des hypothèses à
partir de données antérieurs, selon la règle de Bayes
suivante :
P(donn'ees|hypoth`ese)P(hypoth`ese)
P(hypoth`ese|donn'ees) =
P(donn'ees)
L'équation P(hypothèse|données) mesure la
compatibilitédes données recueillies avec l'hypothèse
proposée. P(hypothèse) correspond à la
probabilitéque l'hypothèse soit vérifiée à
priori, elle est appelée distribution de probabilitéà
priori. Le terme P(données) est normatif, il correspond à la
probabilitéque les données se réalisent et permet que
P(hypothèse | données) soit compris entre 0 et 1.
Si nous imaginons un conducteur sur une route de campagne, qui
face à un obstacle doit freiner d'urgence, il pourrait être
possible d'utiliser le modèle bayésien avec des données
multimodales. Simplifions les données environnementales à la
perception visuelle de l'obstacle (V) et à la perception auditive du cri
du passager (A). L'hypothèse serait qu'un accident se produise (W) et la
décision serait alors de freiner rapidement.
P (V, A|W )P (W )
P (W |V, A) = P(V,A)
Dans ce cas précis P(W|V,A) correspond à la
distribution de probabilitéà postériori qu'un accident
survienne lorsqu'un obstacle se trouve sur la route et que mon passager hurle
de peur. La fonction de vraisemblance P(V,A|W)
indique quelle serait la probabilitéque V et A se
produisent si un accident survenait. Tandis que P(W) correspond
àla distribution à priori, qu'un accident survienne
sur notre route de campagne. Elle se base donc sur nos expériences
antérieures.
D'autre part notre cerveau pourrait aussi évaluer la
probabilitéqu'un obstacle soit sur la route, et qu'un cri se produise au
même moment, pour inférer un accident ou au moins un danger
imminent, même si ces deux éléments sont
indépendants.
2.1 Une fonction d'anticipation 35
C'est à dire que :
P(V,A|W) = P(V
|W)P(A|W)
Ce modèle peut s'appliquer à la théorie
prédictive pour qui le cerveau prédit constamment la
réalité. Schultz (2000) montre que des populations de neurones
à dopamine, norepinephrine, ainsi que des neurones des noyaux de la base
sont sensibles aux erreurs de prédiction. C'est à dire que
lorsqu'une récompense ou une punition est attendue et qu'elle ne
survient pas, on constate un signal qui code pour cette erreur de
prédiction (différence entre
ce qui est attendu et ce qui arrive). La Mismatch Negativity
(MNN) correspondrait aussi à un signal en réponse
àune erreur de prédiction. Un élément
»déviant» (oddballs) qui est insérédans une
série d'éléments répétés produit
une réponse qui peut être enregistrée
comme un potentiel évoquénégatif survenant entre 100 et
200 ms après le changement au niveau des régions frontales
(Garrido, Kilner, Kiebel et Friston, 2009). De même, le
phénomène de répétition-suppression montre une
diminution de l'activitécérébrale lorsqu'une image est
répétée plusieurs fois (Naccache et Dehaene, 2001). Les
signaux sensoriels reçus par le cortex seraient des signaux desquels on
a soustrait ce qui pouvait être prédit, seule l'erreur de
prédiction serait traitée. Cette façon de procéder,
permettrait de gagner du temps, ainsi avant même que l'information ne
survienne nous aurions déjàune construction de la
réalitéen mémoire, ce qui permettrait de filtrer les
entrées sensorielles et de restaurer les entrées manquantes (nous
clignons des yeux plusieurs milliers de fois par jour, pourtant il est rare que
notre image visuelle en soit perturbée), ceci aurait aussi un avantage
en terme d'énergie : seul ce qui n'est pas prévisible est
transmis. D'autre part, si le modèle prédictif tient compte de la
plasticitédes connexions synaptiques, il serait probable qu'il se
modifie sans cesse sous le poids des nouveaux signaux d'erreurs.
Dans le cas de notre conducteur, la probabilitéde voir
un obstacle sur la route, et la probabilitéque le passager hurle de
peur, sont assez faibles, par conséquent cela conduira à une
augmentation de l'activitécérébrale. Ainsi pour
éviter cet obstacle et donc obtenir la récompense de ne pas
être blessé, le conducteur devra agir de façon rapide et
précise. Nous pouvons imaginer que cette augmentation de
l'activitécérébrale face à un
évènement imprévu entraîne une augmentation des
perceptions, de l'attention, et une promptitude à réagir. Il se
peut comme le propose Friston (2005) que ce modèle puisse
s'élargir à l'ensemble du vivant dans le but de maintenir un
minimum d'entropie dans un environnement constamment changeant. Il est ainsi
possible de parler de dissonance entre ce qui est attendu et ce qui est
perçu. Cette différence ou erreur de prédiction est alors
immédiatement traitée et entraînerait une augmentation de
l'activitécérébrale.
Ce modèle pourrait s'appliquer à l'intuition
dans le cas de la communication et plus largement dans le cas d'une dissonance
quelconque. Ainsi lorsque deux interlocuteurs communiquent, des signaux verbaux
et non-verbaux sont émis et reçus. Chacun de ces interlocuteurs
attend de l'autre une réponse plus ou moins précise et tente
ainsi d'inférer un comportement. Cela viendrait du fait que nous tentons
de minimiser la surprise dans notre environnement (Brown and Br·un,
2012) et ainsi maximiser nos chances d'adaptation, de décisions et plus
largement de survie (Friston,
2005). D'une certaine façon, nous pouvons dire que nous
tentons à chaque moment de la conversation de prédire
àl'avance le dialogue que nous allons avoir et les
répliques que nous allons donner car chaque type de conversation
correspondrait à un modèle que nous avons en
mémoire. De la même façon, l'intuition nous permettrait
d'agir dans un environnement constamment changeant sur la base de nos
expériences passées et de nos connaissances. La
36 2 L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?
présence d'indices perçus consciemment ou
non-consciemment dans l'environnement, nous permettrait d'anticiper de
façon probabiliste, les différentes scènes de
l'environnement selon des scénarii déjàengrammés
dans la mémoire àlong terme. L'anticipation serait une
fonction du vivant liée à l'adaptation et à la
volontéde vivre. Une espèce capable
de prévoir le comportement d'un prédateur pourra
plus facilement lui échapper. De la même façon, les humains
mobilisent toute leur intelligence pour prévoir les catastrophes
naturelles, les maladies, ou encore les guerres ou
crises économiques afin d'y faire face et de se
sauvegarder en tant qu'espèce. L'intuition permettrait donc face
àune série d'indices provenant de l'environnement de
créer du lien dans le but de minimiser la surprise et maximiser
la prédiction. De la même façon et
à la lumière des éléments précédents,
nous pourrions supposer que le mécanisme de l'anticipation
entraîne une suractivation de l'attention pour les représentations
activées en interne, dans le but de créer du sens dans
l'environnement réel. Je cherche dans le monde externe, ce que je crois
qu'il devrait arriver. Ainsi ce qui se joue sur la scène psychique (la
croyance) doit trouver écho sur la scène externe
(familiarisation) afin d'être validéet accepté.
Nous retrouvons dans la théorie de Friston (2015) qui
sera présentéci-après, une référence
à la mathématique du chaos que nous introduirons avant la
présentation de sa théorie.
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