§3 pluralité des instances d'intervention au
niveau local
Comme nous venons de le voir, l'ambiguïté de la
législation ne permet pas d'unifier l'interprétation des textes
législatifs. La pluralité des instances de mise en oeuvre de la
législation foncière ne permet pas non plus d'unifier les
pratiques. Ainsi peut-on observer des trajectoires différentes pour
l'acquisition des terres d'une concession rurale ou la résolution d'un
conflit s'y apportant.
En ce qui concerne l'acquisition des terres rurales, on voit
intervenir divers autorités locales, régionales, ou nationales
dans un ordre qui diffère, en fonction de la nature des terres à
enregistrer (terres coutumières ou « domaine de l'état
»), de l'envergure sociale ou politique du demandeur de l'enregistrement,
de Sa solvabilité ou de ses relations personnelles avec les membres de
l'appareil administratif ou judiciaire, plus spécialement des agents des
services des titres fonciers.
§4 les facteurs qui empêchent l'enregistrement
du sol par les paysans
Le récit de l'existence du parc national de kahuzi
biega nous a révélé que les populations concernées,
au point de vue foncier, par cette extension, n'ont été
informées de
21 KALAMBAY, G., Le droit foncier zaïrois et
son unification, thèse, Louvain-la-Neuve, UCL, 1973, 641 p.
Cité par MUGANGU MATABARO Séverin, thèse, op cit, p.6
22 MUGANGU MATABARO Séverin, op cit,
p.6-7.
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l'existence de la dite loi que onze ans après. Si
à ce moment-là, ces populations n'avaient pas concrètement
été menacées d'exploitation, il est évident
qu'elles n'auraient jamais été au courant de l'existence de la
dite loi.
Les lois, en effet, sont portées à la
connaissance du public en RD Congo Par la publication au journal officiel. Le
service qui s'en charge est rattaché à la présidence de la
république et n'est pas doté des structures-relais dans les
provinces. Par conséquent, les lois ne sont pas physiquement à la
portée de tous les citoyens. Au demeurant le vocabulaire très
technique des lois exclut déjà de sa connaissance une fonction
importante de la population.
En interrogeant certains paysans d'ikoma à walungu/
chefferie de ngweshe sur la connaissance de l'existence de la loi
foncière, nous n'avons guère été surpris se savoir
que la plupart (21/23) n'en n'avait jamais entendu parler. Nous pouvons ainsi
supposer qu'un facteur des facteurs qui empêchent l'enregistrement des
terres par les paysans serait la méconnaissance de l'existence de la
législation et, à plus forte raison, la méconnaissance de
son contenu.
Nous avons également analysé que les paysans du
Bushi cherchait avant tout à sécuriser sa terre. N'étant
pas conscient des garanties qu'offre la loi foncière, il se contente des
solutions (fragiles) qui lui sont offertes par l'autorité
coutumière qu'il considère comme légitime (le «
contrat de délimitation », le « bugule ») ou en invente
d'autres à l'ombre de celles-ci (les ventes des terres avec l'accord des
chefs locaux). Et quand bien même il en serait conscient, deux types de
facteurs pourraient encore l'arrêter : la procédure
d'enregistrement des terres rurale et le cout des opérations.
En effet, l'enregistrement par les paysans de sa terre, pour
être conforme à la loi, doit souscrire à la
formalité de l'enquête préalable, la quelle « a pour
but de constater la nature et l'étendue des droits que de tiers
pourraient avoir sur les terres demandées en concession ». (Article
193, §2).
Il se fait justement, comme nous l'avons déjà
mentionné, que différents individus exercent sur la terre du
Bushi des droits différenciés. Il faudrait par conséquent
que les paysans désintéressent tous ceux qui auraient les droits
à revendiquer sur le terrain ; encore faut-il que ces derniers
consentent à être désintéressés. En effet, en
demandant l'enregistrement, le paysan cherche à sortir la terre de son
contexte social et juridique spécifique et, par conséquent,
menace de rompre la « chaine de solidarité » dont la terre est
support au niveau du terroir. Autant donc il ne peut se permettre de
compromettre son intégration sociale du fait de la tentative de faire
enregistrer, autant les hiérarchies sociales
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locales dont il essaierait de s'affranchir, pourraient
multiplier les obstacles pour faire échec à sa
démarche.
Nous savons du reste que les chefs coutumiers du Bushi ont
eux-mêmes crée préalablement à l'introduction de la
demande de concession, une série des procédures qui semblent
avoir été validé par l'administration foncière. A
ces procédures déjà fortes onéreuses,
succèderait alors la phase de l'enregistrement qui met en scène
le géomètre du cadastre (Art.191, 4B, a et b), le commissaire
sous régional, le commissaire de zone et le conservateur des titres
immobiliers (Art.190, 193,195). Outre que ces autorités sont
physiquement hors de portée du paysan, les couts, surtout informel
(corruption et autres) de l'enregistrement sont tels que le paysans du Bushi ne
trouverait guère d'intérêt à initier la
procédure.
On sait par ailleurs que les rapports entre l'administration
et le paysan au Bushi, comme peut-être partout en RDC, sont encore
marqués par le souvenir colonial de la contrainte et de l'exploitation.
Les paysans évitent par conséquent d'avoir affaire à
l'administration de façon générale. Celle-ci est
perçue comme une structure parasitaire et tout à fait inapte
à apporter des réponses aux problèmes de la
société rurale. On a, du reste, d'autant moins de raisons de
chercher sa protection, en ce qui concerne la protection des biens, que l'on a
vu des concessionnaires exciper des titres légaux sans pouvoir jouir de
leurs de fond et que des solutions (« titres fonciers coutumiers »)
sont offertes aux paysans contre ceux qui les menacent potentiellement : les
voisins et les chefs.23
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