§2 Ambiguïté normative et
responsabilité mal définie
La plasticité de l'action administrative dans la mise
en oeuvre de la législation foncière est déterminée
essentiellement par l'impératif pour l'administration de
s`insérer à son environnement politique et social. Elle est
également favorisée et facilitée par
l'ambigüité de la législation et l'enchevêtrement des
instructions de mise en oeuvre de cette dernière qui offrent aux
pratiquent administratives un champ de déploiement extrêmement
fertile.20
Les terres rurales forment une catégorie
résiduelle. La loi définit les terres urbaines comme celles qui
sont situées dans les circonscriptions urbaines. Toutes les autres sont
rurales. Parmi
19 USAID : AU-DELA DE LA
STABILISATION : Comprendre le dynamique des conflits dans le Nord
et Sud-Kivu en RDC, février 2015, p.32-33.
20 MUGANGU MATABARO
Séverin, La gestion foncière rural au zaïre :
Réformes juridiques et pratiques foncières locales Cas du
bushi, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 1997, p.
188.
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celles-ci, il y a lieu de distinguer les terres
concédées, les terres affectées au domaine public et les
terres occupées par les communautés locales. Ces
dernières, qualifiées de terres indigènes dans la
législation coloniale, étaient régies par les coutumes
locales et gérées par les autorités coutumières.
Elles étaient la propriété des communautés
indigènes.
Aux termes de l'article 387 de la loi dite foncière,
« les terres occupées par les communautés locales deviennent
à partir de la promulgation de la présente loi des terres
domaniales ». Elles font désormais partie du domaine foncier
privé de l'État. En déterminant les compétences en
matière foncière, la loi a expressément
écarté les autorités coutumières du rang des
gestionnaires de son domaine.
Au regard de l'article 56 alinéa 2 de la loi qui
dispose que les terres du domaine privé de l'État sont
régies par la présente loi et ses mesures d'exécution,
nous pouvons affirmer que les terres occupées par les communautés
locales relèvent bel et bien de la loi du 20 juillet 1973 et qu'en
conséquence nul ne peut se prévaloir des droits fonciers ou
immobiliers sur elles, s'il n'est détenteur d'un certificat
d'enregistrement (Art. 219).
L'Article 389 de la même loi dispose, pour sa part, que
les droits de jouissance régulièrement acquis sur ces terres
seront réglés par une ordonnance du Président de la
République. La question que soulève cet article est de savoir si
le législateur a voulu par cette disposition réserver le
régime applicable à ces terres à une loi
ultérieure. Si la réponse est affirmative, on pourrait alors
soutenir avec la cour suprême de justice qu'en attendant l'ordonnance
présidentielle promise, les droits de jouissance sur ces terres sont
régis par le droit coutumier (CSJ, RC 1932, 20 janvier 1988,
RJZ, 1988, p. 7, supplément n° 3).
Suivant cette position de la cour, ces terres ne
relèveraient donc pas de la loi dite foncière. Elles sont
régies par les coutumes locales et gérées par les
autorités coutumières. Cette interprétation reconduit en
fait le dualisme juridique auquel la loi du 20 juillet 1973 a voulu mettre fin.
Elle est en contradiction avec la lettre et l'esprit de la loi.
Au demeurant, la même cour suprême de justice
contredit cette position dans un autre arrêt où elle juge : «
en vertu de la loi foncière, toute règle coutumière en
matière d'occupation des parcelles a été abrogée
». (CSJ, RC334, 09 avril 1980, RJZ, 1988, p.8, supplément
n° 3).
Force est de constater que les droits des communautés
locales sur les terres qu'elles occupent, sont indéterminés.
L'équivoque se situe à trois niveaux :
1. au niveau du régime juridique de ces terres,
c'est-à-dire des règles applicables à ces terres,
2. au niveau de l'autorité gestionnaire,
3. au niveau de la nature des droits des exploitants paysans.
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Hélas, la doctrine juridique congolaise n'arrive pas
non plus à lever l'équivoque21. Au-delà des
considérations qui précèdent, les termes mêmes
utilisés par le législateur sont sociologiquement
équivoques. D'un côté, le concept de «
communauté locale » n'a pas un contenu et un contour précis
; de l'autre, il est difficile de déterminer les « terres
occupées par les communautés locales ». À propos de
ces dernières, on s'interroge : s'agit-il de toutes les terres
situées dans les limites des entités administratives rurales ? En
d'autres mots, s'agit-il des terres revendiquées comme terre ancestrale
par une tribu, un clan, un Segment de clan, ou une famille élargie ? La
loi précise à l'article 388 qu'il s'agit des terres que les
« communautés locales habitent, cultivent ou exploitent d'une
manière quelconque, individuelle ou collective, conformément aux
coutumes et usages appartenant, des terres considérées comme
l'héritage inaliénable des ancêtres.22
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