§2 Exploitation des Marais (formules
contractuelles)
Dans les marais, les acteurs fonciers sont, d'une part, les
chefs de villages (représentant du Mwami et gestionnaires des zones
appelées « Ndalo », dans des marais collectifs ; un petit
marais ou de taille moyenne, en général géré par un
seul chef de village, s'appelle « Nfunda » et d'autre part, les
« Bwassa » locataire terriens, exploitant les lopins ou parcelles
composant les « Ndalo » ou les « Nfunda ». Les chefs de
villages (Barhambo) gèrent et contrôlent l'usage de l'espace
(Ndalo/Nfunda) sous leur responsabilité, sans interférence
mutuelle. Chacun, du fait de ses rapports lignagers avec le Mwami. Un chef de
groupement de la lignée du Mwami peut, lui, gérer et
contrôler un « Ndalo » ou un « Nfunda » sis dans son
entité (le groupement).
Il faut noter que la gestion du « Nfunda » ou du
« Ndalo » est plus liée aux relations lignagères avec
le Mwami qu'aux fonctions que confère le titre de chef de groupement.
Normalement, le Mwami, moins, moins encore le chef de groupement ou de village
ne doivent pas vendre ou donner à titre définitif les marais ou
une portion de marais, du fait de leur statut communautaire. Ils peuvent juste
attribuer des parcelles (champs) à leurs dépendants, chefs des
familles qui les gèrent en patrimoine familial et non en
propriété privée. Souvent, dans les marais non
drainés, il y a des inondations. Il s'ensuit, entre autres, des
conséquences foncières : à la décrue de la
rivière principale, les eaux d'inondations tracent de nouveaux drains
qui deviennent de nouveaux repères des limités ; aussi, les
d'inondations fondent la terre et nivellent les repères des limites ; de
même que les mêmes eaux, chargées
45
des terres arrachées des collines peuvent bourrer les
canaux qui servaient limités sur une étendue. Tout cela engendre
des conflits et problèmes fonciers.
La rivière qui généralement est un
repère de limites très prisé, peut changer de lit et
créer la confusion de limites sur une étendue. Cela conduit
à des faits accomplis mais engendre des lamentations. Les marais
constituent donc un patrimoine communautaire et restent d'usage collectif. Tout
contrat ayant rapport à la cession temporaire ou définitive y est
prohibé. Le Kalinzi et le Bugule n'y sont donc pas d'application. Seul
le « Bwassa » (location) y prévaut. Celui qui obtient ainsi le
champ ne l'acquiert pas en propriété, mais il en a le droit de
jouissance qui appartiendra à sa postérité aussi longtemps
qu'existe le droit sur la parcelle39. Le Bwassa dans les marais
n'est qu'un droit d'usage agricole sur la terre généralement
acquise suite à un défrichement. Normalement, aucun prix ne
devrait être payé à l'occupation et la pratique de
redevance saisonnière sur récolte disparaît de plus en
plus. Ce droit dure tant que la trace du travail perdure sur la terre à
sa disposition. Ce droit de culture est transférable aux membres de sa
famille ou à ses amis, pourvu qu'on en informe préalablement le
chef gestionnaire et /ou le comité du Ndalo/Nfunda.
Généralement, à cause de leur
fertilité, des apports alluvionnaires qui proviennent de flancs des
collines40, les champs en terres des marais sont très
sollicités. Tout abandon fait rapidement perdre les droits de cultures.
S'il y a recru d'herbes sur la parcelle, elle est fréquemment
sollicitées par d'autres cultivateurs et le chef gestionnaire et /ou le
comité ou Nfunda peuvent la céder sans aucune forme de
procès.
Actuellement, le droit de culture semble de plus en plus se
gérer au niveau du Ndalo/Nfunda par le gestionnaire foncier qui associe
de plus en plus le comité du Ndalo ou du Nfunda. Les décisions
unilatérales des chefs sont souvent contredites au sein des groupes
d'exploitants. Ce qui engendre des conflits, s'il ne répare pas vite.
L'intérêt accru porté aux sols des marais s'accompagne des
problèmes d'exploitation et de gestion des champs, d'application des
conventions (règle de jeu) et partant, des problèmes des
relations entre acteurs fonciers.
Le drainage et l'exploitation des terres des marais sont
exigeants en travail et sont souvent menacé par les briqueteries comme
fut le cas de marais kanyatende dans le groupement de karhongo.41
Ils demandent plus d'efforts que sur les champs des villages et collines. Or,
les règles de jeu exigent de ne pas laisser le champ en jachère
ou inexploité même pendant une
39 DIOBASS, vers une bonne gouvernance des
ressources naturelles collectives dans la région de Grands Lacs
Africains, 2014, p 56
40 BISHWEKA Antoine, Monographie de la
chefferie de Ngweshe, édition du Projet PAIDECO WAGA, Bukavu, 2010,
P.50.
41 DIOBASS, Atelier sur la Gestion des Marais
à Ngweshe, Bandari, 2000, p.3
46
seule saison culturale au risque de l'attribuer à
d'autres cultivateurs (trices) disponibles et plus capables. Le cas de retrait
des champs aux incapables crée des conflits surtout lorsque le premier
occupant qui s'estime en plein droit tente de récupérer le champ
déjà mis en valeur par le nouvel occupant. Cela engendre un
triple conflit. D'abord, entre les deux cultivateurs, ensuite entre le premier
occupant et le gestionnaire foncier (chef foncier ou comité de
Ndalo/Nfunda) et, enfin le nouvel occupant et le gestionnaire foncier.
Lorsqu'il éclate un conflit dans la gestion des champs de marais (soit
entre les bénéficiaires eux-mêmes, à cause des
limites soit entre un d'eux avec le chef de village), trois voies de
règlement de conflit sont envisagées :
- les occupants des champs contigus peuvent intervenir ; et
grâce à leurs conseils, remettre l'entente rompue entre les deux
querelleurs ; c'est le niveau élémentaire, banal mais pacifique
Qui, par moment et endroit résout pas mal de querelles qui
dégénéreraient en combats sanglants.
- Faute d'avoir emprunté cette voie ou après
échec, les parties embrassent le deuxième niveau, Celui du
comité « Ndalo » c'est-à-dire, une association des
exploitants des champs des marais. Ledit comité lequel, s'il le faut,
fait une descente sur terrain, essaie de remettre l'harmonie entre les membres
de cette association ou entre eux et le gestionnaire des champs (Bashamuka ou
chef de village.)
- Les problèmes fonciers des champs des marais
n'atteignent pas le niveau judiciaire ; ils se bornent aux instances
coutumières (chef de village ou, le cas échéant, et rare,
du reste, le chef de groupement.). Mais, à cette instance se pose un
problème sérieux que rencontreraient les occupants des champs de
marais lorsqu'ils sont opposés au chef de village : celui-ci ferait le
juge et la partie ! Les locataires, du fait du long temps d'exploitation du
champ, ont finalement tendance à considérer les terres à
leur usage comme leur propriété. Parfois, ils les cèdent
(aliènent) à leur gré ; ce qui constitue un triple litige
qui oppose :
- le gestionnaire foncier au premier occupant, qui a
cédé, considéré comme escroc par le gérant
foncier, le gestionnaire premier ou le deuxième occupant
(considéré comme illégal par le gérant, celui qui a
cédé (premier occupant) à celui qui a reçu
(deuxième occupant). Certains Chefs fonciers gestionnaires de
Ndalo/Nfunda finissent par les approprier et les aliéner au
détriment de petits exploitants et du Mwami.
D'autres chefs usent d'une grande discrimination non seulement
dans la distribution des champs où l'on observe des
inégalités entre les proches, amis envoyés du chef
(Barhonyi) et les simples citoyens (Rhushi kwone). Ces premiers peuvent obtenir
des champs pouvant atteindre 1 hectare, les autres moins de 10 ares,
(10ème d'hectare) pendant que c'est cette
47
deuxième catégorie de
bénéficiaires (Rhushi kwone) qui, souvent, ont pris l'initiative
de drainer le marais, y ont investi leur force et leur temps, pour se voir
léser lors du partage des résultats.
Ces aînés des chefs obtiennent de grandes
étendues non pour les cultiver eux-mêmes mais les Distribuer
moyennant tribut en espèce, en nature (poule, chèvre, mouton) ou
en travail.
- Souvent les aînés des chefs ne participent pas
eux-mêmes aux travaux communautaires si ce N'est que pour accompagner
leurs dépendants. Certaines concessions privées ont des
extensions sur les marais. Leurs limites ont vraisemblablement
été étendues vers les terres collectives s'appropriant
ainsi des terres indues au détriment des populations et de la
chefferie.42
|