III. les conflits des limites et des occupations de
fait
Etant donné que les limites entre concessions voisines
ne sont pas toujours bien marquées sur le terrain et en raison de
l'absence d'un plan cadastral rural, les conflits naissent aussi de
l'empiètement sur les concessions voisines. Plusieurs cas de figure
peuvent se présenter. Dans certains cas, le concessionnaire
dépasse les limites qui lui ont été fixé par les
« baganda » et réalise ainsi des cultures sur une partie de
terrain appartenant au cédant. Parfois la contradiction entre le
cédant et le concessionnaire est le fait des « baganda » qui
ont porté les limites au-delà de ce que le cédant leur
à indiquer.
Des évènements naturels, tels les
détournements du lit d'une rivière ou le ravinement, ont parfois
aussi été l'occasion d'un conflit entre concessionnaires
voisins.
L'un des concessionnaire pourrait, en effet, étendre de
nature, son terrain jusqu'à la nouvelle « limite naturelle »
(la rivière ou le sillon).
Une variante des conflits de limites qui prend de l'ampleur
ces dernières années, ce sont les occupations de fait (ou
considérées comme telles) de parties de terrain appartenant
à autrui.
Ces occupations de fait sont souvent l'oeuvre de personnes
entre lesquels il existe un rapport de dépendance foncière. Elles
résultent d'une relecture des termes des conventions : une des parties
au litige prétend avoir acquis entièrement le terrain en kalinzi
; l'autre lui rétorque que ce droit ne porte que sur une partie du
terrain, le reste ayant été cédé à titre
précaire. En effet, il arrive que le détenteur précaire
d'un terrain (bwassa) cherche frauduleusement à consolider ses droits
sur celui-ci, en y érigeant des constructions ou en y incorporant des
cultures pérennes (arbres, bananeraies). Il arrive cependant aussi que
le maitre réoccupe une partie du terrain de son sujet en
prétextant que ladite partie avait été cédée
à titre précaire. Assez souvent, il profitera de ce que la
parcelle concernée est en jachère.
Après avoir décrit les grands types de conflits
dans le bushi en générale et particulièrement dans le
territoire de Walungu dans sa chefferie de Ngweshe, nous pouvons à
présent en analysant les principales caractéristiques.
La diversité des parties prenantes aux conflits
suggère naturellement la diversité des enjeux. Au-delà de
la sécurisation de la tenure. Les acteurs cherchent à travers les
conflits à
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§ 2 Les caractéristiques des différents
types de conflits
La typologie que nous venons de présenter laisse
apparaitre une multiplicité d'acteurs susceptible de s'affronter autour
des enjeux fonciers. Nous allons par conséquent essayer de
dégager les caractéristiques des acteurs engagés dans un
conflit et les enjeux des confrontations entre ces derniers.
I. les acteurs des conflits
Contrairement à ce qu'on peut observer dans certaines
parties du Kivu montagneux ou les conflits mettent aux prises les agriculteurs
et les éleveurs, les conflits fonciers dans le Bushi opposent
fondamentalement des paysans entre eux. A l'intérieur, toutefois, cette
catégorie générique que sont les paysans, il est important
de distinguer les conflits qui opposent d'abord les ainés et leurs
cadets au sein d'une famille ; ensuite, les paysans stricto sensu et les
notables fonciers et ces derniers entre eux ; enfin, les migrants urbains (qui
ont installé des gardiens sur leurs terres) et les notables fonciers.
Rares sont les conflits qui opposent les paysans aux gros concessionnaires
(sociétés, grands planteurs...).
Dans la plupart des cas de conflits foncier, les acteurs
agissent individuellement. Le conflit met toutefois en scène, en vue de
sa solution, les seuls conflits collectifs que nous avons pu identifier dans le
Bushi, ont opposé l'Etat à l'occasion des expropriations
décidées par lui. Les conflits fonciers dans le Bushi n'opposent
donc pas des acteurs collectifs, tels que les clans, les villages,... ils
n'opposent pas non plus les autochtones aux immigrés, encore moins le
groupe qui se prévaudrait du droit de premier occupant aux autres.
Au plan de la sécurité des droits fonciers, la
position sociale de l'acheteur est déterminante. L'acte
générateur de conflit est généralement le fait de
celui qui est dans un rapport de force favorable, en raison soit de son statut
social (notable, ainé), soit de sa richesse. Ce sont par
conséquent des petits paysans pauvres qui prennent assez souvent
l'initiative de l'action en justice. La position défavorable qui est la
leur les oblige nous le verrons plus loin à multiplier les
démarche et à recourir aux services de « médiateurs
».
II. les enjeux des conflits
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améliorer leur position de pouvoir et de revenu. Ces
conflits permettent de repérer les enjeux fonciers aux échelles
familiales et extra-familiales. Selon le cas nous allons l'examiner ci-dessous,
on cherche la maitrise de l'ordre familiale ou la maitrise des rapports
locaux.
1. Maitrise de l'ordre familiale
Les conflits fonciers qui opposent les membres d'une
même famille, avons-nous vu, résultent soit d'un mauvais partage
de la succession, soit de la vente d'un bien appartenant à une
succession. De manière générale, ce sont les cadets qui
prennent l'initiative de l'action en justice.
De ce type de conflit, il ressort généralement
une préoccupation essentielle : c'est que l'ordre familial doit à
tout prix être préservé. Les ainées tentent en
effet, lorsqu'ils le peuvent, reproduire le principe successoral coutumier dans
sa formulation ancienne (cfr supra). La maitrise foncière en ce cas-ci
leurs permettrait de sauvegarder leur autorité à
l'intérieur de la famille, tout au moins sur les membres de celui-ci qui
sont demandeurs de terre.
Les règles du partage de succession a, toutefois,
réduit l'emprise des ainés sur les cadets. Les premiers
conservent néanmoins le droit de s'opposer aux actes d'aliénation
posés par les seconds. De même, les cadets disposent de cette
faculté pour empêcher l'appauvrissement du patrimoine familial par
les ainés.
S'agissant de cette emprise des ainés, on constate
d'ailleurs que plus la famille ne s'étend, plus les liens, les
hiérarchies familiales s'effritent.
Il apparait, en somme que la dynamique interne de la famille
et les trajectoires spécifiques de différentes composantes de
celle-ci déterminent des conflits fonciers. Les conflits fonciers sont
les révélateurs d'une difficile restructuration de l'ordre
familial médiatisée par le foncier.
2. Maitrise des rapports sociaux
Débordant le cadre familial, le conflit ci-dessus
permet de repérer un second niveau d'enjeux. Au lieu de se disputer des
terres de manière explicite, les deux « frères » en
conflit se disputent des allégeances. Ceci nous amène à
affirmer que l'enjeu majeur dans les
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conflits fonciers extra-familiaux est, au-delà de la
main mise sur le sol, la recherche pour les uns de la maitrise de l'espace
social villageois, par le biais de la reproduction des structures
d'autorités et d'allégeance ; pour les autres, à
défaut de s'émanciper à l'égard de telles
structures, la recherche de la sécurité de tenure
foncière.
La maitrise des rapports sociaux et la recherche de
l'émancipation selon le cas occultent en fait d'autres enjeux :
politique et économique. Les notables fonciers en effet, en s'assurant
comme autrefois, le contrôle de la paysannerie par le biais du foncier,
se créent de nouvelles opportunités. Non seulement ils
perçoivent une rente de plus en plus substantielle sur l'activité
des paysans, mais en plus, ils peuvent tirer profit des relations qu'ils
entretiennent avec les élus locaux. A ce propos en effet, plus est
grande la clientèle sociale d'un notable (et naturellement son
prestige), plus il fera l'objet de sollicitude de la part des élus
locaux.
On pourrait dès lors interpréter les conflits
fonciers opposant les notables entre eux, ou ceux opposant les notables et els
migrants urbains comme essentiellement des conflits de pouvoir. Ces derniers
notamment en raison de la distance physique et de leurs conflits de pouvoir.
Ces derniers notamment en raison de la distance physique et de leurs
activités en ville, échappent aux contraintes découlant
des rapports fonciers. Au contraire, en même temps qu'ils créent
une distance sociale avec les hiérarchies dont ils dépendaient
traditionnellement, ils recréent à leur profit les mêmes
rapports clientélistes. Les notables coutumiers, se sentant
menacés par cet état de choses, « réattribuent »
alors les terres de ces migrants sinon aux propres gradients de ceux-ci, du
moins à de nouveaux candidats sur lesquels ils pourraient avoir une
emprise plus certaine.
En ce qui concerne le paysan, par contre, c'est l'enjeu
économique qui fondamentalement explique son esprit procédurier
et sa propension à s'émanciper des contraintes coutumières
découlant du foncier. La terre est en effet pour le paysan le facteur
clé pour se créer un revenu. Par contre, ledit notable peut lui
assurer la sécurité de cette tenure. Dou le
phénomène des occupations de fait.
On peut dire en somme qu'au coeur des conflits fonciers, il y
a la recherche d'une maitrise de l'espace, lequel est perçu de
manière différente en fonction de la position sociale des
acteurs. Pour les uns (les autorités foncières traditionnelles et
les élites politiques), l'espace est vue comme lieu de socialisation
et/ou d'actualisation du rapport « politique » et économique ;
pour les autres, (les élites commerçants et spécialement
les
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paysans), il est perçu surtout comme un lieu de
production et donc celui à partir duquel ils s'insèrent dans le
marché. Ce sont ces préoccupations différentes des
acteurs, leurs perspectives et leur poids social respectif qui vont
déterminer les trajectoires des conflits fonciers.38
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