II. Les conflits liés à la circulation des
droits
Dans la chefferie de ngweshe, la circulation des droits
fonciers suscite également de nombreuses contestations. Les cas de
figure sont d'une telle variété qu'on ne serait les
évoquer tous systématiquement. Toutefois, on peut dire
globalement que les conflits résultent soit d'une double attribution
d'un même terrain, soit de la vente de la terre.
1. Double attribution d'un terrain
Trois types de situations conflictuelles se présentent
assez souvent lors des attributions des terres : dans certains cas, le terrain
est attribué à deux « concessionnaires »
différents par une même autorité coutumière ou un
même tenant foncier, dans d'autres cas, il est concurremment
attribué à des concessionnaires diffèrent par des
autorités coutumières différentes ; dans d'autres cas
encore, l'attribution concurrente du terrain est l'oeuvre respectivement d'une
autorité coutumière et d'une autorité moderne.
2. La vente des terres
Le développement depuis un peu plus de deux
décennies de la vente des terres comme mode de transmission des droits
fonciers, s'accompagne d'une multiplication des conflits fonciers. Ces ventes
constituent en fait une variante actuelle de la problématique du droit
de reprise. Elles s'inscrivent donc également dans la dynamique des
rapports de dépendance, une dynamique très conflictuelle du point
de vue de ses implications foncières.
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La plupart de ces ventes frauduleuses présentent une des
structures suivantes :
1. Un concessionnaire coutumier installe un gardien sur sa
parcelle. Ce dernier rachète La parcelle auprès de celui qui
l'avait cédée à son commettant. Le vendeur en
l'espèce de considère l'absence de son « sujet » comme
une émigration. Il arrive toutefois également que le gardien
vende de son propre chef de terrain placé sous la surveillance. La plus
part des concessionnaires coutumiers qui se sont installés dans les
villes pour diverses raisons (travail, exercice de son négoce ...) sont
exposés à ce type de conflit.
2. La grande majorité des paysans par contre sont
souvent aux prises avec leurs « maitres », chaque fois que ceux-ci,
en proie à des difficultés matériels, tentent de
répondre, au détriment des premiers, aux demandes des terres qui
leur sont adressées par des candidats plus fortunés. A cette fin,
en effet, les autorités foncières coutumières (ici au sens
large) réinterprètent le type de rapport foncier qui existe entre
elles et leurs dépendants. Le kalinzi étant à l'origine
modeste, les autorités foncières ont de plus en plus tendance
à assimiler au Bwassa ; un contrat précaire, non créateur
de droits fonciers et, par conséquent, à exiger le paiement d'un
nouveau kalinzi, sans quoi elles revendraient le terrain.
3. Les crises de succession à la tête d'une
chefferie ou d'un groupement coutumier constituent également à
ces jours-ci l'occasion de conflits fonciers. Le groupe qui triomphe de la
rivalité, revend parfois les terres de ceux qui ont appuyé avec
acharnement l'adversaire et ont dû prendre la faute au moment des
hostilités. Le conflit de succession illustre très bien cette
pratique qui est une sorte de résurgence du « kunyaga »
(confiscation générale) interdit à l'époque
coloniale. De nombreux procès opposent aujourd'hui à ngweshe dans
le territoire de walungu, à propos de la terre, les partisans respectifs
des protagonistes dont les uns ont rachetés les terres des autres.
Si la vente des terres (et les conflits qu'elle suscite)
procède fondamentalement des dynamiques sociales que nous avons
décrites dans les paragraphes qui précèdent, elle donne
lieu également à des situations d'un type nouveau. On a vu, en
effet, les enfants d'un concessionnaire coutumier contester vigoureusement la
vente du terrain opérée par celui-ci, au motif que leur substance
dépendant dudit terrain. Dans un autre cas, une famille (cinq
frères consanguins) s'est cotisée pour réunir l'argent
nécessaire à l'acquisition d'un terrain. La transaction se
déroula au nom d'un frère ainé, quoique sa participation
financière fût modeste. Le conflit naquit au moment où les
quatre autres demandèrent le partage du terrain
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au prorata des contributions au prix d'achat. Ce type de conflit
va probablement se
développer à l'avenir en raison de la
rareté des terres et du caractère de plus en plus onéreux
du kalinzi.
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