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Sculpture et vidéo, modes de fabrication et présentation : le processus d'une coalescence des formes.

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par Kevin Fouasson
Université Rennes 2 - Master 2 Arts Plastiques 2012
  

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Le temps comme matériaux.

La durée de l'éternité.

Lorsque le spectateur pénètre dans l'installation vidéo, il se retrouve entouré de sculptures immobiles faisant face à un écran, sur lequel l'image semble elle aussi figée. Et s'il ne s'attarde pas à regarder cette image, il peut vite conclure qu'il s'agit de la projection d'une photographie ou d'une image fixe. La musique lancinante et sourde renforce cette impression de pesanteur immobile qui règne dans l'ins-tallation. Mais au bout de quelques minutes, la musique comme l'image changent peu à peu. D'abord presque imperceptiblement, puis, rapidement, quelque chose se passe et s'achève avant que tout ne redevienne comme avant.

Quelque chose s'est donc produit, quelque chose qui s'est manifesté hors de la rigidité qui domine en apparence toute l'installation. Mais en s'y attardant, le spectateur se rendra compte que cet événement n'a rien d'occasionnel, et qu'il surgit invariablement sous le même mode après un certain lapse de temps. Et cet événement qui est d'abord apparu comme exceptionnel et comme brisant la monotonie et la rigidité des éléments présents, vient rythmer le temps de l'installation tout en l'inscrivant dans une logique de recommencement perpétuel.

Ainsi, se retrouver plongé dans cette installation projection, c'est s'immerger dans une temporalité qui ne nous appartient pas, résultante des temporalités croisées de la sculpture et de la vidéo.

Dans les oeuvres classiques, comme la sculpture, il est facile de distinguer les différentes temporalités relatives au médium. Le temps de la production de l'oeuvre, correspond au façonnement du matériau sculptural, jusqu'à l'obtention d'une forme finale et immuable. Dans notre cas, cette temporalité nous renvoie directement au processus de fabrication des sculptures, et se trouve révélée par la forme palimpseste de celles-ci. Et une fois le volume achevé, la sculpture n'a pas vocation à entrer dans une autre forme de temporalité que celle de l'immuabilité, de la stabilité. Le temps de la sculpture est à jamais statique.

En vidéo, la question du temps est plus délicate car, comme l'explique Françoise Parfait, par définition « la vidéo c'est du temps, dans sa structure même, avant de l'être dans ce qu'elle représente. Parce que chaque point dont l'image est constituée est déterminé par une infime fraction de seconde durant laquelle le pinceau à électron l' « allume », avant de passer au suivant. L'ensemble de ces fractions de temps donne une trame, puis une autre31. »

Avec le médium vidéo, il est alors possible « d'intégrer le temps comme une quatrième dimension objective dans des propositions plastiques; ces objets temporels trouvent leur accomplissement dans des durées réelles que le visiteur peut percevoir et expérimenter, au-delà de toutes les autres manières d'exprimer le temps qu'ont tous les objets artistiques, à commencer par celles de leur fabrication ou de leur réception. Le temps est considéré comme un matériau plastique qui peut s'utiliser de même que

31 Ibid, p.92.

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toutes les autres matières32

Dans son entretien avec Bill Viola, intitulé « La sculpture du temps », Raymond Bellour explique que la bande vidéo a « pour sujet, ou plutôt pour matière première, le temps33. » Et, tout en s'adressant à Viola, il met en avant les différentes temporalités en jeu dans la vidéo.

« Il y a trois `temps'distincts. Le premier, c'est ce temps continu qui ne concerne que vous (Bill Viola) et votre perception de la réalité telle qu'elle apparaît simultanément sur le moniteur. Puis il y a le temps de l'enregistrement, qui opère une sélection dans ce continuum ; et enfin le montage final a lui même son temps spécifique, qui créé l'illusion que le deuxième temps, celui de l'enregistrement, possède la continuité du premier34. »

On constate donc qu'en premier lieu, le moment de la capture vidéo, et la durée de cette capture, relève d'un rapport direct au temps, d'une sélection et d'un prélèvement d'un temps délimité, une durée, au sein d'un temps plus vaste, celui du moment du tournage.

Et Viola de préciser qu'« il n'y a pas un instant de discontinuité, d'immobilité dans le temps. Quand on fait de la vidéo, on interfère dans ce processus continu, existant avant qu'on ait l'intention de s'en servir [...]. C'est un peu comme quand on entre dans une pièce et que la lumière est déjà allumée : c'est déjà là. C'est une autre manière de concevoir la création.

[...] Cette durée permanente on peut l'appeler temps réel35. »

Puis, vient le temps du façonnement de la vidéo, c'est à dire du montage, du traitement de l'image, et de l'instauration d'une durée. Ralentissement, accélération, glaciation ou inversement de l'image, sont autant d'opérations qui modifient considérablement la temporalité des éléments filmés, ainsi que la perception que nous en avons. Une fois la vidéo terminée, dans la plus part des cas, elle se présente sous la forme d'une durée, c'est à dire qu'elle possède un début et une fin, et qu'il y a donc un avant, un pendant et un après la diffusion de la vidéo.

Néanmoins, bien que toute vidéo ait concrètement une durée, une vidéo qui se trouve pensée pour fonctionner en boucle, comme c'est le cas dans mon installation, annule cette perception d'une durée identifiable, d'un début et d'une fin repérables. La vidéo en boucle fonctionne sous le mode de flux et reflux, d'accélérations et de ralentissements au sein d'un temps sans frontière, immuable, le temps de l'éternité.

La boucle introduit l'idée d'un cycle temporel ininterrompu, d'un rythme de la répétition, les évènements de la vidéo se succèdent et se répètent, sans que l'un d'eux puisse apparaître comme suivant ou suivi. La boucle instaure un temps sans hiérarchie, qui apparaît alors comme figé dans la répétition et l'enchainement.

« Le film en boucle c'est la vie éternelle, non avec une évolution vers le générique, mais avec ses varia-

32 Ibid, p.76.

33 Raymond Bellour, «La sculpture du temps, entretien avec Bill Viola», Cahier du cinéma, n°379, janvier

1986, p.35 - 46.

34 Ibid.

35 Ibid.

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tions, cycliques, qui apparaissent comme autant de saisons36

On peut effectivement penser la vidéo en boucle sous le mode de l'éternité, puisque l'éternité est bien une « durée qui n'a ni commencement ni fin37 ».

On retrouve cette même idée d'une durée inscrite dans l'éternité, dans l'installation vidéo Selbstlos im Lavabad de Pipilotti Rist, datant de 1994. La projection au sol, de quelques centimètres, diffuse interminablement la même séquence; l'artiste entièrement nue, filmée en plongée, se débat dans la lave tout en suppliant en plusieurs langues le spectateur de lui venir en aide. L'action sans cesse répétée perd de sa puissance, les supplications auxquelles personne ne peut répondre deviennent alors sans effet.

Pipilotti Rist

Selbstlos im Lavabad, 1994, installation vidéo, son.

36 Edmont Couchot, La technologie dans l'art. De la photographie à la réalité virtuelle, Nîmes, Editions Jac-

queline Chambon, 1998, p.198.

37 Emile Littré, Le nouveau Petit Littré, op. cit., p.157.

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Dans son ouvrage, L'installation en mouvement, une esthétique de la violence, Joëlle Morosoli constate à propos de l'oeuvre de Pipilotti Rist que « la réitération en boucle de la séquence filmique renvoie à une durée circulaire dans laquelle se fondent le passé dans l'avenir et l'avenir dans le passé. Cette perception d'éternité se concrétise à travers le mouvement filmique en boucle qui n'a ni commencement ni fin. La succession des cycles de l'oeuvre est un éternel recommencement du même de sorte que ce qui est arrivé, arrivera. A la durée de l'oeuvre s'ajoute la durée subjective du regardeur. Le temps de l'oeuvre est fixe stable, à l'inverse du temps de l'observateur qui, lui, fuit38. »

Au-delà d'un sentiment de perpétuel recommencement, qui confère à l'installation de Rist une dimension aussi grotesque qu'angoissante, où toute action semble vaine - tel Sisyphe et son rocher - ; Joëlle Morosoli met en avant l'aspect « fixe et stable » du traitement du temps dans une telle oeuvre.

Une toupie qui tourne parfaitement sur elle même paraît statique, on ne se rend compte de son mouvement que lorsqu'il s'affaiblit et finit par tomber. Si cette toupie ne s'arrêtait pas, si elle continuait à tourner indéfiniment sur elle même, elle nous apparaitrait alors aussi immobile qu'une pierre. La finalité de l'action de la toupie, son mouvement, résiderait alors dans l'action elle même. Le mouvement perpétuel de la toupie fait illusion jusqu'à nous pousser à prendre sa stabilité pour de la fixité. Il en va de même pour la vidéo en boucle, elle créé une temporalité figée dans l'éternité.

Selon Françoise Parfait, « la répétition extrait un motif temporel du réel [...] et en fait une forme autonome, c'est-à-dire sans histoire, sans passé et sans avenir, qui s'apparente à une sculpture tempo-relle39. » Et rejoignant dans son propos Joëlle Mosoli, elle explique que la notion de boucle temporelle participe « à la conception du temps comme milieu, sans début ni fin ; un temps qui ne passe pas, qui n'est pas dramatisé, débarrassé de son inéluctabilité, une sorte de temps pérenne, proche d'un éter-nité40. » Or, le temps du spectateur n'est ni immuable, ni stable. Le temps de l'Homme, c'est le temps du quotidien, ordonné et réglé, mais perçu de manière parcellaire, c'est aussi le temps de la mémoire, instable et fragmenté. Il y a donc un fort décalage entre le temps inépuisable de l'installation, et celui éphémère du spectateur qui, happé par sa propre temporalité, ne peut rester indéfiniment dans l'oeuvre.

Pourtant, et alors qu'on soupçonne la toupie de tourner indéfiniment, et la vidéo d'être en boucle, notre regard est maintenu par l'espoir que quelque chose advienne - que la toupie finisse par ralentir et tomber. Tout comme la toupie, la vidéo nous pousse à espérer l'événement, car nous savons que toute vidéo relève d'une durée, et quand bien même cette durée se répète, elle défile devant nos yeux. Il y a bien quelque chose qui passe, qui se passe, comme la bande du film qui défile. Le mouvement de la toupie, la bande du film, et la durée de la vidéo, nous placent donc en position d'attente.

Or, dans notre cas, quelque chose finit bien par arriver. La figure immobile s'anime avant de retourner à son état premier. Il y a une rupture qui s'opère entre ces deux états et c'est en cela que réside le véritable événement attendu par le spectateur. Et bien qu'il se répète, bien que le spectateur finisse par l'attendre, cette attente ne fait qu'instaurer une plus grande dramatisation de l'événement lorsqu'il sur-

38 Joëlle Morosoli, L'installation en mouvement, une esthétique de la violence, Trois-Rivières (Québec), Edi-

tions D'Art le Sabord, 2007, p.150.

39 Françoise Parfait, Vidéo : un art contemporain, op. cit., p.76.

40 Ibid.

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vient. Ainsi, ce temps de l'éternité, ne se vit pas comme un temps figé, mais comme la stable répétition d'une durée débouchant invariablement sur une même action, chaque répétition étant séparée par un temps d'attente. L'image figée, presque mortifère, se met donc soudainement à s'animer, comme si elle revenait à la vie avant de sombrer de nouveau dans la torpeur. Et cette manifestation lazaréenne se répète ainsi inlassablement, faisant du médium vidéo l'expression d'une image palingénésique.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon