La vidéo: recouvrement et altération.
Comme pour les sculptures, la réalisation de la
vidéo a nécessité plusieurs phases. Et c'est par des
procédés assez proches de ceux employés pour le travail
sculptural, que j'ai obtenu le rendu final de la vidéo.
Dès le tournage, les notions de recouvrement et
d'altération de la figure filmée furent mises en pratique. Le
modèle féminin, vêtu de sous vêtements blancs,
était allongé au sol, sur le dos, et enveloppé dans une
bâche translucide de manière à recouvrir entièrement
son corps. La pièce était plongée dans le noir, seule une
lampe, située derrière la tête du modèle,
éclairait la scène d'une manière très
contrastée qui, tout en accentuant les drapés de la bâche,
avait pour effet d'aplatir les reliefs de la figure.
La caméra, sur pied et surélevée de
manière à filmer en plongée, se trouvait au niveau des
pieds du modèle. La capture vidéo fut par ailleurs
réalisée en un seul plan séquence de sept minutes, pendant
lequel la caméra fixe filmait le modèle immobile. Et c'est durant
les deux dernières minutes de capture que, répondant à mes
instructions, le modèle se mit en mouvement. Je n'intervins directement
sur la capture vidéo qu'une seule fois, en soufflant sur l'objectif de
la caméra pour le recouvrir de buée. Ainsi, durant cette
première mise en scène, tout est mis en oeuvre pour que l'image
filmée, dès sa capture originelle, soit perçue comme de
mauvaise qualité (flous, forts contrastes, pixellisation). Mais c'est
véritablement lors du traitement de l'image obtenue après la
capture, c'est à dire lors du montage, que le processus
d'altération de l'image a été mis en oeuvre.
Le montage consista tout d'abord en une première
transformation de la matière brute qu'est l'image filmée, me
permettant ainsi d'établir l'organisation générale de la
vidéo. De la séquence montrant le modèle immobile, j'ai
tiré une minute que j'ai ralentie au tiers de la vitesse réelle.
J'ai ainsi obtenu les trois minutes de la première partie de la
vidéo. J'ai fait de même avec une autre minute tirée de
cette même séquence initiale pour obtenir la troisième
partie de la vidéo. Quant à la séquence de deux minutes
montrant le modèle en mouvement, j'en ai sélectionné les
plans les plus percutants, et j'ai accéléré certains
passages ou j'ai inversé la vitesse d'autres. Par exemple, le plan
montrant la buée recouvrant le champ de l'image vidéo, a subi un
inversement et une accélération de sa durée. Ainsi, la
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buée présente sur l'objectif et qui
s'évapore change de nature et devient un voile lumineux et transparent
qui, par le procédé d'inversement, vient recouvrir le champ de
l'image, du haut vers le bas. Il apparaît alors comme un filtre entre
l'objet filmé et l'objectif, tout en affirmant ce que le fond noir ne
révélait pas jusqu'à présent, c'est à dire
l'orientation et la provenance de la lumière dans la scène.
Les passages entre les plans ont été
pensés comme des glissements d'une image dans une autre. J'ai donc
usé de fondus entre les plans pour que leur succession se fasse avec
fluidité. Ce procédé permet également, durant
quelques secondes, d'avoir des images superposées, l'une cédant
sa place à la suivante au grès d'une transparence progressive.
J'ai également réduit la saturation des couleurs
jusqu'à ne plus obtenir que des gris, et j'ai augmenté les
contrastes tout en diminuant l'exposition lumineuse de l'image. Ainsi, les
ombres de la scène filmée sont devenues des zones d'un noir
profond, apparaissant comme de véritables espaces de vide dans l'image.
Vides noirs d'où surgissent les formes blanchâtres du
modèle enveloppé, véritables vestiges, morceaux de corps
en survivance qui résistent là où le reste de l'image se
perd. Mais, à ce stade, le travail a essentiellement porté sur la
séquence centrale de la vidéo, la période d'agitation,
où, comme dans mon travail sculptural, j'ai entamé un processus
de recouvrements et de superpositions. Ainsi, des images qui se trouvaient les
unes à la suite des autres dans le premier montage se sont
retrouvées superposées entre elles. Elles perdaient alors leurs
qualités respectives et individuelles pour entrer dans une logique de
transparence et d'altération réciproque. Cette superposition des
images vidéos donne donc naissance à une nouvelle image où
le mouvement confus mais démultiplié se perçoit par un jeu
de transparences entre les différents niveaux des images
superposées. Ces dernières sont alors comparables à de
fines peaux translucides, collée les unes sur les autres, toutes
différentes et pourtant presque semblables, au travers desquelles se
trouve perceptible la légère palpitation d'un corps. Une fois ces
opérations réalisées, j'obtenais un second montage
présentant une image vidéo de plus en plus éloignée
de l'image originelle.
L'étape finale du montage consista donc à
accentuer l'altération de l'image vidéo, déjà
entamée par les précédents procédés. Et
cette fois, plutôt que de passer par un logiciel de montage pour obtenir
les effets désirés, je me suis servi des médiums propres
à la vidéo, et de leurs défauts, c'est à dire du
caméscope, et de l'écran d'ordinateur. J'ai donc filmé
à l'aide de mon caméscope la vidéo obtenue après la
seconde phase de montage, sur mon écran d'ordinateur. Je n'ai eu
qu'à regarder le tout, et ma seule intervention fût
d'éteindre le caméscope à la fin de la vidéo. De ce
re-filmage, j'obtins une image vidéo légèrement plus floue
que l'originale, mais surtout, le jeu des pixels de l'écran se trouvait
visible grâce à l'enregistrement du caméscope. Alors que
l'écran montre une image lisse et nuancée de gris, fidèle
aux traitements qui lui ont été prodigués, l'image
vidéo obtenue après capture révèle la trame de
l'écran - il s'agit de légères stries rapprochées
barrant l'image verticalement - ainsi qu'une légère teinte
bleutée produite par l'écran. On observe également sur
cette image nouvelle quelques flous correspondant aux efforts de mise au point
du caméscope, des nuances de couleurs très faibles (violet, vert
et bleu) dues à la réinterprétation du caméscope
des pixels blancs de l'écran.
L'image vidéo finale se trouve donc être le
résultat d'une succession d'interventions : qu'elles résident
dans la mise en scène particulière lors de la capture
vidéo ; qu'elles s'articulent à travers l'usage d'un
1 Françoise Parfait, Vidéo : un art
contemporain, Paris, Editions Du Regard, 2001, p.125.
2 Ibid, p.97.
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logiciel de montage informatique et de ses outils de
modification, soit de l'image elle même, soit de sa durée; ou
encore qu'elles découlent directement de l'utilisation du médium
vidéo et des défauts qui lui sont inhérents. Et c'est bien
cette accumulation d'effets qui, finalement, à travers son rendu
plastique, témoigne d'elle-même de son propre processus de
réalisation.
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