Artefacts et artifices : pour une image palimpseste.
Avant d'observer les interactions, et leurs effets tant
plastiques que sémantiques entre les différents
éléments présents dans l'installation, il est important de
noter que ces objets sont tous fabriqués. On ne trouvera donc aucun
objet naturel ou adhérent au lieu d'exposition. On se trouve en
présence d'objets et de matériaux artificiels qui, lorsqu'ils
sont assemblés et qu'ils fonctionnent ensemble, se présentent en
tant qu'artefacts.
C'est donc d'abord, par l'analyse des processus de leur
fabrication qu'il convient d'apprécier les liens formels et plastiques
qui se tissent entre eux. Qu'il s'agisse de la vidéo ou des sculptures,
on retrouve des opérations formelles identiques; travail de retour, de
recouvrement, de superposition et d'altéra-tion.
La sculpture: processus de stratification.
Pour la réalisation des sculptures, sont
utilisées différentes sortes d'argiles, ce qui permet de
bénéficier de plusieurs teintes, du tissu, du bois, et divers
éléments métalliques (fil de fer, clous).
Le squelette de la sculpture se présente sous la forme
d'un morceau de bois, le plus souvent une branche ou un tronc (de 100 cm
à 150 cm de hauteur pour une circonférence ne dépassant
pas 20 cm). C'est cette pièce de bois qui donnera l'orientation
corporelle de la sculpture, massive, droite et rigide, ou frêle et
penchée vers l'avant. Si la surface de cette pièce de bois n'est
pas suffisamment irrégulière, elle sera travaillée dans le
but de créer des fissures, des creux et des entailles. Cette
démarche d'altéra-tion du bois permet à l'argile une
meilleure adhérence sur le support. Ensuite, viennent les phases de
recouvrement du bois, des pièces de tissu imbibées de terre et
d'eau ainsi que des morceaux d'argiles sont appliqués. Ces
éléments tiennent soit par adhérence au bois, ou bien sont
noués et cloués.
Entre chaque phase de recouvrement, il faut un certain temps
de séchage, d'une ou de plusieurs heures à quelques jours, le but
étant de laisser l'argile sécher intégralement; ainsi des
fissures se forment, des craquelures fragilisent certains endroits, et les
tissus imbibés sont devenus solides. S'ensuit alors un nouvel ajout
d'argile qui tiendra compte des divers incidents de matière
provoqués par le séchage. Ces différentes phases de
travail impliquent donc un rapport à la sculpture qui s'inscrit dans la
durée et dans une certaine forme du « laisser agir ».
Laisser agir le temps, le séchage, la matière
qui s'affaisse, le liquide qui s'écoule, le tissu qui se fige. Entre
chaque retour sur la sculpture, sont effectuées des actions de grattage,
de gravure, d'altération, de coulure d'encre ou de terre diluée
et d'application de pigment. Par un processus d'ajout, de
détérioration, de recouvrement, de coulure, la forme mouvante,
instable tend vers la figure. Au grès des accidents, des craquelures de
la terre qui sèche, des drapés du tissu, quelque chose d'humain
semble se manifester, comme arraché à la matière.
Mais c'est véritablement cette action spécifique
de recouvrement qui est à l'origine de l'effet plastique final. Chaque
ajout, chaque couche de matière vient amplifier une forme
première, ou vient l'effacer,
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mais cette accumulation relève bien d'une action de
retour sur la sculpture. Et si l'on ne peut constater visuellement, et avec
précision, la hiérarchisation chronologique de chaque strate, le
rendu final permet néanmoins de juger de ce processus de
recouvrement.
Il faut également noter que cette stratification des
couches de matières donne aux sculptures un aspect usé, comme
s'il s'agissait d'objets anciens. Les formes sont accidentées et
incertaines, le drapé du tissu peut tout aussi bien évoquer un
vêtement qu'un pli de chairs, les effets de matières, les
coulures, les déchirures, nous révèlent l'action du
sculpteur, mais nous évoquent également les outrages d'un corps
martyrisé ou flétri par le temps.
Dans ces sculptures, c'est donc bien le processus de
stratification qui, établissant une figure aux formes
abîmées et parfois inquiétantes, instaure chez le
spectateur qui les contemple, un trouble, une incertitude sémantique.
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