Introduction.
« La matière est éternelle, non l'aspect.
Tout sur la terre est perpétuellement pétri par la mort,
même les monuments extra-humains, même le granit. Tout se
déforme, même l'informe.» Victor Hugo, Les travailleurs
de la Mer
Sculpture et vidéo, modes de fabrication et
présentation: le processus d'une coalescence des formes.
Au commencement il y a une fuite. Fuite vers la
matière, vers le palpable.
S'écarter de la vidéo pour se plonger dans le
travail sculptural a été pour moi une façon de mettre
cette première pratique entre parenthèse. J'avais alors
remarqué ma tendance à tourner en rond dans mon travail
vidéo, il me fallait donc faire un retour vers la matière, et
enfin endurer les exigences de la matérialité.
Jusqu'alors liée à l'image évanescente,
à la projection et aux effets de mise en scène, ma pratique a
dû s'adapter au mode sculptural. Mais, alors que je débutais la
sculpture, je ne cherchais pas à transposer dans ce médium ce que
j'avais déjà fait en vidéo. Bien au contraire, j'ai
d'abord cherché à fuir la vidéo et tout ce que je savais
d'elle, j'ai voulu me perdre dans la sculpture et me confronter à mon
absence de maitrise dans ce nouveau médium.
Au début bien sûr, ce ne fut pas très
concluant. Les formes lisses, la précision des gestes et la douceur de
l'argile ne me satisfaisaient pas. Je cherchais un rapport à la
matière plus brutal, plus primaire, moins maitrisé. J'en suis
donc venu à fabriquer des sortes de totem, en utilisant du bois, de
l'argile et du tissu. Après quelques essais, je commençais enfin
à obtenir des formes concluantes. J'ai donc continué à
fabriquer ces totems, que j'appelle aussi des vigies, et je les ai
déclinés sous différents formats tout en employant divers
matériaux.
Lors de ces moments de retraites, enfermé dans mon
atelier, l'expérience physique de la sculpture s'est mêlée
à une véritable expérience visuelle. La couleur de
l'argile, des encres et des pigments, le drapé des tissus, la
rugosité du bois, la confusion entre les mains agissantes, recouvertes
de terre rouge, et la matière informe et cramoisie ; tout m'appelait
alors à effectuer un retour vers l'image, un retour qui se ferait plein
de cette nouvelle expérience.
Ainsi, après ce passage par la matière,
après cette incarnation, je suis revenu progressivement à la
vidéo (tout en continuant la sculpture), avec l'intime conviction que
ces deux médiums n'étaient pas si éloignés, ou du
moins que mes pratiques de la sculpture et de la vidéo se
rapprochaient.
Et ce rapprochement, ces passerelles qui se tendent entre ces
médiums, je l'ai nommé
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coalescence des formes. La coalescence est la rencontre,
l'union parfois contre nature, entre des éléments
séparés.
Les formes se rapprochent, s'affrontent, s'allient et se
mêlent, et finissent parfois, contraintes par la puissance du choc, par
se confondre.
Or, si cette coalescence des formes est vraie pour les
matériaux qui composent la vidéo et la sculpture, elle l'est
également pour la vidéo et la sculpture entre elles.
J'ai donc décidé de les présenter en un
même espace, ce qui permettrait de les appréhender non pas l'une
à côté de l'autre, mais ensemble, organisées l'une
en fonction de l'autre. Cet espace de présentation, de mise en
scène, où la sculpture rencontre la vidéo, prend alors la
forme d'une installation-projection-vidéo.
Il s'agit donc, à travers ce dispositif, de rendre plus
visibles, plus appréhendables les liens tissées entre les
matériaux et entre les différents avatars de ma pratique.
A travers cette approche d'abord plastique de mon travail, ce
questionnement relatif à ce qu'il y a à voir, à toucher,
à ressentir, j'ai voulu comprendre ce qui se manifeste lors de la
rencontre entre ces médiums.
Je me suis donc intéressé, en premier lieu, aux
modes de fabrication employés tant en vidéo qu'en sculpture, et
aux similitudes que présentent ces divers procédés.
L'aboutissement formel de ces processus singuliers, donnant à voir ce
que je nomme des images palimpsestes.
J'ai ensuite abordé les questions relatives au
dispositif de présentation des deux médiums. Comment les faire
cohabiter ensemble malgré leurs différences ? Mais
également, comment penser cet espace de mise en scène au
delà du lieu, et quel rapport particulier instaure-t-il entre les
éléments exposés et le spectateur?
Après ces questions liées à l'espace, je
me suis penché sur la notion du temps comme matériau. Entre le
temps figé des sculptures et le temps cyclique de la vidéo, on
trouve celui de l'éternité, mais également celui de la
lenteur qui déforme.
Ces déformations, ces formes condamnées à
l'agonie tant par leurs processus de fabrication que leur mode de
présentation, m'ont mené jusqu'à la notion d'informe et au
sentiment « d'inquiétante étrangeté » qui s'en
dégage.
Ces formes s'effondrant sans cesse sur elles-mêmes,
entre perdition et affirmation, maintenues dans un équilibre
précaire aux frontières de la défiguration, sont donc
celles du surgissement de l'étrange, de la fascination et du
dégout, du repos froid de la pierre et des palpitations infâmes de
la chair, de ce qui voudrait nous élever en nous tirant toujours plus
vers l'abîme.
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