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Sculpture et vidéo, modes de fabrication et présentation : le processus d'une coalescence des formes.

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par Kevin Fouasson
Université Rennes 2 - Master 2 Arts Plastiques 2012
  

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Informes figures humaines et sentiment d'effroi.

Au fil de ces opérations, de ces procédés qui mettent en place l'informe, on constate que la perversion des formes peut nous apparaître comme quelque chose d'hideux et de repoussant. J'évoquais précédemment l'idée de fatras gluant et de grotesque, et Rosalind Krauss parlait du sentiment « d'in-

61 Ibid, p.229.

62 Vermeer, L'art de la peinture. Kunsthistorisches Museum, Vienne, 130 x110 cm, 1665.

63 Daniel Arasse, Histoire de peintures, Vermeer : fin et flou, émissions enregistrées pour France Culture,

2003.

64 Friedrich Von Schiller, Du Sublime, Fragment sur le Sublime, trad. A. Régnier, Arles, Editions Sulliver, 1997,

p.66.

65 Ibid, p.65.

65

quiétante étrangeté » prodigué par la lenteur et les formes qu'elle engendre. Georges Didi-Huberman quant à lui, parle d'un registre dans lequel « se décomposent les données traditionnelles de la « figure humaine » : le registre non artistique de « faits inquiétants » et d'objets dans lesquels l'anthropomor-phisme, voué à certaines opérations plus ou moins obscures, devient une « chose » de terreur bien plutôt qu'un « sujet » de beauté66. »

Or, les situations « non artistiques » qui nous placent face à l'informité des corps, sont généralement des situations peu appréciables, et même parfaitement rebutantes. Georges Bataille nous parle de la « terreur extrême » éprouvée par les primitifs face à « l'aspect intolérable des chairs en décomposition » et de « l'excès de virulence active de la pourriture67 ». Quant à Georges Didi-Huberman, il qualifie « la décomposition [...] de la chair elle-même » comme étant « atrocement multicolore, et presque « vivante »68 ».

Ainsi la figure de l'informe, en nous renvoyant à une certaine morbidité, devient angoissante, et le fait de lui prêter un caractère humain et des propriétés anthropomorphes renforce ce sentiment de malaise. L'informité du corps est instinctivement pour nous le synonyme de la maladie ou pire, de la mort et son ignoble putréfaction. L'informe dans le domaine artistique nous amènerait donc vers des considérations que nous éprouvons d'ordinaire face à ce que Georges Didi-Huberman qualifie de « registre non artistique ».

Pour illustrer son propos, Georges Didi-Huberman s'appui sur une photographie d'Eli Lotar parue dans la revue Documents69, intitulée Aux abattoirs de la Villette. On voit sur cette photographie en noir et blanc, un petit tas de peau enroulée sur elle-même se trouvant au premier plan. Une trainée sombre et gluante - certainement de sang - relie ce petit tas de peau à une porte fermée située en arrière plan. Pour Georges Didi-Huberman, cette image « proposée au regard du lecteur de Documents est aussi une image de mouvement malgré tout. C'est quelque chose qui bougeait vivant - un « animal » -, et c'est quelque chose qui, mort, bouge encore, traîné jusque devant cette porte fermée, exhibant encore la trace de son déplacement70. »

On peut alors rapprocher cette photographie d'un texte de Georges Bataille dans lequel il nous fait la description - à grand renfort de détails - de sacrifices rituels chez les aztèques71.

66 Georges Didi-Huberman, La ressemblance informe, ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille, op. cit.,

p.105.

67 Georges Bataille, « Le masque » (1934), cité par Georges Didi-Huberman, La ressemblance informe, ou

le gai savoir visuel selon Georges Bataille, op. cit., p.105.

68 «Georges Didi-Huberman, La ressemblance informe, ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille, op.

cit., p.109.

69 « Documents était, du moins dans l'esprit de Georges Wildenstein, qui la finançait au même titre que la

Gazette des beaux-arts, une véritable « revue d'art » : luxueuse et très illustrée, orientée pour une bonne part sur un point de vue iconographique [...]. Mais Bataille fit bien plus, on le sait, que jouer à ce jeu là. Paraphrasant son expression célèbre relative à la notion, ou plutôt à l'usage du dictionnaire, nous pourrions dire ici que, pour lui, une revue d'art devait commencer - ou commencer d'exploser - à partir du moment où elle ne donnerait plus le sens, mais les besognes des images. »

Georges Didi-Huberman, La ressemblance informe, ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille, op. cit., p.12.

70 Ibid, p.162.

71 « Le prêtre faisait maintenir un homme le ventre en l'air, les reins cambrés sur une sorte de grande borne

et lui ouvrait le tronc en le frappant violement d'un coup de couteau de pierre brillante. Les os étant ainsi tranchés, le coeur était saisi à pleines mains dans l'ouverture inondée de sang et arraché violement avec une habilité et une promptitude telles que cette masse sanglante continuait à palpiter organiquement pendant quelques secondes au-

66

Elie Lotar

Aux abattoirs de la Villette, 1929, photographie tirée de l'article «Abattoir», Documents n°16.

67

Dans ce rituel de sacrifice comme dans l'abatage de la vache, il résulte un résidu de la chose anéantie: un petit tas de peau. Détruire une forme en produit donc une autre, moins déterminée, celle de l'informe. Et il en va de même dans la fabrication des sculptures; à chaque nouvelle intervention, après séchage, des morceaux sont brisés et perdus, laissant apparaître de nouvelles formes, celles de strates jusque-là dissimulées. Mais cette altération comme processus de fabrication des sculptures, et aussi de l'image vidéo, ne mène pas à l'anéantissement de la figure humaine, ni à la disparition de toute forme. Tout comme la peau écorchée du sacrifié aztèque qui retrouve forme humaine lorsque le prêtre la place sur son propre corps, la figure humaine demeure présente et décelable.

Didi-Huberman explique à ce propos que « l'informe, ce n'est pas que le corps ouvert, écrasé, dépecé et dévoré de la victime aztèque soit seulement autre chose qu'une « Figure humaine » ; c'est l'avène-ment d'un paradoxe supplémentaire et décisif, intimement plus cruel - infiniment plus cruel -, d'un paradoxe selon lequel toute « Figure humaine » demeure « Figure72 » et demeure « humaine», bien que capable d'ouverture, décrassement, d'écorchement ou de dévoration73. »

Le principe de cruauté et de violence, qui vise à l'altération des formes et à leur perversion - que ce soit par leur processus de fabrication ou par leur mode d'exposition - contribue donc, non pas à évacuer les formes de l'humain, mais à les troubler au point de demeurer sur le seuil de l'indétermination du caractère vivant ou mort, mouvant ou immobile, sacré ou impure des figures présentes.

« Le deuil de la « Figure humaine » ne saurait être qu'un interminable, un incurable processus: nul ne sait résoudre le deuil de la « Figure humaine », se résoudre à sa perte, et Bataille, pas plus qu'un autre, n'a voulu ni cru en finir avec elle. La « Figure humaine » ne saurait s'absenter absolument de notre monde: sa perte ne saurait être qu'un moment catastrophique, un accident, une syncope, un symptôme.

[...] La « Figure humaine » demeurerait ainsi l'indestructible socle de toute pensée humaine. Même dans le champ esthétique, l'informe ne saurait donc se donner comme un résultat absolument réalisé: l'informe, nous l'avons vu, procède de mouvements - horreurs ou désirs -, et non de stases obtenues. Il n'est, il ne sera jamais absolu (il perdrait du même coup sa valeur de démenti). Il tend toujours vers un impossible, il ne réalise en fait que l'impossibilité même d'un résultat définitif. Voilà pourquoi il n'est qu'une « mise en mouvement » - mais telle est sa positivité par excellence, sa haute d'affirmation -, et non la « fin » de ce mouvement74. »

dessus de la braise rouge : ensuite le cadavre rejeté dégringolait avec lourdeur jusqu'au bas d'un escalier. Enfin, le soir venu, tous les cadavres étant écorchés, dépecés et cuits, les prêtres venaient les manger.

Ceux-ci ne se contentaient d'ailleurs pas toujours de s'inonder de sang, d'en inonder les murs du temple, les idoles, les fleurs brillantes dont l'autel était encombré : à certains sacrifices comportant l'écorchement immédiat de l'homme frappé, le prêtre exalté se couvrait le visage avec la peau sanglante du visage et le corps avec celle du corps. Ainsi revêtu de ce costume incroyable, il priait son dieu avec délire. »

Georges Bataille, « L'Amérique disparue » (1928), OEuvres complètes, Paris, Gallimard, 1970, p.156-157.

72 Déjà nous l'avions constaté avec la vidéo de Bill Viola, Chott el-Djerid (a portrait in light and head), bien

qu'elles soient étirées, déformées, dissoutes et floues, les figures humaines restent toujours décelables dans le paysage.

73 Georges Didi-Huberman, La ressemblance informe, ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille, op.

cit., p.136.

74 Ibid, p.167.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon