III- Présentation de l'identité
professionnelle de l'infirmière
L'identité professionnelle de l'infirmière est
étroitement liée à son histoire. Il s'agit de la
reconnaissance d'une profession. L'identité professionnelle pour la
majorité des infirmières est déjà construite
dès son entrée à l'Institut de Formation des Soins
Infirmiers (IFSI). Selon Dubar (2002, p.142), « on quitte la formation
initiale avec une identité professionnelle reconnue ». La
population des étudiantes infirmières est très
hétérogène durant la période de formation. Celle-ci
regroupe différentes tranches d'âges (entre 17 et 50 ans), de
diverses origines et majoritairement féminines. Ces personnes justifient
soit du baccalauréat, ou d'autres niveaux d'études
équivalent. Ces futures infirmières peuvent être aussi des
professionnels de la santé en promotion ( comme le cas des
aides-soignantes et des auxiliaires de puériculture) et autres
professionnels en reconversion ayant exercés dans d'autres secteurs. Si
on se réfère à la socialisation de Dubar (1998, p.135),
ces infirmières en formation possèdent déjà une
identité personnelle et une conception de la profession en lien avec
leur identité, leur culture, leurs expériences, et leur histoire
de vie. Ce qui signifie que toute personne qui arrive en formation
paramédicale dispose de représentations, de conceptions et de
connaissances préalables qui auront forcement, une influence sur les
acquisitions ultérieures. Ces étudiantes infirmières vont
donc évoluer individuellement de façon différente au cours
de la même formation. Elles possèdent déjà une
identité personnelle reconnue par les autres et elles construisent une
nouvelle identité dont elles revendiquent la reconnaissance (Dubar,
1998, p.139).
De par la législation qui réglemente la
profession des infirmières, celles-ci travaillent en équipe et
partagent un ensemble commun de pratiques et de valeurs dans leurs diverses
activités quotidiennes, constituant ainsi une part importante de leur
identité professionnelle. Une sorte d'identité transmise et
partagée dès l'apprentissage par alternance pendant les stages
pratiques exigés par la formation initiale (théorie/pratique), et
tout au long du parcours professionnel (Dubar, 2002, p.142). Donc,
l'infirmière s'identifie et se construit face à cet ensemble
commun, qui définit toutefois le rôle attendu de ces
professionnelles, c'est-à-dire en quelque sorte leur
professionnalité. Cette professionnalité, organisée par
les connaissances, les capacités, les compétences et les savoirs,
est propre à une profession (Wittorski, 2005, p. 9). En effet,
l'identité professionnelle pour l'infirmière ne peut être
que le résultat d'un processus collectif comme nous l'a
précisé Dubar (2002, p.141). Celle-ci en s'identifiant à
un groupe de professionnel dans son service de soins, vit une sorte d'«
identification » toute particulière, à
44
savoir : sa personne avec son vécu, ses valeurs, ses
expériences qui ont forgé son caractère et son
identité personnelle. Si cette infirmière se retrouve face
à des interactions nouvelles avec un mode méconnu comme la
pratique d'une nouvelle activité ETP, alors qu'elle a déjà
une activité bien définie, elle-même marquée d'une
identité d'infirmière reconnue par des patients et des
professionnels (multidisciplinaire). Elle doit donc s'identifier face à
ces mutations dans son activité d'infirmière. Elle doit aussi se
sentir reconnu par ses pairs et par les patients dans son nouveau rôle
d'éducatrice, pour acquérir une identité
d'infirmière éducatrice. Nous supposons que tout changement dans
les habitudes de travail de cette infirmière, entraînera des
transformations identitaires profondes et une réorganisation de la
hiérarchie des activités et des priorités. Selon P. Tap
(1998, p. 66), « cette identité constitue un effort constant
pour gérer la continuité dans le changement, ce qui n'est pas
toujours facile ». L'identité ne devient alors « une
préoccupation et un objet d'analyse que lorsque les acteurs n'arrivent
plus à s'accorder sur la signification de la situation et les
rôles qu'ils sont censés tenir » (Pollak, 1990, p.
10).
45
Synthèse de la première
partie
Nous venons de constater au travers de la première
partie de notre travail, que le nombre alarmant des personnes vivant avec une
maladie chronique déclaré par le Ministère de la
santé et de la solidarité en 2007, représente un
problème de santé pour la population et un véritable souci
pour notre société, plaçant l'ETP au coeur des
débats des politiques et des professionnels de la santé, une des
priorités en matière de santé publique. Suite à ce
constat, l'activité ETP devient une nécessité, reconnue
par l'OMS-Europe en 1998, la décrivant comme une continuité
indispensable à l'éducation à l'auto soin. Plusieurs
études engagent des enjeux sociaux, théoriques et
épistémologiques comme principaux facteurs pouvant être
considérés à l'origine de son émergence. La
pratique de cette activité éducative a été reconnue
officiellement par la France en 2009. Elle s'inscrit dans le parcours des soins
du patient atteint d'une pathologie chronique. Les modalités de sa mise
en oeuvre sont décrites dans des articles de loi. Dans ce sens, des
programmes éducatifs sont conçus pour les patients. Leurs actions
s'appuient sur un cadre législatif et, leur mise en oeuvre a
été confiée aux professionnels de la santé.
Cette pratique éducative nécessite une
combinaison des modèles de la santé avec ceux de
différentes disciplines comme la psychologie, la sociologie, la
psychologie sociale, l'anthropologie et les sciences de l'éducation.
Elle apparaît comme une activité à part entière
qu'on peut assimiler aux autres soins curatifs. Son action d'accompagnement ne
peut se réduire à l'information sur des notions de savoirs ou de
savoir-faire (information sur une pathologie, ou technique d'auto soin), elle
nécessite un accompagnement pédagogique, le fait qu'elle vise
l'appropriation des savoirs et savoirs- faire par les patients.
Nous venons de voir aussi au travers de cette partie, la
très grande diversité que revêt l'activité
infirmière avec toute sa complexité et sa richesse. En effet,
l'activité de l'infirmière, et l'organisation de son
système d'activités ne dépendent pas forcément que
de l'application des prescriptions médicales, c'est aussi un rôle
propre, ou l'infirmière a la capacité de prendre des
décisions et des responsabilités pour les différentes
tâches qu'elle décide d'entreprendre. L'infirmière donne
des soins dans le cadre de ses deux rôles (prescrit et propre), assure la
prévention, la sensibilisation, l'information et l'accompagnement, pour
une prise en charge du patient. Avec l'intégration de l'ETP à ses
activités de soins, il ne s'agit plus, pour elle, de s'en tenir au seul
traitement de la maladie, mais aussi de prendre en compte la
répercussion de cette maladie sur l'ensemble des besoins de l'individu,
afin de maintenir, restaurer et promouvoir la santé du malade. Il s'agit
donc de demander à cette infirmière d'effectuer des changements
par rapport à : ses pratiques quotidiennes, ses représentations
et sa posture
46
d'infirmière. L'ETP considère aussi le patient
comme un usager qui sollicite les soignants pour l'aider à opérer
ses propres choix. Dans ce cas de figure, cette activité
éducative engagera éventuellement un transfert de
compétences de l'infirmière vers ce patient. Ce transfert de
compétence va sûrement engendrer un changement de statut que ce
soit pour l'infirmière ou pour le patient. Ce changement de statut va
modifier les rôles de chacun. L'infirmière deviendra une «
infirmière éducatrice », et le patient deviendra un «
apprenant particulier ». Face à cette situation et à ce
nouveau modèle de patient, l'infirmière éducatrice doit
avoir recours à de nouvelles compétences dites «
pédagogiques » pour intégrer l'activité ETP dans ses
pratiques.
47
DEUXIEME PARTIE
48
Cadre théorique
49
Dans cette partie nous proposons la théorie des soins
infirmiers de H. Peplau (1952), que nous jugeons qu'elle aborde la pratique
éducative. Ensuite, nous présenterons les modes d'accompagnement
professionnel proposés par M. Paul (2004) et, en dernier nous aborderons
les concepts de l'identité en lien avec la construction et la
transformation de l'identité professionnelle.
I- Présentation des théories de soins
infirmiers
L'activité de l'infirmière nécessite
savoir et réflexion, son impact sur la vie des personnes peut être
extrêmement grand. Différentes théories de soins ont
été proposés par plusieurs théoriciennes de soins.
Nous nous basons sur le travail de Kérouac et ses consoeurs (1996), pour
présenter les théories de soins, que nous estimons en lien avec
la pratique éducative. Ces auteurs ont répertorié dans un
livre intitulé « La pensée infirmière
conceptions et stratégies », vingt-trois théories
relatives aux soins. Ces théories ont été regroupé
en six grandes écoles : école des besoins18,
école de l'interaction19, école des effets
souhaités20, école de la promotion de la
santé21, école de l'être humain
unitaire22 et en dernier école du caring23. Pour
Kérouac, ces théories de soins consistent à expliquer,
décrire, prédire, diriger, contrôler et faire
18 Centre le soin sur l'indépendance de la
personne de satisfaire ses besoins fondamentaux et sa capacité
d'effectuer ses auto-soins. Le rôle de l'infirmière est d'aider
cette personne à retrouver son autonomie. Les principales
théoriciennes de cette école sont : Virginia Henderson, Dorothea
Orem et Faye Abdellah.
19 Voit le soin comme un processus interactif entre
une personne ayant besoin d'aide et une autre capable de lui offrir cette aide.
Les théoriciennes de cette école sont : Hildegarde Peplau,
Joséphine Paterson, Loretta Zderad, Ida Orlando, Joyce Travelbee,
Ernestine Widenbach et Imogene King ; elles ont réintroduit l'intuition
et la subjectivité dans le soin infirmier.
20 Les théoriciennes de cette école
sont Dorothy Johnson, Lydia Hall, Myra Levine, Callista Roy et Betty Neuman),
elles considèrent que le but des soins infirmiers consiste à
rétablir un équilibre, une stabilité, une
homéostasie (préserver l'énergie).
21 Est représenté par la
théoricienne Moyra Allen, qui s'est inspirée de la philosophie
des soins de santé primaires et la théorie de l'apprentissage
social de Bandura pour fonder son modèle intitulé «
modèle de McGill ». Ce modèle est orienté vers la
promotion de la santé de la famille.
22 Sa vision se situe dans le contexte de
l'orientation de l'ouverture sur le monde et du paradigme de la transformation.
Les théoriciennes de cette école sont Martha Rogers, Margaret
Newman et Rosemarie Rizzo Parse. Leurs théories découlent de
travaux philosophiques et de théories de la physique.
23 Elle s'intéresse à l'orientation
de l'ouverture sur le monde et le paradigme de la transformation. Les
théoricienns de cette école sont : Benner, Wrubel, Watson et
Leininger. Pour eux, le caring est formé par l'ensemble des actions qui
permettent à l'infirmière, de déceler de façon
subtile les signes d'amélioration ou de détérioration chez
la personne, en respectant les valeurs, les croyances, le mode de vie et la
culture des personnes.
50
comprendre le soin (c'est la fonction de l'infirmière).
Elles reposent sur quatre concepts fondamentaux qui sont : la personne, la
santé, l'environnement et les soins infirmiers. Parmi ces
théories, celle de Florence Nightingale (1859) représentant la
première théorie qui a défini les soins infirmiers. Cette
théorie consiste à placer la personne malade ou en santé
dans les meilleures conditions possibles pour que la nature puisse
préserver ou restaurer sa santé. D'après Kérouac,
elle définit les soins comme un service à l'humanité
basé sur « l'observation et l'expérience ». La
théorie des soins représente pour Nightingale, l'observation
intellectuelle apportée aux activités en lien avec les soins. Si
on se réfère à la signification étymologique du
terme « théorie » qui vient du latin « theoria
» emprunté au grec « theôrein », qui
désigne littéralement « observer ». Les théories
en soins infirmiers seraient donc des modèles de soins basés sur
l'observation intellectuelle et l'expérience comme le précise la
définition de Nightingale.
Nous tenons à préciser que le modèle de
soins infirmiers enseigné dans les IFSI et pratiqué par les
infirmières françaises, n'aborde pas la pratique
éducative. Son approche du soin se base sur les modèles
conceptuels de « l'école des besoins » plus influencée
par la théorie de Virginia Henderson (1994). Cette théorie
définit les soins infirmiers comme une aide apportée au patient,
une assistance dans les activités qu'il ne peut faire lui-même :
soit par manque de force, de volonté ou de connaissances, afin de
conserver ou de rétablir son indépendance dans la satisfaction de
ses 14 besoins fondamentaux24. Donc la théorie
enseignée dans nos IFSI, centre le soin sur l'indépendance de la
personne malade dans la satisfaction de ses besoins fondamentaux. C'est suite
à ce constat, que nous avons décidé de présenter la
théorie de Peplau (1952), issue de l'école de l'interaction, pour
nous, en plus de prendre soin, elle illustre l'importance de la dimension
relationnelle par rapport à l'activité de l'infirmière.
1- Présentation de la théorie de Peplau
(1952)
Pour présenter cette théorie et le rôle
qu'elle donne à l'infirmière, nous avons effectué une
synthèse des cours enseigné aux IFSI, il s'agit de l'unité
d'enseignement (UE 3.1), intitulée « Raisonnement et
démarche clinique ».
24 Respirer, boire et manger, éliminer, se
mouvoir, dormir et se reposer, se vêtir et se dévêtir,
maintenir la température du corps dans la limite de la normal,
être propre et protéger ses téguments, éviter les
dangers, communiquer, pratiquer sa religion et agir selon ses croyances,
s'occuper et se réaliser, se récréer et en dernier le
besoin d'apprendre.
51
Les soins infirmiers représentent pour Peplau
« un instrument éducatif, une force aidant à la
maturité, qui a pour but de promouvoir le développement de la
personnalité vers une vie créative, constructive, productive pour
l'individu et pour la communauté ». Peplau considère
qu'il apparaît essentiel de se poser un certain nombre de
questions25 avant d'accueillir un patient dans son unité de
soins. Le soin représente pour lui, une action « humaine »
et « non mécanique ». L'infirmière doit
posséder des connaissances systémiques, afin d'évaluer les
besoins d'aide de la personne, de poser un diagnostic, et de planifier une
intervention. Le patient doit être capable de reconnaître ses
besoins. Selon cette théorie, le soin est un « processus
interactif » entre une personne ayant besoin d'aide et une autre
personne capable de lui offrir cette aide. Donc, l'intérêt du soin
est centré sur le processus d'interaction entre l'infirmière et
le patient. Où, l'infirmière doit clarifier ses propres valeurs,
utiliser sa propre personne de façon thérapeutique et s'engager
dans la globalité du soin, qu'il soit curatif ou éducatif. Cette
théorie incite l'infirmière et le patient à se
connaître et à travailler en coopération pour
résoudre les difficultés. Dans cette perspective, la
théorie de Peplau questionne et s'intéresse au vrai rôle de
l'infirmière, à comment « une infirmière peut
aider le patient à prendre conscience de ce qui lui arrive pour mieux
développer un comportement coopératif... » A propos de
ce rôle, la théorie de Peplau propose différents
rôles indispensables à la pratique infirmière.
2- Le rôle de l'infirmière selon la
théorie de Peplau
Peplau (1952) dans sa théorie propose pour
l'infirmière six rôles fondamentaux :
? Le rôle de personne étrangère («
stranger role ») : l'infirmière accueille le patient comme
une personne à part entière avec son expérience et son
histoire de vie, elle tient compte des différents aspects pour
établir un climat de communication et de confiance mutuelle ;
? Le rôle de personne ressource (« ressource
role ») : l'infirmière donne les informations utiles et
pertinentes (répond aux questions, donne des explications, des
interprétations des données médicales) ;
? Le rôle éducatif (« teaching role
») : l'infirmière donne des instructions et participe à
l'éducation du patient, elle analyse le degré de
compréhension de la personne et adapte le processus éducatif ;
25Ccomment réagissent les individus
lorsqu'ils commencent à se sentir malades ? A quel moment
recherchent-ils une aide professionnelle, et quelles attitudes adoptent-ils ?
Savent-ils utiliser cette aide professionnelle ? ...etc.
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? Le rôle de leader en soins infirmiers («
active leadership role ») : l'infirmière aide le patient
à s'impliquer activement dans les soins qui lui sont prodigués,
elle veille aussi à ce que la personne soit satisfaite du soin
donné ;
? Le rôle de substitut maternel (« surrogate
role ») : l'infirmière agit pour pallier les besoins du
patient, elle l'aide à clarifier la nature de cette relation en lui
donnant des repères ;
? Le rôle de conseillère, d'assistante
psychosociale (« counseling role ») : l'infirmière
guide le patient à comprendre et à accepter les changements de
son état de santé, elle l'accompagne et l'encourage à
faire face aux changements pour améliorer son mode de vie.
Ces rôles illustrent un schéma au
caractère dynamique et typique à la pratique de
l'infirmière. Pour nous, cette théorie questionne la posture
éducative de l'infirmière et son comportement avec le nouveau
modèle de patients (partenaire de soin), le fait qu'il s'agit de les
accompagner à l'apprentissage.
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