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Impact de l'introduction de l'ETP sur les transformations des systèmes d'activités et les transformations identitaires des infirmières devenant aussi "éducatrices".

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par Malika Salhi-Bouyagoub
Paul-Valéry Montpellier II - Master 2 2015
  

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IV- Traitement des scripts recueillis

Dans cette partie nous nous sommes intéressé aux idées formulées par les interviewées, afin de présenté un panel le plus représentatif possible des pratiques, convictions, opinions et représentions de ces infirmières éducatrices par rapport à leurs activités et leur identité, de manière à présenter fidèlement les caractéristiques d'une réalité. Dans ce cadre, pour explorer les données obtenues par les entretiens semi directifs, nous avons opté par une méthodologie d'analyse de données selon trois étapes : la phase de catégorisation, la phase descriptive et interprétative et enfin, la phase d'analyse (Quivy & Campenhoudt, 2006). Dans ce sens, nous avons retranscrit intégralement les scripts de chaque entretien et les avons répertoriés dans des tableaux55, ensuite nous avons procédé par un « codage chronométré » des idées qui apparaissent au fil de l'écoute pour chaque enregistrement. En deuxième phase, nous avons effectué le tri à plat des scripts de chaque entretien, pour faciliter l'interprétation des données et, pour faire émerger des convergences ou des divergences dans la pratique de l'ETP par les interviewées. Notre but est de chercher à produire du sens à partir de ces données recueillies, qui ont fait l'objet d'une analyse de contenu, que nous avons élaboré dans cette quatrième partie de ce mémoire. Nous procéderons donc par une méthode d'analyse thématique qui, selon Blanchet et Gotman, est la plus « cohérente avec la mise en oeuvre de modèles explicatifs de pratiques ou de représentations... » (2001, p. 98). En effet, dans la partie qui suit, nous nous contenterons de présenter que la phase descriptive et interprétative, suivi de la phase d'analyse.

1- Synthèse des verbatims

Suite à la phase des tris à plat pour chaque entretien, j'exposerai dans cette partie une synthèse des contenus recueillis. J'ai choisi donc, de regrouper les sujets abordés durant les entretiens en 07 thématiques, pour faciliter l'analyse et l'interprétation des données et, pour faire émerger des convergences ou des divergences dans la pratique de l'ETP par les interviewées.

1) Présentation, représentation et organisation de l'activité ETP par les infirmières interviewées (moyens mobilisés, justification du choix, ...)

a) Présentation et organisation de l'ETP par les interviewées

55 Joints en annexe n°5

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L'enquête révèle des intentions différentes par rapport à l'instauration de l'ETP dans les trois services et une organisation distincte d'un service à un autre avec quelques procédés semblables.

A l'Hôpital de Jour : l'initiative de l'élaboration des programmes ETP répond au projet de l'établissement. C'est le fruit du travail d'une équipe pluridisciplinaire. Marie témoigne : « On a eu une réunion de travail avec la coordinatrice de l'ETP, médecins, diète, kiné, cadre... on a fait une fiche pédagogique avec les déroulements de tous les thèmes. On nous a installé un logiciel pour entrer les infos des patients et créer le dossier éducatif » (00'37).

Dans ce cadre, la mise en place de ces programmes éducatifs a été confiée au médecin coordinateur de l'ETP et à une infirmière justifiant d'un Master en éducation thérapeutique qui occupait le poste d'éducatrice. Un an plus tard, l'infirmière éducatrice quitte le service pour une promotion. L'HDJ s'est retrouvé alors sans éducatrice. Ces circonstances ont eu un impact important sur la poursuite de l'activité ETP dans le service. C'est à ce moment que Marie une des infirmières du service postule pour le poste d'éducatrice est l'occupe à ce jour, elle est la seule infirmière éducatrice dans son service. Donc, être éducatrice relève d'un choix personnel pour Marie : « oui c'est un choix. En fait, j'avais une collègue DU qui occupait ce poste. Et éduquait les patients. Et quand elle est partie, j'ai demandé d'occuper son poste de référente...et voilà 3 ans déjà. En 2011, j'ai en fait repris les programmes, les ateliers qui n'avaient pas encore était fait (00'10).

-Marie n'organise que les séances collectives : elle les réalise dans une salle appartenant à l'hôpital, qu'elle réserve tous les jeudis. Elle a mis en oeuvre un prospectus qu'elle propose aux patients pour les initier à la pathologie et aux séances proposées : « j'ai fait un p'tit flayer pour représenter un p'tit peu ce que l'éducation thérapeutique » (01'48).

-Marie propose aux patients trois programmes éducatifs le jour du diagnostic éducatif : chaque programme représente un atelier éducatif. L'atelier dure environ 3 à 4h, concentré sur une journée dans la semaine (le jeudi) soit le matin, ou l'après-midi. Les trois ateliers sont programmés successivement deux mois plus tard. Le premier atelier, Marie le réalise avec un rhumatologue et un pharmacien. Le nombre de participant est de 5 à 6 personnes. Le deuxième atelier, elle l'accomplit avec une diététicienne. Le nombre de participants est limité à 8 personnes. Le troisième atelier, Marie l'effectue avec un kinésithérapeute et un ergothérapeute. Le nombre des participants est aléatoire, jusqu'à 10 personnes réparties souvent en deux groupes. Marie a réalisé en 2015, 31 diagnostics éducatifs et 12 ateliers.

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En Unité de Diabétologie : avant l'année 2011, la diabétologie relevait du Service de la Médecine Interne. Laura et les autres infirmières prenaient en charge tous les patients y compris les patients diabétiques pendant 12 ans. Ensuite, les responsables et les médecins du service ont voulu créer une unité indépendante, prenant en charge que les patients diabétiques, cette unité a été intitulée « l'aide médicale ». Le but était de commencer des éducations informelles (une initiative des médecins du service). C'est dans ce cadre que l'infirmière Laura s'est retrouvée dans cette unité, pour elle, il s'agissait de séparer les différentes pathologies traitées dans son service. Ensuite, il y eu l'introduction de la pratique de l'ETP. L'unité de « l'aide médicale » prend donc l'appellation de « l'unité de diabétologie » depuis 2011. Dans cette perspective, des programmes ont été établis par les professionnels de cette unité.

Laura exprime que la pratique de l'ETP ne relève pas d'un choix personnel pour elle, mais d'une réponse à une volonté de changement de pratiques dans le service : « on n'avait pas vraiment le choix. Au départ, on était l'aide médicale...puis on a parlé de l'éducation thérapeutique dans tout l'hôpital et, on a changé de contenus. Et on a établi des programmes » (00'24).

-Pour la prise en charge de l'ETP, Laura partage l'exercice de cette activité avec 5 autres infirmières éducatrices. Elles se succèdent selon un planning de travail. Chaque éducatrice prend en charge l'activité ETP pour une durée de 2 mois consécutifs dans l'année. Les autres mois de l'année Laura ne s'occupe que des soins curatifs : « ...on ne travaille pas en même temps. C'est un planning... je suis éducatrice que deux mois dans l'année... » (05'59).

-Pour la réalisation des séances éducatives, Laura propose aux patients des séances de groupe et des séances individuelles.

En séances de groupe, Laura réalise deux programmes d'ateliers : le premier est adressé aux patients diabétiques type I et II : Il comporte un parcours de trois séances éducatives pour chaque patient. Le mercredi matin : l'atelier avec un psychologue, le jeudi matin : l'atelier alimentation avec la diététicienne et le jeudi après-midi : l'atelier pieds avec une aide-soignante. Chaque atelier dure environ 3h30. Le deuxième programme concerne les patientes atteintes du Diabète Gestationnelle (DG). Sa durée est de 2h30. Par manque de temps (en lien avec la date de l'accouchement des patientes), Laura n'a pas choisi de méthode pour ce programme. Elle réalise le diagnostic éducatif en séances collectives pour toutes les patientes ensembles. Ensuite, elle personnalise si besoin. Ces patientes sont adressées de la maternité en groupe de 4 à 5 patientes à la fois. Cette mission ne semble pas facile pour Laura : « on n'a pas choisi de méthode, ...il y en a...je prends pas de p'tit déj, il y en a que des boissons

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sucrées. On a une dame qui mange en continu... Quand on a ce genre de situation...on ne va pas détailler... l'acide essentiel...nanana. On s'adapte, c'est dur de commencer par un diagnostic pour tout le groupe en même temps, ... En fait l'éducation thérapeutique c'est aussi avoir la capacité de s'adapter...voilà » (08'25).

En séances individuelles : A chaque patient, Laura propose un parcours éducatif de trois séances, (l'initial, le suivi et le renforcement). Elle fixe les rendez-vous, convoque et rappelle les patients. Le suivi est proposé pour revoir les objectifs. Les patients ont le choix de l'effectuer au niveau du réseau. Le renforcement est proposé qu'aux patients qui ont besoin de plus de séances éducatives. Les séances individuelles se déroulent tous les lundis, mardis et vendredis de la semaine. Elles durent environ 1h.

En Service de Cardiologie : l'initiative de la mise en place de l'ETP dans ce service est naît d'un manque de l'effectif médical et d'une volonté d'aménager la charge du travail des cardiologues aux urgences, le fait que la journée de présence du médecin est partagée entre ce service et le service des urgences. D'après Sophie : « l'idée de l'ETP, c'était de désengorger un p'tit peu les urgences et puis prendre ce qui était spécifique à la cardiologie » (00'34).

-Pour la prise en charge de l'ETP, le poste d'éducatrice a été proposé à l'infirmière Sophie par son cadre de service : « On m'a proposé le poste d'éducatrice...j'ai accepté » (00'34). Sophie devient la seule infirmière éducatrice dans son service. Depuis l'instauration de l'ETP dans le service, Sophie consacrait deux jours (le mardi et le jeudi) de chaque semaine dédiée à l'activité éducative. Depuis 2015, elle ne pratique qu'une journée par semaine (le jeudi), cette baisse de l'activité ETP est expliquée par la diminution de la file active : « il n'y a pas assez de patients » (00'59).

-Pour la réalisation des séances éducatives, Sophie ne procède que par des séances individuelles, elle propose un programme de trois jours d'éducation aux patients pendant leur hospitalisation. Un mois après la sortie du patient, Sophie le convoque pour le suivi, et lui propose deux séances d'apprentissage. Chaque séance se concentre sur une journée dans la semaine (le jeudi), dans un bureau. La séance dure environ 3heures.

Les procédures identiques aux trois services

-Pour les trois services, la proposition de l'ETP aux patients relève, soit d'une prescription médicale, soit d'une initiative de l'infirmière éducatrice dans le cadre de son rôle propre. Les éducatrices disposent d'un dossier éducatif indépendant du dossier médical, spécialement conçu pour le suivi du parcours éducatif de chaque patient.

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-Les trois infirmières éducatrices « recrutent » les patients sur l'ordinateur, elles élaborent le diagnostic éducatif (appelé aussi l'initial) et définissent les objectifs avec le patient. A l'HDJ et en service de Cardiologie, Marie et Sophie n'établissent le diagnostic éducatif que si le patient est d'accord pour un suivi éducatif. Alors qu'en service de Diabétologie, Laura élabore systématiquement le diagnostic éducatif pour tous les patients atteints du diabète type I et II, ayant fait un séjour dans l'unité. Les éducatrices organisent soit des séances individuelles, soit des séances collectives. Les autres professionnelles (diététiciens, kinésithérapeutes, ...) collaborent aux séances collectives selon leurs disponibilités. Dans les trois services, les infirmières éducatrices réalisent seules le diagnostic éducatif et les séances individuelles avec les patients.

-Les activités éducatives reposent sur des méthodes pédagogiques comme la discussion, l'échange, la répétition des termes médicaux, la reformulation, et le partage des informations entre les participants et les différents intervenants. La répétition des termes médicaux représente un des outils éducatifs pour Laura : « Il ne va pas tout retenir d'emblée. Ça va être répété...répété, pendant trois jours » (10'23).

-Les thèmes abordés sont choisis par les patients, et dépendent des objectifs fixés. Le témoignage de Marie révèle que les patients apportent leurs connaissances sur les thèmes choisis et, les intervenants (l'éducatrice seule ou accompagnée d'un professionnel de santé) contrôlent les acquisitions des patients et interviennent pour plus d'explications : « on leur demande de choisir deux cartes : soit parce que ça les interpelle, soit parce qu'ils connaissent et ils veulent en parler. Soit par ce qu'ils ne connaissent pas du tout, et ils aimeraient en s'avoir. Voilà...par exemple le thème de la douleur, tout le monde est intéressé... et tout le monde peut intervenir pas que la personne qui a choisi cette carte » (13'02).

-Pendant les séances éducatives, les trois éducatrices mobilisent des moyens humains et matériels comme : les professionnels de santé (diète, kiné, pharmacien,), les patients, les compagnons, les ateliers, le support informatique, le diagnostic éducatif, la programmation, le suivi, l'évaluation, les transmissions, les outils visuels tels que, les cartes, les prospectus, le matériel utilisé par les patients (appareil à glycémie, tensiomètre, ...). Les trois éducatrices réalisent les séances individuelles soit dans la chambre du malade, soit dans un bureau appartenant à leur service, si celui-ci est disponible.

-Pour l'évaluation des séances collectives, Marie et Laura proposent aux patients un questionnaire de satisfaction en fin de chaque séance. Pour le suivi, les patients ont le choix entre l'Hôpital et le réseau. Laura témoigne : « Il y a le suivi des patients mais c'est nous qui

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le faisons, c'est le questionnaire de satisfaction pour le groupe et...pour le suivi ils ont le choix. Soit ici soit au réseau... » (34'45).

-Pour l'évaluation des séances individuelles, les trois éducatrices doivent reprendre le diagnostic éducatif pour évaluer les compétences du patient. Le manque de temps ne leur permet pas de réaliser cette procédure, aussi, les patients ne semblent pas motivés pour revenir à l'Hôpital, Marie témoigne : « ...normalement on devrait refaire un diagnostic. Au niveau timing c'est un peu difficile. Ça prend du temps...moi je passerai trois quarts d'heure sur...mine de rien...et j'essaie de ne pas dépasser une heure avec chaque patient. Et après on a les retranscriptions. Je ne veux pas utiliser l'informatique devant les patients. C'est vrai que...faire revenir les gens pour discuter ce n'est pas évident. Les gens ne sont pas forcément disponibles... Il y a des gens qui viennent de loin » (33'00).

-Pour l'évaluation de l'activité ETP en tant que telle, le témoignage des trois infirmières éducatrices confirme qu'aucun suivi professionnel n'a été effectué depuis l'intégration de cette activité éducative à leur quotidien. L'analyse des pratiques professionnelles éducatives ne fait pas encore partie des priorités de ces services. Marie et Sophie expliquent que cela est dû au manque d'outil d'évaluation : « ...on n'a pas d'outil d'évaluation de l'activité je pense...notre travail, je ne sais pas, on n'a jamais été évaluer » (43'25). « L'activité

thérapeutique en tant que telle, je dirai qu'on n'a pas d'outil pour l'évaluer... » (35'41).
Laura précise qu'il n'y a pas de suivi professionnel pour les infirmières éducatrices : « Il n'y a pas le suivi d'un professionnel. Qui nous dirait si c'est ça ce qu'on fait. L'analyse des pratiques qu'est ce qui la fait. ...l'analyse de l'activité...il faut justifier de nos formations d'éducation thérapeutique. Mais qui vient nous évaluer sur le terrain, pour nous dire que finalement, on ne fait pas juste ce qu'on fait, ...qu'on prend pas juste un thé avec le patient...et ben personne...On remplit des dossiers sur l'ordi...qui regarde et remarque ce que je marque en compte rendu...qui...pas du tout. Personne, il n'y a personne qui regarde ce qu'on fait... je pense... » (35'04).

b) Les représentations de l'ETP par les interviewées

Le témoignage de ces trois infirmières éducatrices va nous éclairer davantage sur leur représentation de l'ETP. Pour cela, j'ai demandé à ces infirmières de me décrire leur signification de l'éducation par rapport à l'information et la persuasion, le fait que ces trois vocables sont souvent employés dans la terminologie des soins infirmiers.

Chaque infirmière a répondu selon sa représentation influencée par sa propre expérience éducative. La représentation de l'éducation est semblable pour les trois interviewées. Elle

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est représentée par la discussion, l'échange, et le partage des informations entre les participants et les intervenants. Elle privilégie l'effet de groupe, l'intervention des éducatrices est au second plan. C'est un moment d'apprentissage.

- Laura définit l'éducation comme un apport d'information donné en réponse à un besoin éducatif, n'ayant aucun lien avec l'information en réponse à une demande. L'éducation pour Laura donne un sens au métier de l'infirmière. Elle décrit avec une grande intelligence intuitive sa représentation de l'ETP : « ...c'est un soin qu'on va mettre au même niveau qu'un autre... pour moi l'éducation ça aller de soi...c'est comme ça que je vois mon métier. Je ne le vois pas sans. Sinon c'est un métier qui est dénué de sens...c'est inclus dans la prise en charge... » (16'48). « C'est vrai qu'il a un apport d'information dans le but ensuite de pouvoir réfléchir à quelque chose et pouvoir prendre conscience de se qu'on fait...pourquoi on le fait et qu'est ce qu'on peut en tirer. Parce que pouvoir faire des glycémies ce n'est pas facile...et si on ne fait rien derrière...ça ne sert pas à grand-chose. Le conseil, on peut le faire sans éducation, à moins qu'il réponde à un besoin éducatif, oui, donner...donner...ce n'est pas faire de l'éducation. Donc automatiquement l'éducation vient après l'information » (01'29).

- Marie différencie l'éducation thérapeutique de l'action thérapeutique : « on parle de la pathologie...le débat reste ouvert... On n'est pas là...pour faire une thérapie de groupe ...et ce n'est pas juste des infos qu'on donne » (21'39).

-L'éducation pour Sophie aborde la qualité de vie : « c'est une autre prise en charge de la maladie dans sa globalité...ce n'est pas un moment de compassion, ...mais d'apprentissage, ...pour nous ou pour les patients, ... » (02 '44).

La persuasion en ETP ne fait pas partie des outils de travail des trois éducatrices : par exemple le témoignage de Sophie confirme que le patient a le droit de refuser les soins : « si cette dame n'est pas convaincue et ne réalise pas, moi je ne peux pas être persuasif » (02'44). Les trois interviewées expriment des représentations différentes par rapport aux deux rôles (soignant et éducatif) : Marie n'exprime aucun choix par rapport aux deux rôles. Elle les met au même niveau, malgré leur différence de pratique : « ...je ne sais pas si je voudrai faire que de l'ETP. Parce que j'aime aussi ce que je fais ...en cancérologie. En fait se sont deux activités différentes que j'aime ...mais si je devais faire un choix entre les deux. Je serais bien embêtée » (36'43).

- Pour Laura, les deux activités se complètent : « c'est un soin qu'on va mettre au même niveau qu'un autre. Pour moi c'est évident... pour moi l'éducation ça aller de soi. Pour moi c'est comme ça que je vois mon métier. Je ne le vois pas sans. Sinon c'est un métier qui est

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dénué de sens... pour moi c'est inclus dans la prise en charge... Je ne peux pas

travailler sans éducation... » (16'48).

-Sophie reconnaît que le rôle d'éducatrice a renforcé son comportement de soignante. Elle remarque qu'elle commence à se lasser du rôle soignant au regard des compétences de l'ETP qui la valorisent plus : « ...l'éducation a renforcé mon côté soignant. J'aime les deux...j'aime bien le curatif mais l'éducation c'est un autre moment. Mais je commence à me lasser du curatif parce que c'est superficiel. Il n'y a pas de communication véritable mise à part le geste technique. On n'va pas connaître les patients, on est satisfait de bien faire le soin, on n'a pas de retour du patient. La communication ne va pas s'approfondir. On essaie de connaître la maladie mais pour le malade s'il n'y a pas d'éducation...pas d'échange. J'ai l'impression qu'on apporte peu...normalement on doit pratiquer les deux » (25'07).

2) Distinction entre une activité ETP et une autre activité (description, notion du temps...)

Description de l'activité d'infirmière par les interviewées : Les trois éducatrices travaillent chacune dans son service d'affectation comme infirmière. Elles réalisent à la fois des tâches propres et des actes délégués. Ces infirmières ont une charge de travail différente et intense, qui leur demande une grande technicité.

A l'Hôpital de Jour, Marie, en dehors de la journée consacrée à l'éducation (le jeudi) ne réalise que les soins techniques. Son planning est de journée (9h-18h), elle ne fait pas de transmissions orales entre équipes, car elle n'a pas de relève, elle prend en charge des patients qui souffrent de pathologie cancéreuse, ou autres pathologies chroniques : « ...il y a des gens qui viennent pour la chimio...les gens qui ont des scléroses en plaques pour un traitement en IV, des gens qui souffrent de polyarthrites, des maladies de crohn, et certains examens qui doivent se faire dans la journée...voilà. Ensuite on fait la chimiothérapie des cancers gastro, ORL, hématologie qui viennent faire leur chimio...en fin le suivi de tout ça... » (36'17).

A l'unité de Diabétologie et en service de Cardiologie, Laura et Sophie travaillent selon un planning réparti en deux temps, soit un roulement du matin ou du soir. Chacune a une représentation de l'ensemble des malades présents dans son service, des soins qui doivent être prodigués, suivant les transmissions entre équipes et les prescriptions médicales. Laura et Sophie planifient les différentes tâches selon une logique de priorité. Elles réalisent aussi les tâches administratives et travail en binôme avec l'aide-soignante si besoin. Le témoignage de Sophie confirme de l'intensité de la charge de travail et de la diversité des tâches de l'activité infirmière : « Quand je ne fais pas l'ETP les autres jours, j'arrive dans le service à 6h30 et je

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finis à 14h30, il y a des moments de transmissions. Le temps passé dans les chambres, les traitements, les prises de sang, faire les pansements, faire le tour avec le médecin... Il est déjà midi et, il faut donner de nouveau les traitements, il faut expliquer, il faut faire les transmissions entre équipe. Si je suis d'après-midi, c'est de 14h15 à 21h15, généralement c'est la même chose au niveau des traitements, des soins, sauf qu'on fait en plus les retours de bloc, les surveillances...les préparations des dossiers...les imprévus, les entrées, les sorties, les staffs, les réunions du service, les trans écrites... » (19'44).

Les trois interviewées différencient l'activité ETP de l'activité des soins curatifs par rapport au temps, à l'organisation, à l'approche du patient et à la posture. Le « face à face » et l'échange représentent une posture communicative pendant l'ETP pour Marie et Laura. Les deux activités se complètent pour Sophie.

-Le moment du soin est décrit comme pratico pratique, le peu de communication est centré sur le soin pour Marie : « Quand on fait les éducations pour les auto injections, on reste plus dans le soin... Je vais parler de la technique d'injection, du matériel... Et quand on fait une éducation, c'est des séances qui demandent des techniques, des préparations..., En ETP, l'approche du patient n'est pas la même, on se regarde dans les yeux. Dans le soin...je suis plus concentré sur l'acte. ... je ne discute pas avec le patient sur sa vie, je le réassure, je fais mon soin, ... » (21'39). « ...On voit bien qu'on n'est pas du tout dans la même posture. On voit bien que c'est complètement différent de faire de l'éducation au soin et l'éducation thérapeutique... » (28'05).

Les interviewées expriment les mêmes représentations sur la notion du temps par rapport aux deux activités : l'activité du soin médical leur exige une gestion du temps épuisante. Les infirmières éducatrices mettent en avant le manque de temps et sa gestion difficile, qui peuvent engendrer un stress en lien avec la charge de travail, comme le confirme le témoignage de Marie : « en soins, le temps est partagé entre les patients et les autres tâches...et si une tâche non prévue se rajoute, ça déborde et on sera obligé de rester plus dans le service, ce qui peut engendrer le stress... » (28'57). Sophie rajoute à ce témoignage : « il faut tout faire et finir à temps, c'est super stressant, on court tout le temps après le temps... On n'a pas le temps pour le patient... » (28'44).

- Pendant l'activité ETP, le temps est mieux géré, même s'il reste aussi fatigant psychologiquement pour les infirmières éducatrices. Il leurs exige beaucoup d'écoute et de concentration. Le temps pour Marie représente un temps d'apprentissage et de partage : « il faut prendre du temps... il faut laisser le temps aux patients...on n'est pas pressés... »

(28'57).

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-Laura exprime qu'il faut consacrer beaucoup de temps aux patients souffrant de pathologie chronique, pour elle : « sur la chronicité...on a le temps de travailler l'ETP... Ce n'est pas en 15 jours qu'il va mettre sa vie en péril » (12'11) « Moi je suis là en consultation. On a le temps de recevoir les patients. On ne fait pas d'autres soins...qui nous rappellent en timing... Si un peu mais pas de stress comme en soin... » (06'16).

3) Différences et similitudes entre la posture de soignante et la posture d'éducatrice (rôle éducatif, bascule entre soin et éducation, ...)

-Les interviewées perçoivent les mêmes différences entre le rôle d'éducatrice et le rôle de soignante : un qualifiée de technique et l'autre de relationnelle pour Sophie (25'05). La différence est dans l'attitude de l'infirmière et du patient au moment des deux activités. Les trois infirmières éducatrices avouent qu'elles n'adoptent pas les mêmes attitudes en soin et en ETP. Chaque activité a sa propre posture d'après ces infirmières.

- Pendant le soin, les interviewées témoignent d'une posture de soignante et un rôle d'acteur. Le rôle du patient est de recevoir le soin, Sophie révèle : « je suis plus dans les attentes médicales » (14'05). « Il n'y a pas de véritable communication... à part le geste technique » (25'07).

- Pendant l'ETP, les infirmières éducatrices s'octroient le second rôle. Elles apportent de l'aide, assurent l'accompagnement, le soutient et l'écoute. Le patient est acteur, il apporte les connaissances et les informations. Marie témoigne : « ce n'est pas la même chose. Le patient apporte l'information. Nous on a le second rôle » (24'45). Elle rajoute « ...Je me considère plus dans l'aide, dans l'accompagnement que dans le soin » (43'46). « Nous on a le second rôle » (24'45). Laura se décrit dans une posture de « non savoir » : « Nous on répond sans ce côté pouvoir ou savoir » (06'36).

Les interviewées perçoivent différemment leur rôle en séance éducative : Marie prépare seule les ateliers de groupe. C'est elle la régulatrice de son activité. En présence d'un professionnel de santé, elle apporte sa partie « pratico pratique », note les scripts et intervient si besoin. C'est un rôle « interchangeable » :« on est le fil rouge, on fait tous les ateliers avec les patients d'a à z, ...les autres sont là en épisode.... C'est vrai qu'on est les référentes.... C'est nous qui sommes...les régulateurs... » (12'16) « ...quand je suis avec le pharmacien, c'est plus son rôle d'intervenir, moi je note le script...des fois j'interviens... » (17'59) « ...le pharmacien apporte sa partie, moi j'apporte ma partie plus pratico pratique...c'est aussi le rôle qu'on s'est donné...En fait on est complémentaire » (18'17).

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-Laura s'octroie le rôle d'organisatrice de l'activité ETP, et d'accompagnatrice dans l'apprentissage du patient. En séances collectives, elle partage le rôle d'animatrice avec un professionnel de santé : « En individuel, ...je lui apporte les connaissances, je l'accompagne dans son apprentissage...c'est moi qui gère. En groupe si c'est avec la diète, elle apporte sa partie, moi je note si besoin, j'interviens si ça à un lien avec la physiologie...si avec le médecin, pareil...après moi je rajoute des explications si besoins... chacun son rôle » (08'60). -Sophie organise, gère et réalise son activité d'ETP toute seule, elle n'exprime aucun rôle : « ...je suis toute seule pendant la séance éducative...j'organise et je réalise la séance... j'accompagne le patient dans son apprentissage... » (24'34).

-Les trois interviewées expriment que la pratique de l'ETP leur exige la maîtrise de certaines compétences éducatives, d'être dans une posture d'accompagnement, de solliciter des attitudes et des capacités tels que : l'écoute, la reformulation, l'accueil, les techniques de la communication et de l'échange (savoir se mettre face à la personne, ...) Ces différentes compétences sont enseignées pendant la formation continue de 40h en ETP. Laura témoigne : « la formation nous aide à prendre conscience de ces compétences...nécessaires à l'éducation comme l'écoute, la reformulation... » (14'57).

La bascule entre les deux activités et le changement de casquette sont perçus par les interviewées comme un moment difficile. Elles expriment la nécessité d'un temps d'adaptation pour pouvoir accomplir chaque activité.

-Marie assimile le changement de posture à la tenue de travail. Pendant l'ETP, elle ôte la blouse : « ...c'est difficile, il faut bien être au claire...parce que là...allez up...j'enfile ma blouse et je change de casquette...ce n'est pas évident » (31'39).

-Pour Sophie, cette bascule lui évite la routine quotidienne, malgré que le changement de casquette, lui octroi plusieurs activités à gérer : « ...en termes de casquette...ça tourne. Je fais les soins intensifs, les soins de médecine, l'ETP et les consultations externes... les étudiants, il faut les encadrer. Ça fait beaucoup de casquettes je veux dire...vous êtes obligé de vous y adapter. Il y a des jours où on n'est pas dedans, dans la casquette qu'il faut. ...moi je me pose pour faire le point et revoir les attentes de chaque activité. ...c'est bien de ne pas faire la routine » (25'16).

4) Relation et interaction entre infirmière et patient (comportement des uns et autres par rapport au soin, pendant l'ETP et d'éventuels changements...)

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- La représentation de la relation infirmière/patient au regard des interviewées est différente au moment du soin qu'au moment de l'éducation. Elles la qualifient de relation à sens unique pendant le soin, et d'échange en ETP. La relation se distingue par rapport au rôle de chacun.

- Pour Marie, la relation infirmière/patient varie en fonction de l'activité, du lieu, du temps et du contexte de la rencontre. Elle exprime qu'elle ne peut être disponible à l'ETP qu'au moment dédié à cette activité. Pour répondre aux sollicitations des patients, en dehors de l'ETP, elle les renvoie vers ses collègues. Le patient ne fait pas forcément la différence entre les deux missions de l'infirmière éducatrice. Il agit par mode relationnel, il l'identifie par rapport à son rôle d'éducatrice. Cette relation représente aussi pour Marie un moment intense, une forme de complicité et de confiance qui se crée autour du soin éducatif. Pour elle, le port de la tenue de travail bloque cette relation harmonieuse : « ...il y a une complicité, le patient se sent plus proche de moi et c'est réceptif ...il m'a vu dans cette posture d'écoute... il vient me solliciter plus par rapport à mes collègues. Mais je comprends aussi. C'est aussi mon rôle... » (38'07). « En fait la blouse met la barrière. ...ça crée tout de suite une différence...le soignant...le soignant » (11'34).

-Pour Laura, la relation en séance éducative est différente de la relation pendant le soin. Elle se distingue par rapport au rôle de chacun. Chacun reconnaît son rôle. C'est aussi une relation d'échange et d'émotion entre infirmière et patients : « ...en soin, c'est nous qui sommes acteurs déjà. Lui il consent le soin...sans trop de questions. ... le patient quand il voit que le soignant est centré sur le soin, il ne dérange pas trop on va dire comme si qu'il connaît son rôle à ce moment... » (32'24). « ...en ETP, la relation est une sorte d'entretien, de dialogue,

c'est plein d'émotion... » (31'45).

-Pour Sophie, le patient ne change pas d'attitude, c'est elle qui le met en posture passive ou d'échange selon la situation : « Le rôle du patient je veux dire c'est moi qui change... le patient c'est moi qui lui dit, qui lui laisse la parole ou pas pendant le soin. En éducation il est acteur donc c'est lui qui parle » (19'24).

5) Changement personnel et professionnel (au niveau de la pratique au quotidien, de l'organisation du système d'activités, ...)

- Les interviewées expriment des changements différents influencés par des compétences pratiquées en séances éducatives et, acquises en formation ETP.

-Marie perçoit des changements par rapport à l'éducation à l'auto-soins influencés par sa posture d'éducatrice. Elle s'inspire des compétences de la pratique éducative pour développer

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ses pratiques d'infirmière : « forcément...je m'inspire... sur ce que je fais en éducation... c'est de la formation quand même. On n'est pas au même niveau. On n'a pas la même posture quand même » (40'55). « ...C'est des capacités qui se développent... qui évoluent » (40'47). -Sophie perçoit des changements dans ses actions et dans l'organisation de ses tâches d'infirmière influencés par les compétences éducatives. Elle ne procède plus de la même manière. Elle favorise le dialogue, l'écoute et la communication. Elle prend plus de temps avec le patient pour instaurer le relationnel dans son travail au quotidien : « Oui forcement, pour la chimio, je ne commence pas par prendre les constantes, installer le patient...j'essaie toujours...de discuter. ...je prends le temps pour mettre le patient alaise...je laisse parler le patient... Avant, je ne pratiquer pas pareil, j'installé le patient, ...la chimio c'est dur donc j'évite de trop parler...et là je comprends que la communication, l'échange, l'écoute active c'est des choses qui nous rapprochent plus du patient et ça grâce à l'éducation et à la formation... » (19'21).

-Pour Laura, le changement est dans la prise de conscience pour certaines compétences éducatives pratiquées inconsciemment par le fait de sa posture d'infirmière : « le changement c'est dans la conscience de l'écoute... Peut être que je faisais naturellement. Mais, je n'en avais pas forcement conscience...la conscience de l'écoute et d'autres outils... » (23'48).

- Les trois interviewées dévoilent un changement dans leurs comportements personnel et professionnel, par rapport à l'approche du patient et à la posture d'infirmière :

-Marie reconnaît des modifications de certaines habitudes personnelles et professionnelles, elle essaie de rendre l'autre (son enfant ou son patient) plus actif, plus autonome. Elle a adopté les techniques de la communication dans son travail et dans sa relation avec l'autre. Avant, elle dictait au patient ce qu'il devait faire. Maintenant, elle le fait participer : « ... forcément, il y a eu un changement dans ma pratique en tant qu'infirmière. Après...il y a quelque chose que je mets en pratique tout le temps même dans ma vie personnelle » (39'16). « J'essaie de le rendre plus actif. Il participe plus. Il communique plus. Il parle de sa maladie. Moi je mets plus d'écoute... » (39'28).

-Laura n'impose plus le soin au patient. Elle discute, elle négocie et, parfois elle revoie ses pratiques. Elle témoigne que la technique d'imposer le soin marchait avant d'intégrer l'ETP, parce qu'elle n'avait pas d'autre alternative. Pour elle, ce changement est en lien avec la pratique de l'ETP car l'acquisition de nouveaux outils d'apprentissage lui a permis de voir autrement la pratique du soin : « On ne savait pas faire autrement... » (30'23). « ...on change de comportement personnel, même dans la vie quotidienne on change, on est plus attentif, on

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est plus dans la dictée...On écoute, on essaie de comprendre les habitudes de chaque patient, on analyse, on discute avec lui, on revient en arrière... » (30'45).

-Sophie perçoit un changement de comportement par rapport à celui de ses collègues. Elle ne se situe plus dans l'attente, elle est dans l'écoute. Elle ne cherche plus à convaincre le patient, ni à le materner. Il s'agit d'une prise de conscience par rapport à ses habitudes personnelles et professionnelles : « ...j'ai perçu un changement par rapport à mes collègues.

Je suis plus dans l'écoute que dans l'attente... dans cette posture de convaincre. Je ne suis
plus dans qu'est-ce qui vous empêche de... Mais j'essaie de comprendre... »
(17'36). « ...on va faire beaucoup de reproches auprès des patients. ...on materne les patients... » (14'42). « ...ma posture était la même à la maison qu'au travail. Cette prise de conscience...je me suis posé plein de questions... » (16'43).

- Les trois interviewées ont des repères différents par rapport aux changements de l'organisation de leurs systèmes d'activités, suite à l'intégration de l'activité ETP.

-Marie identifie des changements progressifs au niveau de l'organisation des tâches, depuis l'intégration de l'ETP dans son service. Avant, la pratique de la chimiothérapie se pratiquait dans les services de la médecine et de la cancérologie. Les soignantes tournaient dans les deux services. Actuellement, cette pratique est réalisée à l'Hôpital de Jour. Dans ce service, Marie témoigne d'une organisation « assez autonome », dans la prise en charge des patients, et du rôle propre infirmier : « depuis qu'on pratique l'éducation on a changé d'organisation, maintenant, sur la journée on est échelonné. On est 5 à 6 infirmières dont une infirmière en programmation qui gère que la paperasse...les coups de fil.... Ce n'est pas évident...on est au top de l'organisation ici » (41'21). « Ça tourne...et puis après dans la journée on arrive à des heures un peu différentes... Mais en éducation on est seul... » (41'41). « La nouvelle organisation s'est faite au fur et à mesure... » (33'52).

-Laura reconnaît des changements dans les outils de travail, et dans leurs méthodes d'utilisation dans le service. Avant l'intégration de l'ETP, la prise en charge des patients diabétiques relevait des missions attribuées au service de la médecine. Les outils d'évaluation et d'identification des besoins des patients étaient basés sur un questionnaire fermé. Ces méthodes ne sont plus d'actualité. Actuellement, la pratique de la diabétologie a été transférée dans une unité autonome du service de la médecine. L'approche du soin est centrée sur les capacités du patient à l'apprentissage grâce au diagnostic éducatif. Aussi, l'évolution de la technologie (lecteur de glycémie, ...) a contribué à l'allègement des tâches relevant des actes infirmiers. L'intégration de l'ETP a participé à ce changement d'organisation. Laura témoigne : « avant, c'est vraiment, faites 3... faites 6 glycémies..., Maintenant, ...On a

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changé de formulation des questions. Ce n'est pas des questions fermées : oui, non, ... Ce sont plutôt des questions ouvertes » (00'51). « ...avant, on le voyait une demi-heure avant le médecin...on dépatouillait, la consultation médecin...maintenant il y a des outils qui vont nous aider à pouvoir évaluer l'apprentissage de quelqu'un... » (30'23). « ...les lecteurs de glycémie, avant, on faisait les moyennes tout seul, on faisait les tests...Tout ça, on n'avait pas besoin de le faire. Maintenant c'est la machine, et, même le patient peut le faire, ... » (05'15). -Sophie ne témoigne d'aucune transformation par rapport à l'organisation de son système d'activité, le changement c'est dans ses habitudes de travail depuis l'intégration de l'activité ETP : « L'éducation passe au second plan. Ce n'est pas une priorité. Le curatif est prioritaire dans le service » (19'44). « Les changements, c'est dans mon organisation... » (19'24).

6) Description de l'identité actuelle en lien avec l'intégration de l'activité ETP (transformation identitaire ou pas, ...)

- Les interviewées décrivent une identité d'infirmière à forte qualité éducative :

-Marie décrit une identité d'infirmière qui a développé des qualités éducatives. Cette transformation identitaire, elle l'identifie à l'amélioration de sa pratique de soignante influencée par les compétences éducatives acquises en formation continue dédiée à l'ETP : Marie exprime aussi un sentiment de valorisation par rapport à la pratique de l'éducation, grâce à la reconnaissance verbale et expressive des patients. Cette valorisation n'est pas aussi perçue en soin. Pour elle, la pratique de l'ETP, apporte un équilibre à la pratique du soin : « une identité de soignante...avant tout...de base oui, c'est sur...Après j'ai développé des qualités d'éducatrice... » (37'00) « J'ai...acquis des choses de part cette formation d'éducatrice... c'est sûr que ça modifie certains domaines dans ma pratique. Je dirais de l'influence...ça questionne quand même mon identité. Quand on fait cette formation et quand on la met en pratique on développe vraiment cette capacité d'écoute... » (38'45). L'éducation pour moi c'est valorisant en tant que soignante... » (37'26).

-Laura se questionne sur sa professionnalité, elle reconnaît que chaque nouvelle pratique influence son identité d'infirmière. Pour elle, c'est une question d'adaptation. Toute nouvelle pratique (l'entretien éducatif, séance de groupe, ...) requiert l'acquisition de nouvelles compétences et la questionne sur ses habitudes de travail et sur ses expériences acquises : « ça perturbe forcément mon identité de soignante à chaque fois qu'il y a quelque chose de nouveau. Je pense que l'adaptation, elle est aussi pour nous. Ce n'est pas si facile de faire l'entretien éducatif...je veux dire. Ça nécessite des compétences...plein de choses...

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C'est quand même l'expérience qui fait parfois les choses. Si on n'a pas le regard incarné et on n'a pas l'expérience sur l'insuline...sur les petites choses. Je pense que ...c'est l'expérience ...de toute situation vécue, en disant on s'était mal pris...et on revoit nos façons de travailler c'est important » (33'06).

-Sophie se questionne sur son comportement et sur ses habitudes de travail en lien avec sa nouvelle identité : l'éducation a renforcé son identité d'infirmière. Elle exprime un sentiment de transformation identitaire personnel en évolution sur le plan professionnel. Elle réalise que cette transformation va lui permettre d'évoluer « grandir » dans son comportement, dans sa façon d'être, dans son regard pour l'autre. Elle se qualifie dans une posture d'écoute. Elle reconnaît, que la formation continue à l'ETP, l'a aidée à prendre conscience et, à revoir ses pratiques d'infirmière. Elle exprime que le changement dans les habitudes de travail pourrait faire peur si on ne lui favorise pas les moyens nécessaires pour l'accomplir : « l'éducation a renforcé...oui ça a changé mon identité. Ça bouscule dans mes habitudes. Mais c'est bien. On a tous des choses cachées. ...Je ressens une transformation identitaire. Elle s'est faite déjà sur le plan personnel...Elle continue sur l'axe professionnel. Je sais ça me permet de grandir...dans mon comportement, dans ma façon d'être avec l'autre, de mon regard envers l'autre. ... je me questionne plus sur mon comportement... Je ne suis plus dans la même posture qu'avant. ...je remets en question mes pratiques. Je ne me positionne plus de la même façon... » (21'03) « Quand on est dans la routine on ne se remet pas en question. On ne prend pas du recul sur ce qu'on fait, ...c'est la formation qui m'a aidé à changer... » (25'16).

7) Communication entre pairs sur l'ETP (formation, faisabilité, freins, propositions d'amélioration, ...)

- La discussion entre éducatrices « référentes » sur la pratique éducative n'est pas abordée entre pairs. Marie témoigne que certaines éducatrices n'adoptent pas les mêmes méthodes de travail qu'elles, mais elle ne peut avancer la discussion sur le sujet avec ses collègues éducatrices, le fait que l'analyse des pratiques éducatives soit méconnue pour ces professionnelles : « ...parfois je discute avec d'autres collègues qui font de l'ETP, je vois bien qu'ils ne sont pas au second rôle...je ne peux pas leur dire...ce n'est pas mon rôle à moi... » (28'25).

-Pas de discussion dans l'Unité de Diabétologie sur l'efficacité des outils de l'ETP comme le diagnostic éducatif informatisé. Laura témoigne : « ...non il n'y a pas eu de réunion disant on

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va parler des problèmes de la gestion de l'éducation. Pour l'outil chacun fait comme il sait... » (39'07) « ...chacun fait comme il peut... » (39'01)

-Pas de discussion sur les compétences de l'ETP entre les soignants du service de la Cardiologie, Sophie verbalise un sentiment d'isolement, le fait qu'elle ne partage pas ses connaissances éducatives avec ses collègues : « par exemple je vois ma collègue, il lui parle, elle fait autre chose en même temps. Elle répond à côté...c'est normal, elle est centrée sur le soin. Elle n'a pas du tout la posture d'écoute à ce moment. ...moi j'observe ça reste moi. Mais je ne peux pas dire...que c'est comme ça qu'on doit faire...moi...j'ai fait la formation en plus, j'ai plus de connaissance ça reste là... » (24'42)

- Les interviewées recommandent la formation continue à l'ETP pour les pairs : elles reconnaissent que cette formation ne peut pas être proposée à toutes les infirmières pour des raisons de moyens budgétaires. Mais, elles la recommandent à leurs pairs. Elles expriment que l'exercice dans les services à pathologies chroniques, leur permet d'acquérir certaines capacités (l'écoute, le respect du silence, l'adaptation au patient...) de fait de leurs pratiques d'infirmière, mais la formation a renforcé ses capacités et les a amélioré par l'intégration d'autres compétences comme la posture communicative, l'écoute active, la reformulation, la valorisation, l'importance du « face à face » dans l'échange...

-Marie révèle que ce n'est pas toutes les infirmières qui pourraient répondre aux exigences de la formation à l'ETP, en matière de l'acquisition de certaines compétences. Le fait que toutes les infirmières ne disposent pas des mêmes capacités, certaines sont prédisposées à être éducatrices que d'autres. Elle témoigne aussi que certaines élèves infirmières ne sont pas attirées par cette pratique éducative : « ... J'ai présenté ...un peu ce que je fais à l'IFSI. Et à la fin ...j'ai posé la question, c'était des 2ème années...j'ai dit : est-ce que ça vous intéresse, est ce que vous vous voyez faire ce genre de chose. Et plus d'un quart, qui, a répondu...pas du tout. Et ...ça ne m'étonne pas. Il faut quand même un côté relationnel, une approche... » (25'51). « ...on a tous comme même des capacités différentes...certains soignants peuvent être en difficultés par rapport à ça... » (26'39).

- Les interviewées expriment des avis différents sur la généralisation de la pratique ETP dans les services de soins :

-Marie exprime que l'ETP ne doit pas être imposer à toutes les infirmières, et que sa pratique doit demeurer un choix personnel : « moi je vois bien qu'il y a des collègues qui ne seraient pas à l'aise de faire l'éducation thérapeutique. Et je trouve que c'est dommage de les mettre en difficultés... » (27'18). Pour elle, la pratique de l'ETP exige des qualités

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personnelles spécifiques : « je serai étonné que des personnes s'orientent à faire la formation si déjà d'emblée n'ont pas ces capacités d'écoute » (26'39).

-Pour Laura, tous les soignants peuvent éduquer à l'auto soins, mais l'activité ETP pourrait passer « au second plan » pour les infirmières qui exercent dans des services à pathologies aiguës. Le fait que ce type de pathologie ne leur exige pas une maîtrise des compétences éducatives « le relationnel et l'écoute du patient sont un peu négligés », du fait de la charge de travail. L'activité ETP s'avère irréalisable dans ces services, elle est mieux adaptée dans les services à pathologies chroniques, car elle requière une prise en charge de qualité à longue durée. Chaque infirmière développe des compétences dans le champ de sa pratique : « ...ils peuvent éduquer à l'auto sondage par exemple. Mais ça passe au second plan. Dans les services où il y a une pathologie chronique, on se rend compte en fait qu'on n'est pas dans l'urgence. On est dans la qualité et dans une prise en charge à longue durée et du coup l'éducation thérapeutique est mieux adaptée. Mais en chir c'est de l'aigu, on développe beaucoup plus des compétences de soins d'urgences on va dire, le relationnel et l'écoute du patient sont un peu négligés. On ne peut pas il y a beaucoup de soins à faire dans ces services... je ne sais pas si ces soignants veulent vraiment intégrer l'ETP ou pas...c'est une question de personne, de caractère, et...de savoir-faire et être avec le patient... » (16'09).

-Sophie se demande si les autres infirmières voudraient de cette pratique, du fait qu'elles ne soient pas formées pour. Aussi, changer d'habitude de travail pourrait représenter un frein pour la mise en place de l'activité ETP. Pour Sophie, toutes les infirmières éduquent les patients à l'apprentissage de l'auto- soin. Certaines infirmières proposent mêmes l'ETP, mais elles ne la pratiquent pas, car cette pratique leur exige un autre mode d'organisation et plus de disponibilité : « ... je ne sais pas si elles veulent pratiquer l'ETP et changer d'habitude de travail...déjà, ...elles ne sont pas formés pour, ...Mais elles ont à leur disposition l'outil informatique farma pour expliquer les médocs et pourquoi on les donne. Donc, elles proposent l'ETP, sauf après, qu'elles ne gèrent pas. Mais pour faire de l'éducation il faut plus de temps pour chaque patient, après au moment des soins on ne peut pas faire l'éduc, je ne sais pas, il faudrait une autre organisation peut être » (06'31).

- Les interviewées expriment de possibles freins à l'activité éducative et des propositions pour son amélioration : les interviewées racontent des difficultés aperçues par rapport à la réalisation des séances collectives et du suivi éducatif des patients liées à la coordination, au manque de temps, à l'environnement et à la démotivation des patients.

- La non disponibilité des professionnels et, de salle pour la réalisation des séances collectives freine la réalisation des séances collectives pour Marie et Laura.

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- Les trois infirmières éducatrices racontent que les patients ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale pour le transport et le temps de présence. Ce qui explique la non-participation active des patients aux séances éducatives.

-L'inexistante de secrétaire demande à l'éducatrice de gérer toute seule la partie administrative de l'activité éducative. Cette tâche est considérée comme une perte de temps pour Marie.

-Le manque de temps empêche les éducatrices à réaliser correctement le suivi des patients, le fait qu'il s'agit de refaire à chaque fois le diagnostic éducatif.

- L'existence de deux dossiers différents (médical et éducatif) pour le même patient rend l'accès à l'information difficile pour les éducatrices, et désagréable pour le patient. Pour Laura, l'outil de recueil de données n'est pas assez polyvalent : « et ben à chaque fois on fait entrer les données de nouveau, parce que notre dossier d'éducation thérapeutique n'est pas relié au dossier de l'hôspi... » (37'49). « C'est hyper désagréable pour le patient. Et quand il revient pour une autre éducation, il répond à chaque fois aux mêmes questions...lui...tu vois...il faut à chaque fois redire...redire...enfin...tu vois pour lui ce n'est pas pris au sérieux (38'38) ».

- Les interviewées ont exprimées quelques propositions d'amélioration pour la pratique éducative :

- Sophie et Marie proposent des améliorations comme faire sortir l'activité ETP à l'extérieur de l'Hôpital. Pour elles, cette initiative changerait la représentation sur l'éducation et sur sa pratique à l'hôpital.

-Marie propose le suivi téléphonique des patients : « ...j'ai trouvé que c'est assez pratique le suivi au téléphone pour tout le monde, ... » (33'00).

-Laura propose d'améliorer l'outil informatisé et de joindre le dossier éducatif au dossier médical pour chaque patient, pour un gain de temps et un suivi rigoureux.

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2- Analyse qualitative des données

Cette partie d'analyse consiste à affronter la synthèse des données recueillies précédemment avec nos deux hypothèses de travail. Il s'agit de faire le lien et de s'interroger sur ce que nous apprennent les données obtenues par rapport à notre problématique. Notre visée est de valider, ou d'infirmer nos deux hypothèses de travail.

Rappelons que notre première hypothèse consiste à vérifier la reconnaissance et l'acceptation du rôle d'« éducatrice » par l'infirmière : son implication dans ce rôle, va lui permettre de mieux se situer dans son activité d'infirmière éducatrice. Cette hypothèse nous l'avons vérifié à partir de trois points différents : la posture, la relation infirmière/patient et le système d'activités de l'infirmière éducatrice. Ces trois repères, dévoilent des changements aux niveaux des habitudes de pratiques, des attitudes et des comportements personnel et professionnel exprimés par les interviewées. Ces témoignages nous ont aidé à aborder notre deuxième hypothèse, à travers laquelle, nous avons voulu vérifier si les transformations décrites par les infirmières engendraient des évolutions identitaires pour ces professionnelles, après avoir intégré l'ETP à leurs pratiques infirmières.

- L'infirmière entre deux postures : une reconnaissance pour l'ETP

Suite aux témoignages des interviewées, nous avons relevé deux postures distinctes dans le statut de l'infirmière éducatrice. Pour ces professionnelles, chaque activité a sa propre posture : une éducative et l'autre curative. La posture éducative est envisagée dans les différentes activités de l'ETP (diagnostic éducatif, séances de groupe ou individuelle, les temps de parole passés en chambre par manque de salle aménagée pour cette activité...). Elle est planifiée dans le planning de l'infirmière qui l'exerce. Alors que la posture curative est envisagée dans les soins infirmiers.

Les témoignages nous ont révélé plusieurs représentations pour la posture éducative. Elles ont décrit une « posture d'accompagnement et d'échange ». Dans cette posture, elles s'attribuent le second rôle : elles apportent de l'aide, assurent le soutient et l'écoute. Elles ont décrit aussi une « posture de non-savoir ». Cette posture privilégie l'intelligence qui naît des échanges, du dialogue avec l'autre, et non des savoirs que détiennent les infirmières. Il s'agit pour elles, d'accepter le fait qu'elles ne détiennent pas la vérité et, que cela nécessite l'échange pour connaître le patient et pouvoir répondre à ses besoins. La posture communicative est représentée par le « face à face », qui doit être privilégié en séance éducative pour ces infirmières. Ce qui représente une posture de « dialogue ». La posture en ETP sollicite donc le questionnement plutôt que l'affirmation pour ces infirmières. En effet, la posture éducative pour les interviewées, a influencé leur posture d'infirmière adoptée habituellement dans le

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soin. Bien que, la bascule entre les deux activités est décrite comme un moment difficile, leur demandant un temps d'adaptation, pour accomplir chaque activité.

-La relation infirmière/patient entre deux : le soin et l'éducation

Les trois infirmières éducatrices ont témoigné qu'elles n'adoptent pas les mêmes attitudes avec les patients, en ETP qu'en soin. Elles ont exprimé deux modes de relation perçues différemment : une qualifiée de relation à sens unique et, l'autre de communicative.

-La relation à sens unique est identifiée au moment du soin. Elle est décrite comme « pratico pratique », le peu de communication est centré sur la technique de l'acte. C'est aussi une relation courte et limitée, justifiée par le statut d'infirmière. Les interviewées se décrivent « dans les attentes médicales » au moment du soin, le fait qu'elles prodiguent le soin. A ce moment, elles s'octroient le rôle d'acteur, d'émetteur. Le patient dans cette relation reste passif, il reçoit les soins.

- La relation communicative est identifiée dans l'ETP : elle représente un moment d'échange intense, une forme de complicité et de confiance qui se crée autour du soin éducatif. Les interviewées expriment qu'elles se positionnent au « second rôle » et adoptent la posture éducative. Ce mode de relation leur sollicite une concentration sur le patient (l'individu), en le positionnant dans une posture d'échange (il devient acteur, il apporte les connaissances et les informations). D'après les témoignages, le changement de comportement dans la relation infirmière/patient ne se limite pas qu'à l'attitude de l'infirmière, on voit bien qu'il est aussi confirmé par celui du patient au moment des deux activités. Ce qui explique que cette relation duelle est perçue différemment, elle demande une réflexion par l'infirmière vis-à-vis de son attitude envers le patient au moment de telle ou telle activité. En effet, les trois témoignages dévoilent que le mode de la relation et sa qualité dépendent de l'infirmière : de sa personnalité, de sa disponibilité et de sa représentation du malade au moment d'une activité. En soin, le patient est considéré comme un « objet de soin », il s'agit d'une conception du malade encrée dans les représentations des infirmières dès leur entrée en formation initiale.

Le port de la tenue de travail en ETP est considéré par les interviewées comme un blocage à la relation harmonieuse d'échange, qui se crée au moment de cette activité. Celle-ci est vue comme une barrière pour la relation d'échange de personne à personne qui représente la base de la communication et, renvoie à l'image du pouvoir et du savoir dans les milieux des soins. Sophie en témoigne : « ... là je porte une blouse...ça peut être une barrière. Ici c'est compliquer de retirer la blouse au moment de l'ETP...parce qu'on est dans le même service. Je veux dire en service de soins » (18'43).

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D'après les témoignages des interviewées, le patient dans cette relation, agit par mode relationnel, il identifie l'infirmière par rapport à son rôle d'éducatrice. Marie raconte qu'en dehors de l'ETP, les patients la sollicitent plus que ses collègues : « ...dès qu'ils me voient en dehors de l'éduc, ils ne se disent pas là...elle est en soin. ...quand ils me croisent dans le couloir, ils ne savent pas forcément que je suis en train de passer une chimio juste à côté. Si je ne suis pas disponible. Je leur dis voilà... » (34'20).

- L'ETP : une organisation dans un système d'activités spécifique

Au travers de l'analyse des matériaux recueillis dans les entretiens. Il apparaît que l'organisation du système d'activités des soins infirmiers est liée à la nature des activités de chaque service de soins et, aux missions qui lui sont attribuées. La pratique de l'ETP a été instaurée de manière formelle dans les trois services depuis 4 ans (2011), en réponse soit à un projet de l'Hôpital, soit à des objectifs de réaménagement entre les différentes activités menées dans les services, comme le cas des services de Diabétologie et de Cardiologie. Bien que l'ETP a été intégrée dans le planning des infirmières éducatrices, sa planification est gérée différemment dans les trois services. Nous notons deux modes d'organisations complètement différents : L'HDJ et le service de Cardiologie ont opté pour une pratique à temps partiel, cette mission a été confié à une seule infirmière dans chaque service, qui doit consacrer 20% de son temps plein de travail mensuel à cette activité (tous les jeudis de chaque mois), les autres jours de la semaine, l'infirmière éducatrice prend en charge les activités de soins curatifs. En unité de Diabétologie, l'ETP est pratiqué à temps plein. Sa pratique est confiée à 6 infirmières qui se succèdent selon un planning de travail annuel. Chaque éducatrice prend en charge l'activité ETP pour une durée de 2 mois consécutifs dans l'année. Les autres mois sont consacrés aux autres activités de soins. Les autres professionnels de santé (diététiciennes, médecins, kinésithérapeutes...) ne participent qu'à temps partiel aux séances de groupe et selon leur disponibilité, à l'HDJ et en unité de Diabétologie. Par contre, les séances individuelles et les diagnostics éducatifs ne sont réalisés que par l'infirmière éducatrice. Bien que l'ETP soit pratiqué différemment dans les trois services. Ces modes d'organisation séparent l'ETP des autres activités menées dans ces services de soins et, isole l'infirmière éducatrice de ses collègues, le fait qu'elles ne partagent pas ensemble l'activité ETP. Ces différentes organisations spécifiques à l'ETP, ont provoqué chez les infirmières éducatrices des changements perçus dans leurs habitudes de travail, et au niveau de l'organisation et de la répartition des tâches, par rapport à la gestion de leurs différentes activités aux quotidiens, dans le but de mieux prendre en charge les patients souffrants d'une pathologie chronique.

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Les verbatims de mes trois interviewées ont bien démontré une reconnaissance pour le rôle d'« éducatrice » de la part des infirmières éducatrices. Leur implication dans ce rôle, leur a permis de mieux se situer dans leurs activités quotidiennes, de mieux aborder la relation infirmière/patient pour mieux situer les besoins du patient en termes curatifs et éducatifs. Ce qui leur a permis d'agir et de penser autrement le soin et d'apercevoir le changement dans : leur posture, leurs habitudes de travail et dans, leur système d'activités comme une amélioration de leurs pratiques d'infirmière. Cette première hypothèse est ainsi vérifiée grâce à tous les outils de notre étude.

-Processus de transformations identitaires des infirmières éducatrices

Dans cette deuxième partie de l'analyse, nous allons vérifier si les changements de pratiques et de comportements exprimés par les trois infirmières éducatrices provoqueraient un processus de transformation identitaires chez ces professionnelles, suite à l'introduction de l'activité ETP à leur activité d'infirmière. Dans cette perspective, nous allons tenter de suivre Dubar (1998, 1992) concernant l'articulation entre la socialisation biographique (identité pour soi) et la socialisation relationnelle (identité pour autrui), le fait que les identités professionnelles, pour Dubar, ne sont pas des catégories acquises une fois pour toutes, comme les autres, elles se construisent dans et par les interactions, tout au long de la vie.

Les propos des trois interviewées, traduisent un processus de transformation identitaire. Avant de pratiquer l'ETP, elles associaient à leur rôle d'infirmière l'image d'une professionnelle qui materne le patient et qui sait ce qui est bon pour lui, avec des attitudes qu'elles qualifient de jugement et de reproche sans le désirer. Sophie raconte : « ...on est souvent dans...on va faire beaucoup de reproches auprès des patients. ...on va leur reprocher d'apprendre leurs médicaments correctement, on ne supporte plus de leur expliquer des choses. Et puis...on pense qu'ils ne comprennent rien...Donc souvent le soignant va se retrouver en train de dire...mais je perds du temps...On les juge en fait...oui oui on les juge sans le vouloir en fait. Peut-être parce qu'on a essayé de faire en sorte à tout bien faire. Moi j'ai eu l'information qu'on materne les patients. On les dirige au lieu de vouloir savoir qu'est ce qu'ils attendaient de nous... » (14'42). Laura témoigne qu'avant, elle dictait au patient ce qu'il devait faire au lieu de rentrée en communication avec lui : « avant, c'est vraiment : faites 3...faites 6 glycémies par jour. Maintenant, on a changé de formulation des questions. Ce sont plutôt des questions ouvertes. On s'est plus adapté aux besoins du patient que l'on lui impose de faire... Mais ça...on l'a travaillé avec la formation en éducation » (00'51). Pareillement, Marie révèle des changements dans sa pratique d'infirmière : « ...avant, je dictais au patient ce qu'il

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devait faire...maintenant, je le fais participer... » (23'30). Les trois éducatrices ont raconté, qu'avec le temps, leur attitude a commencé à changer au moment du soin. Pour elles, ce changement est influencé par leur posture d'éducatrice. Sophie révèle : « quoique mon attitude à changer un peu, j'essaie d'être à l'écoute même en soin, je ne fais plus à la place du patient pour ce qu'il peut faire. Et tout ça, ...ça s'apprend, forcément » (33'40). Si on se réfère à Dubar, au niveau « transaction biographique », il y a une rupture avec l'identité d'infirmière, qui détient les connaissances, et qui prend la décision pour le patient. Toutefois, pour ces trois infirmières, il y a production d'une nouvelle identité, associée à la pratique de l'ETP, adoptant un rôle d'accompagnement dans l'apprentissage pour le patient. Les compétences éducatives acquises en formation continue à l'ETP, ont permis à ces professionnelles de se situer différemment. Elles témoignent qu'elles ont vécu une évolution progressive dans leur comportement personnel et professionnel avec l'autre. Elles se sont alors investi dans leur relation avec le patient au moment du soin. Elles ont avoué dans leur témoignage, que l'ETP a changé leur manière d'être et de faire. Aussi, leur vision de ce qu'est le rôle d'infirmière avait changé. Sophie a verbalisé qu'elle se questionne sur ses attitudes personnelles et professionnelles depuis qu'elle pratique l'ETP : « Ça arrive une période où je me suis posé beaucoup de questions. Mais aussi dans ma vie personnelle avec mes enfants...Je m'aperçois que ma façon d'aborder mes enfants et là même qu'avec mes patients. Je ne les rendais pas autonome. ... j'ai réalisé que ma posture, elle était la même à la maison qu'au travail... » (16'43). Il s'agit d'une prise de conscience pour ces infirmières : elles revendiquent une identité d'infirmière éducatrice pour la prise en charge globale du patient, centrée sur l'individu et non pas sur le soin ; elles confirment que l'ETP a provoqué un changement identitaire professionnel et personnel profond dans leur attitude et comportement avec l'autre. Au niveau du « processus biographique », ces infirmières s'identifient à la manière de prendre en charge l'ETP : l'entretien avec Sophie a exprimé un sentiment de transformation identitaire personnel en évolution sur le plan professionnel. Elle a réalisé que cette transformation va lui permettre d'évoluer : « de grandir...grandir dans mes habitudes... dans ma façon d'être, dans mon regard... ». L'entretien avec Laura a exprimé une reconnaissance d'une identité de soignante influencée par chaque nouvelle pratique « Ça perturbe forcément à chaque fois qu'il y a quelque chose de nouveau. Je pense que l'adaptation, elle est aussi pour nous. Ce n'est pas si facile de faire l'entretien éducatif... Ça nécessite des compétences... » (33'06). Toute nouvelle pratique génère des changements identitaires et, requiert un temps d'adaptation pour l'acquisition de ses compétences.

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En ce qui concerne le « processus relationnel », les trois témoignages affirment qu'au niveau organisationnel dans le service, l'infirmière éducatrice reste isolée dans sa pratique ETP. Il y a « conflit de non-reconnaissance » du statut d'éducatrice, par les autres collègues de travail. Ces infirmières éducatrices vivent un processus de forme identitaire « relationnel pour soi » : selon Dubar, il s'agit d'une forme réflexive qui se caractérise par une « conscience réflexive » engageant les infirmières éducatrices dans un projet ETP ayant un sens subjectif. Ces infirmières, s'identifient au même statut de « référente en éducation », elles partagent le même projet même si elles ne travaillent pas dans le même service. Donc, au « Nous » correspond un « Je » réflexif désirant de se faire reconnaître par « des autrui significatifs » exerçant le même métier d'infirmière (les collègues du service). En service de Cardiologie, Sophie raconte que l'activité ETP ne fait pas partie des priorités du service, elle ne témoigne d'aucune transformation par rapport à l'organisation du système d'activités des soins, depuis l'intégration de l'ETP : « L'éducation passe au second plan. Ce n'est pas une priorité. Le curatif est prioritaire dans le service ». (19'44). Les objectifs du service ne coïncident pas avec l'avenir de Sophie. Donc, elle doit défendre son identité d'infirmière éducatrice au sein du service. A l'HDJ et en unité de Diabétologie, Marie et Laura réalisent les séances éducatives de groupe avec d'autres professionnels. Il y a « coopération - reconnaissance » pour l'activité ETP, et une reconnaissance par des « autrui significatifs » pour l'identité professionnelle de ces deux infirmières éducatrices. Les patients représentent aussi des « autrui significatifs » pour ces infirmières éducatrices, le fait qu'ils participent aux séances éducatives et qu'ils adhèrent à la démarche de l'ETP. Ces patients ont permis aux éducatrices : de se sentir reconnu dans cette identité professionnelle et, valoriser par rapport à la pratique de l'éducation. L'interviewé Marie a dévoilé une reconnaissance verbale et expressive de la part des patients en séance éducative : « l'éducation pour moi, c'est valorisant en tant que soignante. Parce que, soignante ...dans un service classique ...on n'a pas toujours le retour. Quand on fait de l'éducation, moi je trouve qu'on a beaucoup de retour...on demande aux patients s'ils sont contents. » Cette valorisation n'est pas aussi perçue en soin. « ...je fais la chimio...je ne vais pas lui demander s'il est content... » (33'51). La pratique de l'ETP apporte un équilibre à la pratique du soin pour les infirmières éducatrices.

La formation continue à l'ETP, a aidé les infirmières éducatrices à prendre conscience et à revoir leurs pratiques d'infirmière. Grâce cette formation et à la pratique de l'ETP, ces infirmières ont acquis un nouveau « savoir professionnel » impliquant des articulations entre savoirs technique du soin et savoirs relationnel de l'ETP, qui sont au centre de l'identité

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structurée par le rôle de l'infirmière éducatrice. Ce rôle est bloqué dans sa consolidation. Selon Dubar (2015), ce savoir est associé à une logique de la qualification dans le travail (faire). L'identité de ces infirmières éducatrices « est appelée aujourd'hui à se reconvertir ou à se restructurer en fonction de ces normes nouvelles de compétences » (p. 234). Afin de partager ce nouveau savoir professionnel avec les autres infirmières du service.

Les interviewées recommandent vivement la formation ETP à leurs pairs. Elles reconnaissent que l'exercice dans les services à pathologies aiguës ne permet pas d'acquérir certaines capacités nécessaires à la pratique de l'éducation. Pour ces infirmières éducatrices, la formation à l'ETP est nécessaire dans les services à pathologie chronique. Toutes les infirmières auront les mêmes habitudes et techniques de travail. Elles reconnaissent aussi que cette formation ne peut pas être imposé ou proposé à toutes les infirmières pour des raisons liées aux moyens financiers. Laura témoigne : « ...la formation nous aide à prendre conscience de ces compétences. ...pour moi un soignant qui va exercer...d'une manière ponctuelle, je dis pour des pathologies aiguës...il ne va pas avoir développé au cours de son expérience une expertise en éducation thérapeutique... » (14'57) « en diabéto je dirai oui, c'est très important du moment qu'on traite une pathologie chronique, aussi tout le monde sera sur le même fil pour la continuité, pour l'organisation, c'est important, en plus si tout le monde pratique l'éduc, on aura les mêmes visions, regard, ...Les mêmes compétences, le même langage... Peut-être là moi je procède autrement , j'ai plus d'écoute, ...oui ça serait bien si tout le monde est formé...Mais, il parait que c'est une question de budget... » (39'42). La formation à l'ETP pourrait offrir une « coopération-reconnaissance » des infirmières aux infirmières éducatrices. Cette reconnaissance va résoudre leur conflit identitaire professionnel. La formation des pairs permettrait aussi d'éviter l'isolement de l'éducatrice dans son activité ETP.

En effet, les changements décrits par les interviewées, ont impacté leur identité professionnelle d'infirmière. Celle-ci se retrouve dans un mouvement de construction, de déconstruction et de reconstruction suite à l'intégration de l'activité ETP au rôle propre de l'infirmière. Il faut admettre que les différentes pratiques sollicitées par l'activité ETP, exigent une évolution du métier de l'infirmière et génèrent des besoins d'acquisition à de nouvelles compétences pendant le parcours professionnel.

Tous ces outils nous ont permis de valider notre deuxième hypothèse.

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3- Discussion

Cette partie représente pour nous l'occasion de rapprocher les différentes clés théoriques, aux résultats de notre étude après vérification des hypothèses de travail dans la partie précédente. Notre étude ne peut représenter que les trois les infirmières éducatrices exerçant dans les services à pathologie chronique. Les autres professionnels de santé ont probablement un regard différent sur la pratique éducative, étant donné les recommandations de l'HAS qui précisent bien que, l'ETP doit être pratiqué par une équipe pluridisciplinaire. Cela pourrait constituer un autre biais de représentativité. Les réponses obtenues de notre enquête ne peuvent prétendre absolument à l'exhaustivité car, les données recueillies auprès des interviewées sont des réponses orales non accompagnées d'aucun document écrit (synthèse sur l'activité ETP, compte rendu de réunions, bilan de réalisation, ...) et le fait aussi que, la pratique éducative soit récente à l'hôpital de Blois (depuis 4 ans).

L'infirmière au coeur de la pratique éducative : au travers de cette enquête, je constate que le professionnel au coeur de l'activité ETP est l'infirmière. Elle participe davantage à l'élaboration des programmes éducatifs que les autres professionnels de santé (médecin, diététicienne, kinésithérapeute...), comme le stipule les recommandations de l'HAS (2007). Bien que ces professionnels de santé aient un rôle important dans l'élaboration et l'initiation des programmes d'ETP, ces derniers ne collaborent qu'aux séances collectives, selon les disponibilités de chacun. Par exemple, les kinésithérapeutes n'ont pas de temps dédié à l'activité éducative, et ne participent pas au diagnostic éducatif, alors que celui-ci « ... est au mieux le fruit de la collaboration d'une équipe multi-professionnelle... » (HAS/INPES, 2007, p. 27). Je pense pour ma part que, la réalité n'est pas si simple pour l'infirmière éducatrice, puisqu'en plus du diagnostic éducatif, elle doit aussi assumer seule la prise en charge des séances individuelles. C'est vrai que les interviewées ont avoué que ces séances offrent une meilleure écoute des patients et permettent une prise en charge plus personnalisée. Mais d'un autre côté, elles s'avèrent chronophages pour les éducatrices et ne permettent pas le partage entre patients, puisqu'elles se réalisent dans le cadre d'un « tête à tête » avec l'éducatrice et nécessitent un temps de 45mn à 1h, pour chaque patient. Ces difficultés liées à la coordination et au manque de temps peuvent représenter un frein majeur à l'essor de l'ETP. L'interviewé Sophie a même révélé qu'elle n'avait pas d'autres choix que d'opter pour la méthode individuelle, parce qu'elle ne peut réaliser seule les séances collectives (autres professionnels non disponibles, temps de préparation et de réalisation important, manque de local pour recevoir le groupe...) Ce qui peut diminuer la pertinence de l'activité ETP, qui normalement,

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se base sur l'échange et l'expérience entre patients et professionnels. D'autant plus que, ces séances individuelles doivent être destinées en priorité aux patients qui ont des difficultés à se retrouver en groupe et, qui ont une dépendance physique, sensorielle ou cognitive (HAS/INPES, 2007).

L'infirmière entre le soin et l'éducation : deux rôles distincts qui se complètent : l'affirmation de ma première hypothèse me laisse penser que les interviewées se sont bien identifiées dans les six rôles infirmiers (accueil, aide, guide, accompagnement...) proposés par la théorie de Peplau (1952). A travers le statut de « référente en éducation », ces infirmières adoptent d'autres postures pendant l'activité ETP, que la posture habituelle d'infirmière. Il s'agit bien des postures de l'accompagnement professionnel (d'écoute, de non-savoir, d'échange, ...) décrites par Paul (2004). En effet, pour les infirmières éducatrices, l'ETP ne se réduit pas à la simple information mais elle la complète. Cela m'emmène à confirmer ce qu'à écrit Chantal Eymard (2010) : « l'ETP ne peut se réduire à l'information de savoirs ou de savoir-faire, car elle vise l'appropriation des savoirs... » (p.42), par le patient demandant un accompagnement de la part du soignant. Pour mes interviewées, cet accompagnement représente un choix politique, une commande de l'institution hospitalière. Mais cette mise en oeuvre de l'action d'accompagnement, ne garantit rien sur la posture de l'accompagnateur. Le fait que « l'accompagnement n'est pas un métier, il ne réfère à aucun cursus de formation identifié comme tel », comme l'a précisé Paul (2004). Le changement de posture n'est pas si simple pour les infirmières, il s'agit d'une posture d'accompagnement spécifique à l'ETP. Cette mission a été confiée aux infirmières, qui ont reconquis et adopté autre manière d'être et de faire dans le cadre de leur rôle propre considéré par Formarier (1990) comme un « rôle toujours nouveau, riche, multidimensionnel, difficile et exigeant, » (p.52). Cette nouvelle posture a provoqué un changement dans l'organisation du système d'activités des soins pour ces infirmières. Ce changement est vu par les auteurs Fried et Fottler (2010), comme « un processus qui vise à modifier, enrichir, élargir les fonctions et les tâches des employés, [...] améliorer leur satisfaction au travail et la performance de l'organisation » (p.162). Ce changement est aussi aperçu au niveau des habitudes de travail et par rapport à la relation infirmière/patient. Mais, d'après l'enquête, l'activité éducative ne semble pas être imposée à tous les professionnelles exerçant dans les services de soins, les infirmières ont le choix de ne pas être éducatrices. Je me suis aperçue aussi, d'après les verbatims des interviewées, que la pratique de l'ETP peut ne pas être « désirée » par toutes les infirmières, surtout par celles qui exercent en services à pathologie aiguë, la charge et les

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conditions de travail ne leur permettent pas d'assurer la prise en charge globale du patient. Pareillement, je pense que l'ETP en tant qu'activité n'est pas assez vulgarisée par les responsables pour que les infirmières puissent se familiariser avec les compétences de sa pratique et l'adopter à leurs pratiques quotidiennes. Dans ces conditions l'ETP risque d'être défavorisée par rapport à l'activité de soins.

Des compétences et des modèles pédagogiques mobilisés pour la pratique éducative : cependant être infirmière éducatrice ne peut s'exercer sans la formation continue à l'ETP. Cette formation est proposée par l'hôpital qu'à une seule infirmière par service sauf pour le service de diabétologie, qui cite six infirmières formées sur 24. Ce chiffre représente le 1/4 de l'effectif infirmier dans ce service. D'après l'enquête, cette démarche est justifiée par le manque de moyens financiers ne permettant pas à l'activité ETP d'être pratiqué par toutes les infirmières. Il faut reconnaître que c'est par le biais de la formation continue, que les infirmières éducatrices ont acquis d'autres compétences que les soins curatifs. Sans oublier que les compétences de l'ETP sont considérées par l'OMS « non comme un état, mais comme un processus qui permet de mettre en synergie des ressources multiples dans une situation professionnelle » (HAS, 2007). Les éducatrices mobilisent donc des ressources à dimension normative comme les attitudes, l'écoute, les normes, l'identité, ... Ainsi, la compétence éducative a permis aux infirmières de mettre en oeuvre un ensemble diversifié de pratiques éducatives (diagnostic éducatif, séances, écoute, échange, reformulation, valorisation...), et coordonner des ressources éducatives aux soins qui leur a permis une meilleure prise en charge du patient. Selon l'INPES (2013), « cette compétence est à appréhender comme un savoir agir reconnu dans un environnement et dans le cadre d'une méthodologie définie ». Ce qui explique le sentiment d'implication dans le rôle éducatif exprimé par mes interviewées. D'un autre point, au travers de l'analyse des matériaux recueillis, il apparaît que les éducatrices se servent des trois modèles pédagogiques pour l'accompagnement en ETP: elles se servent de la « pédagogie traditionnelle », pour pratiquer les séances individuelles ; elles s'appuient sur la « pédagogie béhavioriste » pour l'apprentissage de gestes techniques ou de réflexe de santé (auto soin, choix habitudes alimentaires...) ; et sur la « pédagogie constructiviste », pour réaliser les séances de groupe (l'échange et le partage de connaissances). Le premier modèle reproduit le modèle universitaire, qualifié par A. Giordan, (2010) comme une pédagogie empirique qui suppose « qu'apprendre est un simple processus de communication, comportant un décodage, puis une mémorisation » (p. 2). C'est un modèle pédagogique qui n'apparaît pas totalement dépassé. Il peut se révéler très efficaces en ETP,

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« si le soignant et le patient se posent le même type de question ,
· s'ils possèdent le même cadre de référence, à commencer par le même vocabulaire ,
· ...
» (p. 3) Le deuxième modèle (béhavioriste) demeure très limité pour Giordan du fait qu'il intervient peu sur la motivation du patient, les désirs et les intentions de celui-ci étant peu pris en compte. Le troisième porte un intérêt pour les expériences d'entraînement en groupe, se contentant de valoriser un apprentissage coopératif et des réunions entre patients.

L'ETP, une pratique réflexive qui transforme l'activité quotidienne de l'infirmière : il est vrai que ces infirmières avouent que dans certaines situations, elles ne savent plus dans quelle posture se mettre. Le changement de posture ne parait pas si simple, il faut un temps d'adaptation. L'infirmière éducatrice doit s'adapter à son nouveau système et aux conditions de travail dont lesquelles elle est contrainte pour se ressourcer et réaliser son activité. Il s'agit de devenir un « praticien réflexif » selon le concept de Donald Schön (1983), et de réalisé un « travail réflexif », considéré par Dubet (1994), « [...] d'autant plus intense que les individus se trouvent dans des situations qui ne sont pas entièrement codifiées et prévisible, ... » (pp. 103-104). Ce qui explique les situations qui ne relèvent pas du prescrit.

Pour le suivi des patients et de leur apprentissage, l'éducatrice doit refaire le diagnostic éducatif, une tâche qui n'est pas toujours réalisable, elle voudrait se servir alors des moyens dont elle dispose dans son environnement comme le suivi téléphonique pour réaliser le but qu'elle avait fixé.

L'identité de soignante éducatrice : une nouvelle façon d'être et de se comporter. L'identité professionnelle de l'infirmière est dans un mouvement permanent de construction, de déconstruction et de reconstruction suite à la mutation de son système d'activité qui inscrit l'ETP dans son rôle propre. Comme je l'ai déjà précisé, ce changement lui exige des modifications dans ses habitudes personnelles et professionnelles, dans sa posture d'infirmière, dans sa relation avec le patient. Il s'agit d'une évolution de son métier d'infirmière. Cette évolution engendre des transformations identitaires. Cette seconde hypothèse a, elle aussi, été vérifié selon plusieurs axes, grâce à la richesse des données au sujet de l'identité professionnelle. Je pense que la référente en éducation a commencé à se distinguer des autres infirmières, depuis l'intégration de l'ETP à ses pratiques. Elle réalise aussi que, les patients l'identifient plus par rapport à son rôle éducatif : « C'est un système de sentiments et de représentations de soi, [...] C'est aussi, ce qui me rend semblable à moi-même et différent des autres, ... ce par quoi je me définis et me connais, me sens accepté et

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reconnu comme tel par autrui, mes groupes et ma culture d'appartenance », il s'agit de la « connaissance et reconnaissance de ce que l'on est ». (Tap, 1986, p.8).

J'ai déjà noté que les éducatrices ont pris conscience que la nouvelle façon d'être et de se comporter avec le patient représente pour elles autant d'importance que le soin. Ainsi, l'identité de l'éducatrice se construit à travers la posture éducative par l'acquisition de certaines compétences comme la posture communicative, l'écoute active, ... Ceci n'est pas sans rappeler l'identité au travail que Dubar (1992), considère comme le produit d'une socialisation. Aussi, si je considère le service de soins (curatif et éducatif) comme un lieu de construction identitaire, par voie de socialisation, comme le souligne Dubar, l'organisation dans laquelle s'inscrit l'expérience professionnelle de l'infirmière éducatrice constitue un lieu fondamental pour la reconstruction de son identité professionnelle. Dans ce sens, l'identité d'infirmière peut être rapproché de l'identité d'éducatrice, au sens de l'apprentissage formant ainsi une nouvelle identité d'infirmière, complétée par celle de l'éducatrice. Les infirmières éducatrices considèrent l'éducation comme un moyens efficace de se réaliser, de s'épanouir, de se sentir valoriser. La pratique de l'ETP confère ainsi une identité professionnelle à ces infirmières éducatrices, et contribue également à la construction d'une identité collective, représentée par les infirmières référentes en éducation.

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4- Conclusion

1- Résumé de la recherche

Je suis partie de l'idée que l'ETP devient une nécessité dans la pratique infirmière. Que la loi 2009 allait inciter les professionnels de la santé à changer leurs façons de faire et d'être dans leur travail au quotidien. Que cette activité thérapeutique s'accomplit par une équipe pluridisciplinaire. Que ces nouveautés de pratiques éducatives allaient solliciter un engagement des infirmières dans la transformation de leurs pratiques en adoptant une nouvelle posture d « infirmière éducatrice » et, que ces transformations allaient impacter leur identité professionnelle. Devant ce constat, j'ai centré ma problématique sur l'impact de l'introduction de l'activité ETP sur les transformations à la fois vis-à-vis des pratiques infirmières mais aussi, de l'identité professionnelle pour ces professionnels de santé. Afin de vérifier ces idées, j'ai d'abord procédé par une recherche documentaire dans le but d'identifier les caractéristiques des pratiques professionnelles de l'ETP. Ensuite, j'ai développé deux hypothèses : la première s'appuie sur la théorie de l'interaction de la théoricienne H. Peplau (1952) et, sur les méthodes de l'accompagnement professionnel démontré par M. Paul (2004), pour traiter la question de la reconnaissance et l'acceptation du rôle d'éducatrice par l'infirmière. Afin de vérifier si son implication dans ce rôle lui permet de mieux se situer dans son activité de soins et de mieux situer les besoins du patient en termes éducatifs et curatifs ; La seconde hypothèse, s'appuie sur la socialisation et la construction identitaire professionnelle de C. Dubar (1998 ; 1992). Elle aborde l'identité professionnelle de l'infirmière qui s'est retrouvé dans un mouvement permanent de construction, de déconstruction et de reconstruction suite à la mutation de son système d'activités qui inscrit l'ETP dans son rôle propre.

Pour vérifier ces deux hypothèses sur le terrain, je me suis appuyé sur deux outils méthodologiques : l'observation ethnographique, et les entretiens semi directifs. Pour tenter d'identifier les changements des pratiques infirmières résultant de l'introduction de l'activité ETP à celle de soignante, j'ai effectué un stage pratique auprès d'un hôpital public prenant en charge les pathologies chroniques. J'ai recueilli des propos de trois infirmières impliquées dans des activités éducatives et, je les ai analysés au regard de leurs propos vis-à-vis de leurs activités, leurs rôles et leurs attitudes avec le patient pendant les deux activités (soin et éducation).

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2- Cheminement de la recherche

L'idée de concevoir un travail sur l'impact de l'introduction d'une activité éducative à l'activité de soins infirmiers découle de mes expériences professionnelles, qui relèvent de deux domaines différents notamment, la santé et la formation. Ces deux expériences professionnelles (aide-soignante et chargé de la formation continue) ont suscité en moi une curiosité et un intérêt pour l'enseignement et l'apprentissage en lien avec la pratique éducative en milieu hospitalier. Le terme « éduquer » m'a interpellé, je me suis posé des questions sur le degré de connaissance de l'infirmière des modèles éducatifs, elle qui ne connaît que le curatif, aussi sur sa capacité à intégrer la dimension éducative au soin, elle que je vois constamment « dépasser » par les différentes tâches de soins liés aux conditions de travail. Pour répondre à cette curiosité, j'ai décidé d'orienter mon thème de recherche vers l'intégration de l'activité ETP aux soins. Je sais que je ne vais pas être une future éducatrice, mais cette expérience m'aurait rapproché du vécu des infirmières en situation de changement professionnel et identitaire, le fait que je voudrais réintégrer la formation continue et concevoir des formations d'accompagnement et d'analyse de pratiques professionnelles. Pour concrétiser ma recherche, il me fallait donc trouver des réponses à mes hypothèses et, trouver un lieu de stage pour les vérifier. J'avoue que c'était la tâche la plus difficile, j'ai tout de suite été confrontée à des réticences voire des refus relatifs à mon investigation. Je savais que l'entrée dans le milieu hospitalier était presque irréalisable pour les stagiaires hors cursus médical ou paramédical. Mon statut de soignante m'a encouragé à rester positive. Mais, au contraire je n'étais pas vu comme une aide-soignante en réorientation professionnelle, mais comme un intrus qui vient « espionner » les soignants dans leur travail, c'est ce que j'avais compris à travers les refus successifs. J'ai donc fait le choix d'une autre stratégie : élargir mon terrain de recherche et changer la présentation du projet en ciblant les patients et non plus les soignants, et en me présentant entant qu'étudiante en science de l'éducation. J'avoue que durant toute ma période de stage, je n'ai jamais évoqué mon statut de soignante pour mettre les infirmières en confiance. J'avais raisons, mon stage s'est déroulé dans les bonnes conditions. J'avoue qu'au départ mon intention était d'enquêter auprès d'une équipe pluridisciplinaire, pour bien répondre à ma problématique, mais la non disponibilités des professionnels de santé (médecins, kinésithérapeutes, diététiciens, ...) m'a emmené à consacré mon enquête au travail de l'infirmière.

Mon expérience de chercheur, m'a permis de me rapprocher du ressenti et du vécu des infirmières, d'apercevoir dans leur regard des étincelles de joie d'être les référentes en

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éducation, d'entendre des expressions de valorisation pour la pratique éducative, et en même temps, j'ai aperçu des inquiétudes quant au devenir de cette pratique. A l'issue de ce travail de mémoire, je prends conscience de la chance que j'ai, d'avoir découvert une nouvelle vision du travail de l'infirmière et de ce fait aussi, une nouvelle posture d'accompagnement, dont je m'inspirerai éventuellement lorsque je serai en poste de coache.

3- Résultat de la recherche

En réponse à mes hypothèses, je sais aujourd'hui que l'introduction d'une nouvelle pratique aux pratiques quotidiennes d'un professionnel transformerait tout autant la pratique habituelle que l'identité des acteurs. Je sais également, que l'activité ETP complète l'activité de soins chez les infirmières éducatrices. Je suis déçu de découvrir que les compétences de l'activité ETP ne soient pas partagées par une équipe pluridisciplinaire : contrairement aux volontés législatives, l'infirmière se retrouve seule dans une nouvelle fonction de soin éducatif, elle réalise seule le diagnostic éducatif et les séances individuelles, à la différence du soin qui mobilise des compétences collectives, formelles et partagées. L'éducation semble ainsi représentée un moment unique séparé du parcours de soin. J'ai compris à travers les propos des interviewés que la pratique éducative les isole de leurs pairs, étant celle-ci non partagée par tous les soignants. Ce qui peut représenter un frein majeur pour l'ETP étant le nombre de détendeurs de la compétence éducative limité dans un service de soin. Enfin, je constate qu'au travers de la pratique éducative apparaît une compétence réflexive commune aux trois infirmières éducatrices. Cette capacité réflexive représente une prise de conscience par rapport aux activités du métier d'infirmière. Les infirmières se sentent connues et reconnues dans ce nouveau statut d'infirmière référente en éducation. Cette activité ETP malgré qu'elle les isole de leurs pairs, elle s'accompagne d'un renforcement identitaire qui a conduit les infirmières interviewées à se sentir valoriser de part cette pratique, malgré qu'elle demeure pratiquée de très peu d'infirmières.

4- Prolongation de la recherche

Au travers de l'analyse des données recueillies dans les entretiens, je me suis aperçue que l'activité ETP en tant que telle n'a jamais été évaluée. Les trois éducatrices témoignent qu'aucun suivi professionnel n'a été effectué depuis l'intégration de cette activité à leur

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quotidien. Néanmoins lorsque j'ai demandé à Laura de me décrire le mode d'évaluation de sa pratique éducative, celle-ci répond qu'il n'y a pas le suivi d'un professionnel : « Qui nous dirait si c'est ça ce qu'on fait. L'analyse des pratiques qu'est ce qui la fait. ...l'analyse de l'activité...il faut justifier de nos formations d'éducation thérapeutique. Mais qui vient nous évaluer sur le terrain pour nous dire que finalement, on ne fait pas juste ce qu'on fait, ...on prend pas juste un thé avec le patient...et...ben personne...on remplit des dossiers sur l'ordi...qui regarde et remarque ce que je marque en compte rendu...qui...pas du tout. Personne, il n'y a personne qui regarde ce qu'on fait... je pense. Il n'y a pas de continuité pour le suivi, rien pour l'instant » (35'04). Ces propos m'ont conduit à réaliser que la question de l'analyse et l'évaluation de la pratique ETP mériterait un prolongement de recherche. L'infirmière a exprimé le besoin de remettre en question son action éducative, les exigences professionnelles l'obligent à jeter un regard critique sur son agir afin d'améliorer continuellement ses savoirs et ses savoirs faire, afin de parvenir à un savoir-être accompli. Il s'agit de devenir un « praticien réflexif » selon le concept de Donald Schön (1983). C'est vrai que, l'HAS/INPES (2007) avait proposé dans le guide méthodologique de l'ETP une grille d'évaluation pour l'ETP, mais celle-ci nécessite que les professionnels de santé aient déjà une expérience en ETP suffisante. A mon avis l'analyse des pratiques professionnelles répondrait bien aux préoccupations des infirmières éducatrices, elle représenterait un moyen informel de procéder à l'évaluation de la qualité des pratiques éducatives. Je me pose alors la question sur l'outil qui répondrait à la question suivante : Quel outil d'analyse de pratiques professionnelles pour évaluer la pratique éducative des infirmières éducatrices ?

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Table des abréviations

B.O : bulletin officiel.

CII : conseil international des infirmiers.

ETP : éducation thérapeutique du patient.

HAS : haute autorité de la santé.

HCSP : haut conseil de santé publique.

HDJ : hôpital de jour.

HPST : hôpital, patients, santé et territoire.

IDE : infirmier diplômé d'état.

INPES : institut national de prévention et d'éducation pour la santé.

OMS : organisation mondiale de la santé.

ONI : ordre national des infirmiers.

SFSP : société française de santé publique.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway