"le droit d'accès à la justice pour la partie impécunieuse"( Télécharger le fichier original )par Lloyd Rosique Université de Aix-Marseille - Master 2 Contentieux et procédures civiles dà¢â‚¬â„¢exécution 2015 |
83 Le droit d'accès à l'arbitre ne repose pas formellement sur l'article 6 paragraphe 1de la CEDH. Néanmoins, la justice publique entend le consacrer en appliquant substantiellement ses garanties. En somme, les magistrats rattachent implicitement la convention EDH 55 GUINCHARD Serge, SOREL Jean-Marc, Cécile Chainais « Droit processuel, Droits fondamentaux du procès », précis Dalloz, 7ème édition, p1421. 32 aux grands principes juridiques découlant de l'ordre public procédural. Ainsi, cette solution parait judicieuse dans la mesure où l'on permet de remettre en cause certains arbitrages sans pour autant leur opposer la Convention EDH. L'ordre public procédural, bien qu'étroitement à celle-ci, permet donc d'annihiler les conventions d'arbitrage en cas de risque de déni de justice (A). Cependant, il est tout à fait possible que certaines procédures d'arbitrage conduisent à des situations de déni de justice. En effet, Il ne faut pas omettre le fait que l'arbitrage reste avant tout une justice privée qui obéit, d'une part à la volonté des parties, et d'autre part à la loi du marché. De plus, l'immixtion des droits fondamentaux dans l'arbitrage, ne doit pas conduire les plaideurs à s'en désintéresser. Par conséquent, il est nécessaire que le recours à l'ordre public procédural fasse l'objet d'un encadrement juridique précis, afin de préserver l'essence même de l'arbitrage (B). A) Le respect catégorique de l'ordre public procédural 84 Bien que le risque du déni de justice en matière arbitral soit reconnu par la Cour de cassation depuis maintenant quelques années56, l'impécuniosité d'un plaideur n'avait pas à justifier la remise en cause de la clause compromissoire. Pourtant, dans un récent arrêt, la Cour d'appel de Paris annihila un arbitrage en raison d'une violation du droit d'accès à la justice, et au principe d'égalité entre les parties57. Les juges du fond sont allés jusqu'à écarter la volonté des parties consacrée par la convention d'arbitrage, afin de garantir un accès total à la justice arbitrale et d'éviter tout déni de justice (1). Guidés par un certain idéal de justice, les magistrats parisiens ont souhaité rééquilibrer les droits des plaideurs dans l'arbitrage (2). 1) La prohibition du déni de justice 85 L'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 17 novembre 2011 est venu bouleverser le monde de l'arbitrage. Statuant sur un litige relatif à l'impécuniosité de l'une des parties dans une procédure d'arbitrage, les juges du fond décidèrent d'annuler la sentence rendue par un tribunal arbitral au visa de l'article 1502 (devenu l'article 1520) du code de procédure civile, 56 Cass. 1re civ., 1er févr. 2005, n° 01-13.742 : JurisData n° 2005-026746 ; JCP E 2005, 676, note J. Béguin. 57 CA Paris, pôle 1, ch. 1, 17 nov. 2011, n° 09/24158 : JCP G 2012, doctr. 843, n° 6, obs. C. Seraglini 33 pour violation du principe du contradictoire et de l'ordre public international, dans la mesure où, le tribunal arbitral n'avait pas examiné les demandes reconventionnelles du défendeur, faute d'avoir eu les moyens financiers de régler la provision et les honoraires d'arbitrage58. Bien que le tribunal arbitral ait suivi l'argumentation avancée par la Cour arbitrale de la CCI, la Cour d'appel Parisienne révoqua celle-ci. En outre, elle s'affranchit également des normes posées par le règlement d'arbitrage. De par cette solution, la juridiction du second degré entendit rendre une solution extrêmement importante, liant l'arbitrage aux principes du droit d'accès au juge et d'égalité des parties découlant de la CESDH. 86 En l'espèce, il s'agissait d'une société de droit Italien, Pirelli, qui était en conflit avec son cocontractant, une société de droit Espagnol, Licensing Project LS, au sujet d'une licence exclusive de production et de commercialisation de produits manufacturés59. A la suite d'un défaut de paiement de « Royalties », la société Italienne désira mettre un terme au contrat. Pour ce faire, elle engagea une procédure d'arbitrage fin 2007 en collaboration avec la CCI. Néanmoins, au cours de l'année, la société Espagnole fit l'objet d'une procédure collective. Ainsi, dès 2009, ladite société fut placée en liquidation judiciaire. Préalablement saisi, le tribunal arbitral rendit une première sentence partielle dans laquelle il reconnut sa compétence. Par ailleurs, il est à noter que la sentence ne fit l'objet d'aucune contestation. Le tribunal poursuivit en indiquant que l'ouverture d'une procédure collective ne remettait pas en cause la convention d'arbitrage au sens de la loi espagnole. A ce titre, il précisa que le litige devait faire l'objet non pas d'un arbitrage interne, mais bien d'un arbitrage international. 87 Puis, par une seconde sentence, le tribunal arbitral condamna la société espagnole à payer certaines sommes au profit de la société Italienne. Bien que cette solution n'aurait pas pu trouver écho en France60, la société espagnole, représentée par l'un de ses créanciers, fût contrainte de former de nombreux recours à l'encontre de cette décision (le tribunal de commerce de Barcelone autorisa ledit créancier à intenter des recours dans la mesure où il agissait dans l'intérêt de la masse des créanciers). En ce sens, la Cour d'appel de Paris fût 58 COHEN Daniel « Non paiement de la provision d'arbitrage, droit d'accès à la justice et égalité des parties : avancée ou menace pour l'arbitrage ? », The Paris Journal of International Arbitration, 2012. 59 COHEN Daniel op. et loc. cit. 60 COHEN Daniel op. et loc. cit. / C.Cass. Civ. 1ère , 8 mars 1988, D 1989.577, note J.ROBERT ; rev. Arb. 1989, 473, note, P.ANCEL ; plus récemment, 6 mai 2009, D 2009,1422, note X. DELPECH : D 2009, Pan 2959, obs, Thomas CLAY ; rtd, com. 34 saisie de l'affaire. Dans un souci de bonne administration de la justice, celle-ci prit la décision d'unifier le contentieux en regroupant les différents recours formés par la société espagnole et son représentant. 88 Les juges Parisiens se retrouvèrent ainsi confrontés à un écueil juridique de taille. En effet, ces derniers devaient se prononcer sur la portée juridique de l'article 30 du règlement CCI (article en vigueur jusqu'en 1988, avant d'être modifié par l'article 36 du nouveau règlement de 2012). Cet article donnait à la Cour d'arbitrage, la possibilité de fixer des provisions distinctes sur les demandes principales et reconventionnelles, et à écarter ces dernières en cas de non paiement des frais de provision correspondant. Si l'on revient aux circonstances de l'espèce, il est à noter que la Cour d'arbitrage avait préalablement notifié au tribunal arbitral, ainsi qu'aux parties, que le défendeur s'était abstenu de payer les frais d'arbitrage (frais procéduraux et frais d'honoraires). De fait, celle-ci indiqua au tribunal arbitral, que les demandes reconventionnelles formulées par le plaideur impécunieux se devaient d'être retirées. Par ailleurs, la Cour précisa également que le défendeur avait la possibilité de réitérer ses demandes au cours d'une autre instance, conformément aux dispositions du règlement d'arbitrage. 89 Cependant, la Cour d'appel de Paris réfuta le bien fondé de cette procédure en dé- montrant que : « cette décision a été tenue pour acquise par le tribunal arbitral ». En ce sens, les juges du fond reprochèrent aux arbitres de ne pas avoir exercé leurs fonctions, et notamment celle de trancher un litige. De plus, elle estima que la société Espagnole, consciente de son état d'impécuniosité, se retrouva dans l'impossibilité de faire valoir sa cause. Elle qualifia la mesure prise par le tribunal arbitral « d'excessive ». Par conséquent, les magistrats parisiens démontrèrent que le tribunal arbitral avait privé le défendeur de son droit d'accès à la justice comme en témoigne l'attendu de principe : « l'atteinte au droit d'accès à la justice et au principe d'égalité entre les parties justifie l'annulation de la sentence en application des articles 1502, 4° et 5° du code de procédure civile ». 90 De par cette solution, la Cour d'appel de Paris semble rendre une décision de prin- cipe. En effet, celle-ci repose essentiellement sur des principes fondamentaux. En annulant la sentence arbitrale pour violation du droit d'accès au juge et du principe d'égalité entre les 35 parties, les juges du fond ont fait implicitement application des dispositions de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention EDH. A ce titre, la juridiction du second degré précise que le droit d'accès au juge du défendeur fut bafoué dans la mesure où le tribunal arbitral l'empêcha de présenter ses demandes reconventionnelles, faute d'avoir financé les frais de provision correspondant. En somme, l'attendu de principe corrobore cette analyse : « le droit d'accès à la justice implique qu'une personne ne puisse être privée de la faculté concrète de faire trancher ses prétentions par un juge et estime que si des restrictions peuvent être apportées à l'exercice de ce droit, elles doivent être proportionnées aux nécessités d'une bonne administration de la justice ». La Cour d'appel poursuit le raisonnement en énonçant que « les juridictions arbitrales ne sont pas soustraites à l'application de ces principes ». 91 A la première lecture, les observateurs ne se sont pas insurgés contre la position dé- fendue par la justice publique, dans la mesure où il est tout à fait légitime que la justice arbitrale se soumette à un certain nombre de principes procéduraux ayant pour finalité de renforcer la conception d'un certain idéal de justice61. De ce fait, il existe une véritable proximité juridique entre la justice arbitrale et la justice publique. Celles-ci se doivent de répondre aux exigences posées par l'ordre public procédural afin de garantir aux plaideurs, une justice de qualité. En ce sens, Bruno OPPETIT disait que l'arbitrage et la justice étatique entretenaient d'étroites relations: «dualités de légitimités, mais communauté d'éthique et de fin, diversité de moyens, mais unité fonctionnelle »62. 92 Dès lors, il est indéniable que cette proximité entre les deux types de justice ait permis à la jurisprudence d'introduire le droit d'accès au juge, tel que prévu par la Convention EDH, dans l'arbitrage. En effet, la Convention EDH submerge l'ensemble des contentieux soumis à la justice publique depuis de nombreuses années. Les justiciables y font constamment référence. Elle est devenue en quelque sorte « la gardienne des droits fondamen- 61 COHEN David « justice publique et justice privée », Arch. Phil, Dr, T.41. Sirey, 1997, P149 et S. Spec.P.160. 62 OPPETIT Bruno « justice étatique et justice arbitrale », études offertes à P. BELLET, Litec, 1991, P. 415, à 426. 36 taux ». Ainsi, bien que l'arrêt présenté n'opère aucun renvoi à ladite convention, sa présence n'en fait pas moins l'ombre d'un doute63. 93 Concernant la violation du principe d'égalité entre les parties, la Cour d'appel de Pa- ris légitime son appréciation en évoquant la nécessité pour les arbitres de se soumettre au respect de l'ordre public procédural. Une justification quelques peu alambiquée, confirmant ainsi la présence sous-jacente de la Convention européenne des droits de l'homme. Au demeurant, la justice publique tend à intégrer le principe de l'égalité procédurale dans l'arbitrage au nom de la Convention EDH. 2) L'intégration du principe d'égalité des parties 94 En rendant cette décision, les magistrats de la Cour d'appel de Paris ont mis en exergue l'existence d'une violation du principe d'égalité des parties dans le procès arbitral. Refusant de se prononcer sur les demandes reconventionnelles formulées par le plaideur impécunieux, le tribunal arbitral a certes privé celui de son d'accès à la justice, mais il l'a également privé de son droit à se défendre. Ainsi, la Cour d'appel profita de cette occasion pour rappeler que la justice arbitrale ne pouvait ignorer certains principes fondamentaux, tel que le principe du contradictoire : « le respect de la contradiction exige que les parties soient placées en situation d'égalité devant le juge, et estime que tel ne serait pas le cas si le défendeur, autorisé seulement à répliquer aux prétentions adverses se trouvait privé de la faculté de soumettre au tribunal des demandes reconventionnelles liées par un lien suffisant de connexité aux demandes principales et de nature à lui permettre le cas échéant, sa libération par la compensation entre créances réciproques ». 95 Le postulat avancé par la Cour d'appel n'implique pas nécessairement une véritable révolution étant donné que le principe du contradictoire est communément invoqué pour faire annuler certaines sentences arbitrales. A l'instar de la justice étatique, l'arbitrage est tenu de garantir aux parties une véritable égalité de traitement. Ainsi, cette exigence correspond vulgairement au respect des principes du procès équitable. A ce titre, le professeur 63 JARROSSON Charles « L'arbitrage et la Convention Européenne des Droits de l'Homme », Rev, Arb, 1998.571. 37 OPPETIT souligne que : « La même philosophie de procès équitable imprègne les finalités et les principes d'organisation de toute forme de justice publique ou privée, contribuant ainsi à instituer la fonction de juger sur des bases communément acceptées et respectées »64. En outre, il est à noter que la Cour de cassation, depuis l'arrêt Lautour, considère que le procès équitable fait partie « des principes de justice universelle », et qu'il s'applique ainsi à tout type de justice65. 96 Par ailleurs, si l'on étudie avec précision le contenu de l'arrêt rendu, on peut claire- ment constater que la Cour d'appel débute son argumentation en exposant le fait que : «le respect de la contradiction exige que les parties soient placées en situation d'égalité devant le juge ». 97 En somme, le postulat avancé n'est pas inédit, dans la mesure où la justice étatique a toujours exigé que les arbitres se doivent de « juger et assurer eux-mêmes en conscience et sous leur responsabilité les conditions du « procès équitable » conforme aux principes généraux et fondamentaux du droit et, en tant que de besoin, aux dispositions de l'article 6 de la Convention EDH »66. 98 Pourtant, si l'on étudie en profondeur la motivation de l'arrêt rendu, on peut légiti- mement s'interroger sur la manière dont la Cour d'appel rattache le principe du contradictoire aux circonstances de l'espèce. Celle-ci nous donne l'impression que ledit principe ne serait entendu comme n'étant qu'un simple corollaire de l'égalité des armes67. En effet, ledit principe ne repose pas uniquement sur le contradictoire. Ainsi, les applications découlant du principe d'égalité des armes peine à trouver leur place dans l'arbitrage68. 64 OPPETIT Bruno « Théorie de l'arbitrage », PUF, 1998, P.117. 65 Cass. Ch. Civ. Sec. Civ, du 25 mai 1948, RCDIP 1949.89. Note Batiffol ; D1948.357. 66 CA Paris, 18 nov. 1987 : Rev. arb. 1988, p. 657, note Ph. Fouchard. 67 BOUCOBZA Xavier et SERINET Yves Marie « Les principes du procès équitable dans l'arbitrage international » Journal du droit international (Clunet) n° 1, Janvier 2012, doctr. 2. 68 GUINCHARD Serge et alii, « Droit processuel. Droit commun et comparé du procès équitable », op. cit. n° 620. 38 99 Généralement présenté comme étant le « le principe le plus fécond parmi les droits naturels de procédure »69, le principe du contradictoire est parfois employé de manière très originale. En ce sens, dans un arrêt « Ducto », la Cour de cassation a considéré au visa des articles 1502 et 1504 du code de procédure civile, et au visa de l'article 6 du code civil, que l'ordre public procédural impose que les parties soient en mesure de participer à l'élaboration du tribunal arbitral de manière totalement égalitaire : « le principe de l'égalité des parties dans la désignation des arbitres est d'ordre public ; qu'on ne peut y renoncer qu'après la naissance du litige »70. Pour autant, le principe d'égalité des armes est un principe autonome. A ce titre, son autonomie est reconnue par l'article 1510 du code de procédure civile qui dispose que : « quelle que soit la procédure choisie, le Tribunal arbitral garantit l'égalité des parties et respecte le principe de la contradiction». 100 Ainsi, les juges du fond dans l'arrêt du 17 novembre 2011, se livrent à une applica- tion particulière des principes de l'égalité des armes et du contradictoire. En effet, leur utilisation n'avait pas pour but de se joindre à l'un des cas d'annulation prévus par l'ancien article 1502 du code de procédure civile. Dès lors, la cour d'appel de Paris estime que le principe du contradictoire n'est pleinement respecté qu'à condition que les plaideurs se retrouvent sur un pied d'égalité, sans que leur situation financière ne puisse y contrevenir. C'est la raison pour laquelle, la Cour d'appel annula la sentence arbitrale au motif que : « tel ne serait pas le cas si le défendeur, autorisé seulement à répliquer aux prétentions adverses, se trouvait privé de la faculté de soumettre au tribunal des demandes reconventionnelles liées par un lien suffisant de connexité aux demandes principales et de nature à lui permettre d'obtenir, le cas échéant, sa libération par la compensation entre créances réciproques ». Par conséquent, la juridiction du second degré considère que le principe de l'égalité des armes doit s'analyser comme « une exigence de qualité des autres droits de la défense et, notamment, du principe du contradictoire »71. 69 HASCHER Dominique « Principes et pratiques de procédure dans l'arbitrage commercial international » : RCADI 2000, t. 279, p. 126. 70 Cass. 1re civ., 7 janv. 1992 : Bull. civ. 1992, I, n° 2 ; Rev. arb. 1992, p. 470, note P. Bellet ; JDI 1992, p. 707, concl. Flippo et note Ch. Jarrosson. 71 CADIET Loic, J. Normand et S. Amrani-Mekki, « Théorie générale du procès », 1re éd. : PUF 2010, § 175. 39 101 Au demeurant, la Cour d'appel Parisienne se servit de cette rupture d'égalité des armes entre les parties pour en déduire l'existence d'une violation du principe du contradictoire. De fait, celle-ci affina son propos en s'appuyant sur la nature « hybride » 72de la demande reconventionnelle. En effet, la demande reconventionnelle, objet de l'écueil juridique en l'espèce, est à la fois un moyen de défense et à la fois un moyen « d'attaque ». En d'autres termes, c'est une demande incidente émanant uniquement du défendeur qui se joint à l'instance. La demande reconventionnelle est admise par l'article 70 du code de procédure civile seulement s'il existe un lien suffisant qui l'unit à la prétention principale. Ainsi, la Cour d'appel en déduisit logiquement que si une demande reconventionnelle est juridiquement recevable au sein d'une procédure d'arbitrage, le tribunal arbitral est tenu de la déclarer recevable, eu égard aux conditions formelles imposées par le règlement d'arbitrage. 102 En ce sens, l'arrêt du 17 novembre 2011 est extrêmement important, car il vient re- définir le droit à la défense. La Cour d'appel considère que le droit de se défendre implique nécessairement un droit à « contrattaquer », d'où l'existence des demandes reconventionnelles. Bien évidemment, cette conception renvoie à des considérations bien plus techniques qui tendent, en droit interne, à opérer une véritable distinction entre les défenses au fond et les demandes reconventionnelles. Concernant les circonstances de l'espèce, il s'agissait d'un contentieux de l'inexécution contractuelle. Ainsi, les diverses prétentions formulées par les deux sociétés pouvaient s'analyser comme étant d'une part des exceptions d'inexécution ou d'autre part des contre-attaques sur le terrain indemnitaire73. 103 En définitive, l'arrêt rendu par les juges du fond invite les professionnels de l'arbitrage à prendre conscience qu'il existe un véritable droit d'accès à la justice dans l'arbitrage. De facto, les plaideurs doivent bénéficier des mêmes moyens afin de satisfaire les exigences du procès équitable. De la même manière, le principe du contradictoire doit régner en maitre sur la procédure, et ce, suivant les mêmes conditions qui existent dans la justice publique. 72 SOLUS Henry et PERROT Roger « Droit judiciaire privé, t. 1, Introduction. Notions fondamentales. Organisation judiciaire » : Sirey 1961, n° 320 et s., spéc. n° 325 et s. 73 BOUCOBZA Xavier et SERINET Yves Marie « Les principes du procès équitable dans l'arbitrage international » Journal du droit international (Clunet) n° 1, Janvier 2012, doctr. 2. 40 104 En somme, s'il est porté atteinte à l'ordre public procédural, l'arbitre n'a plus à se sentir lié par le règlement d'arbitrage. C'est la raison pour laquelle, le tribunal arbitral ne désirant pas se soumettre à l'application de ce principe, vit sa sentence annulée par la Cour d'appel de Paris. La limite à l'ordre public procédural s'oppose non pas au principe de l'arbitrage, mais bien aux conditions dans lesquelles il évolue. 105 Cependant, bien que l'arrêt de la Cour d'appel de Paris semble octroyer un droit d'accès au juge aux plaideurs impécunieux sans de véritables restrictions, la Cour de cassation saisie par la société Pirelli, décida dans un arrêt du 28 mars 201374, d'encadrer son champ d'application, en conditionnant le recours à l'ordre public procédural. En effet, l'ordre public procédural, sous l'influence massive de la Convention EDH, n'a pas à dénaturer l'essence même de l'arbitrage. B) Le respect conditionné de l'ordre public procédural 106 Les hauts magistrats restreignirent le champ d'application du droit d'accès à l'arbitre en exigeant que la demande reconventionnelle formulée par le plaideur impécunieux doit être « indissociable » de la demande principale (1). De par cette solution, la Cour de Cassation pose les limites du droit d'accès à l'arbitre en renforçant l'effectivité de la convention d'arbitrage (2). 1) L'analyse de la notion d'indissociabilité des demandes reconventionnelles 107 De par cette solution, la Cour de cassation démontre qu'elle n'est pas totalement indifférente aux observations formulées par une partie de la doctrine. En effet, celle-ci avait fait remarquer que le versement de provisions séparées permettait « d'éviter des demandes 74C.Cass, 1ère Civ, du 28 mars 2013, N° de pourvoi: 11-27770, FS P+B+I : JurisData n° 2013-005254, Bulletin 2013, I, n° 59 D. 2013. 929 ; Rev. arb. 2013. 746, note F.-X. Train ; JCP 2013. Act. 408, obs. J. Béguin, et 559, note J. Béguin et H. Wang ; Paris Journ. intern. arb. 2013. 479, note A. Pinna, et 585, note d'audience av. gén. P. Chevalier ; Procédures 2013. 189, note L. Weiller ; JCP 2013. Doctr. 784, § 4, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal. 30 juin-2 juill. 2013, p. 16, obs. D. Bensaude. 41 reconventionnelles extravagantes dans le seul but d'obtenir l'abandon du demandeur »75. Ainsi, certains plaideurs usaient de manoeuvres dilatoires en augmentant considérablement ses demandes de manière à ce que le coût de l'arbitrage atteigne des sommets. Pour autant, il n'est pas opportun de priver un plaideur impécunieux de son droit d'accès à la justice en l'empêchant de formuler des demandes reconventionnelles. De ce fait, la Cour de cassation, largement inspirée des conclusions présentées par l'avocat général Pierre CHEVALIER76, ne remit pas en cause le principe du droit d'accès à l'arbitre pour le plaideur impécunieux, mais y apporta quelques restrictions. 108 Pour ce faire, la Cour de cassation se pencha sur la nature juridique des demandes reconventionnelles formulées par la société Espagnole. En effet, décida de casser l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris en jugeant que : « Qu'en statuant ainsi, alors que, si le refus par le tribunal arbitral d'examiner les demandes reconventionnelles peut être de nature à porter atteinte au droit d'accès à la justice et au principe d'égalité entre les parties, c'est à la condition que celles-ci soient indissociables des demandes principales, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme il le lui était demandé, si tel était le cas en l'espèce, n'a pas donné de base légale à sa décision ». Ainsi, la juridiction suprême reproche aux juges du fond de ne pas avoir suffisamment cherché si les demandes reconventionnelles étaient « indissociables » des demandes principales. 109 A la lecture de cet attendu de principe, nous pouvons remarquer que la Cour de cas- sation invite la Cour d'appel à réévaluer l'indissociabilité des demandes, sans pour autant remettre en cause le principe du droit d'accès à l'arbitre. 110 Cette observation implique donc deux possibilités : soit la demande reconvention- nelle est dissociable de la demande principale, et elle n'a pas à être examinée par le juge car le défendeur garde la possibilité de se défendre via ladite demande principale, soit la demande reconventionnelle est indissociable de la demande principale et il est impératif que 75 PINNA Andréa « La confirmation de la jurisprudence Pirelli par la Cour de cassation et les difficultés pratiques de garantir au plaideur impécunieux l'accès à la justice arbitrale », Rev, arb, 2012/ C.F CLAY Thomas, COHEN, David, note préc. Spéc. P164-165. 76 DELPECH Xavier « Demande conventionnelle en matière d'arbitrage », dalloz actualité du 08 avril 2013. 42 les demandes soient analysées ensemble afin que les exigences posées par le droit au procès équitable soient satisfaites. 111 Tout le coeur du raisonnement juridique avancé par la Cour de cassation repose donc sur cette notion d'indissociabilité des demandes reconventionnelles. Pour autant, l'argumentation développée par la Cour de cassation nous laisse nécessairement en proie à quelques interrogations quant à la signification exacte de la notion d'indissociabilité. Celle-ci revêt un caractère totalement inédit77 et parait se distinguer de la notion de « lien suffisant » communément appliquée dans le cadre de la procédure civile française78. 112 S'il existe indéniablement des similitudes entre ces deux notions, il est à noter que la haute juridiction, en créant cette notion d'indissociabilité, éprouva le besoin de s'affranchir des acquis de la procédure civile. Cette création juridique n'est pas le fruit du hasard, quand bien même elle suscite de nombreuses interrogations quant à sa portée. En effet, le lien « suffisant » reconnu par le code de procédure civile ne correspond à la notion d'indissociabilité mise en oeuvre par la Cour de cassation. Par ailleurs, celle-ci ne semble pas non plus correspondre à la notion d'indivisibilité des demandes, telle que reconnue en procédure civile. 113 Néanmoins, comme le souligne Andréa PINNA, « il n'est pas à exclure que la condi- tion posée par la Cour de cassation puisse avoir un lien avec la catégorie des prétentions qui ont pour objet de « faire écarter les prétentions adverses » de l'article 564 du code de procédure civile »79. 114 Par conséquent, la Cour de cassation entend consacrer un droit d'accès à l'arbitre pour l'ensemble des parties à une procédure d'arbitrage, et ce, quelque soit leur situation financière. Pour autant, elle n'érige pas ce droit d'accès à la justice arbitrale en droit absolu. Ce dernier fait l'objet restrictions comme nous avons pu le constater via l'exemple des de- 77 WEILLER Laura « Retour sur l'effectivité du droit au juge arbitral » Rev. Procédures n° 6, Juin 2013, comm. 189. 78 Article 70 du code de procédure civile 79 PINNA Andréa « La confirmation de la jurisprudence Pirelli par la Cour de cassation et les difficultés pratiques de garantir au plaideur impécunieux l'accès à la justice arbitrale », Rev, arb, 2012, P463. 43 mandes reconventionnelles. Cette analyse nous apporte ainsi la preuve que la Cour de cassation est sensible à la cause de l'arbitrage et souhaite respecter la volonté des parties. C'est la raison pour laquelle, le maintien de la convention d'arbitrage est devenu le cheval de bataille des magistrats de la Cour de cassation. 2) Le maintien de la convention d'arbitrage 115 Le maintien de la convention d'arbitrage s'avère être indispensable dans la mesure où le problème de l'impécuniosité dans la justice arbitrale, peut émaner du demandeur lui-même. Cette hypothèse a pu se vérifier à l'occasion d'une affaire Lola Fleurs80. En l'espèce il s'agissait d'un fonds de commerce franchisé qui avait fait l'objet d'une cession de la part du gérant au profit d'un tiers. Cependant, le franchiseur, alors créancier du franchisé, s'opposa à la cession en contestant le prix de celle-ci. Cette opposition conduisit naturellement le cédant du fonds de commerce à saisir le tribunal de commerce de Paris. Ainsi, il contesta la licéité de la créance du franchiseur en démontrant qu'elle était issue de pratiques commerciales lésionnaires. 116 Contestant le recours formé devant la justice étatique, le franchiseur s'appuya sur la clause compromissoire présente dans le contrat de franchise, afin de soulever l'incompétence du tribunal de commerce. Le franchisé répondit à cette manoeuvre procédu-rale en formant un contredit de manière à contester le bien fondé de la convention d'arbitrage. A ce titre, il expliqua d'une part qu'il n'avait consenti à la convention d'arbitrage, dans la mesure où c'est la société mère qui l'avait signée, et d'autre part, que sa situation financière ne lui permettait pas de faire face au coût que représentait une procédure arbitrale. 117 Dès lors, le plaideur impécunieux se servit de la même argumentation qui avait été avancée par la société Espagnole Licensing Project dans le cadre de l'affaire Pirelli, à savoir l'existence d'une violation de son droit d'accès à la justice en vertu de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention EDH. Cette stratégie juridique avait le mérite d'être opportune, dans la mesure où la Cour d'appel Parisienne l'avait faite prospérer. 80 2. CA Paris, Pôle 1 - Chambre 1, 26 février 2013, SARL Lola Fleurs c/ Société Monceau Fleurs et autres, RG n°12/12953, ASA Bull. 4/2013, p. 900 44 118 Pourtant, la Cour d'appel Parisienne, dans un arrêt du 26 février 2013 en décida au- trement, faisant ainsi le choix de préserver l'efficacité de la convention d'arbitrage. Bien que la Cour de cassation dans son arrêt du 28 mars 2013 considère qu'une convention d'arbitrage peut être mise en échec en raison de l'existence d'une violation à l'ordre public procédural, la juridiction du second degré estima que l'article 6 paragraphe 1 de la Convention EDH ne saurait en faire de même, en cas d'une violation du droit au d'accès au juge. Selon elle, le risque de déni de justice dans l'arbitrage ne suffit pas à remettre en cause la convention, ainsi que l'effet négatif du principe compétence-compétence. 119 En ce sens, la Cour d'appel explique qu'il appartient aux arbitres et non au juge de garantir l'accès à la justice pour les plaideurs dont la situation financière semble être fragile : « le caractère manifestement inapplicable de la clause compromissoire ne saurait [...] se déduire de l'incapacité alléguée de Lola Fleurs à faire face au coût d'une telle procédure en raison de sa situation financière et au déni de justice qui en résulterait alors qu'il appartient en tout état de cause au tribunal arbitral de permettre l'accès au juge, un éventuel manquement de sa part sur ce point étant susceptible d'être sanctionné ultérieurement ». En outre, la référence implicite faite à l'article 6 paragraphe 1 de la Convention EDH ne fait pas, là aussi, l'ombre d'un doute. Les juges du fond procèdent une nouvelle fois à une application substantielle de ladite convention81. 120 Dès lors, le droit à la justice pour les plaideurs impécunieux pose question quant à son application pratique. Il est difficile de garantir un droit d'accès à la justice arbitrale sachant que la partie qui s'en prévaut n'a pas les moyens de la financer. De facto, cette situation contraint les centres d'arbitrage à commettre des dénis de justice, violant ainsi les grands principes de l'ordre public procédural82. 81 DE FONTMICHEL Maximin « L'accès à l'arbitrage de la partie impécunieuse », les petites affiches Chronique arbitrage, 403ème année, édition du 27 janvier 2014, n°19. 82 La lettre de la chambre arbitrale internationale de Paris, entretien avec Andréa PINNA, édito de novembre 2013 : « Dans quelle mesure les concepts de procès équitable, d'égalité des parties, d'accès au juge, voire de « droit à l'arbitre » trouvent-ils aujourd'hui leur place dans arbitrage ? Peut-on parler dans ce domaine d'un véritable « ordre public procédural » ? 45 121 En somme, La jurisprudence reste silencieuse sur la manière de traiter le problème de l'impécuniosité dans l'arbitrage. Celle-ci renvoie les centres d'arbitrage à leurs responsabilités, tout en les invitant à faire primer leur fonction juridictionnelle sur leur nature contractuelle. Paragraphe 2 Le renforcement de la fonction juridictionnelle du tribunal arbitral122 Au travers des différentes affaires Pirelli et Lola Fleurs, nous pouvons remarquer que la justice publique considère que l'impécuniosité de l'un des plaideurs en matière d'arbitrage n'est pas une cause suffisante pour remettre en cause la convention d'arbitrage. Toutefois, la Cour de cassation veille à ce que les arbitres garantissent l'accès à la justice pour l'ensemble des litigants. Ainsi, la juridiction suprême enjoint ces derniers de veiller au respect des droits du procès équitable dans la procédure arbitrale (A). Cette nouvelle mission impliquant nécessairement un renforcement de la fonction juridictionnelle des arbitres (B). A) L'arbitre : Un nouveau garant du procès équitable 123 L'arbitre est avant tout un juge. A ce titre, il doit rendre des décisions conformes à l'ordre public procédural. Pour autant, au regard des différentes affaires que nous avons été amené à étudier, il apparait clairement que les instances arbitrales n'ont pas véritablement cherché à ce que les sentences délivrées par leur soin, soient en parfaite adéquation avec les principes de l'ordre public procédural. C'est la raison pour laquelle, le juge étatique fut amené à exercer un contrôle a posteriori desdites sentences, sur les conséquences de l'impécuniosité des plaideurs au regard de l'ordre public procédural (1). Ce nouvel examen permit ainsi au juge de l'annulation d'investir les instances arbitrales d'une véritable mission de contrôle in concreto des circonstances de l'espèce, afin que les conséquences découlant d'un manque de ressources financières, ne nuisent pas aux principes du droit au procès équitable (2). 46 1) Le contrôle a posteriori des conséquences de l'impécuniosité 124 Au regard des différents arrêts rendu récemment, il apparait clairement que le risque de déni de justice découlant de l'impécuniosité de l'un des plaideurs en matière arbitrage, ne constitue pas une raison suffisante pour annihiler l'efficacité la convention d'arbitrage. De la même manière, les juridictions étatiques tiennent à renforcer le principe de l'effet négatif du principe compétence-compétence consacré par les articles 1448 et 1465 du code de procédure civile. 125 Ainsi, l'intervention du juge étatique doit se limiter à un contrôle a posteriori de la sentence arbitrale. Celui-ci est tenu de vérifier si la sentence rendue par l'arbitre est conforme aux exigences posées par l'ordre public procédural. Exigences que l'on retrouve par ailleurs au sein de la Convention EDH. 126 En instaurant un tel système de contrôle, la justice publique entend davantage res- ponsabiliser les arbitres, en les investissant d'une nouvelle mission : faire respecter les garanties fondamentales du procès. L'arbitre est donc le premier garant du procès équitable dans la justice arbitrale. Bien que la jurisprudence reste silencieuse sur la manière dont les tribunaux arbitraux doivent opérer pour garantir un accès à la justice aux plaideurs impécunieux, celle-ci adresse un message d'une grande clarté au monde de l'arbitrage : « Débrouillez-vous pour garantir aux parties impécunieuses un accès effectif à l'arbitrage et... rendez vous devant le juge de l'annulation »83. 127 En outre, cette solution adoptée par la justice publique suscite quelques interroga- tions quant au devoir incombant aux arbitres de garantir le droit d'accès à la justice arbitrale pour l'ensemble des plaideurs, quelque soit leur situation financière. En somme, si le risque de déni de justice ne suffit pas à remettre en cause la convention d'arbitrage, les arbitres sont tenus d'en altérer quelque peu le fondement, sous peine de voir leur sentence annulée 83 TRAIN François Xavier « Le contrôle a posteriori et in concreto des conséquences de l'impécuniosité d'une partie à l'arbitrage », note sous Cass. civ. 1re, 28 mars 2013 et Paris, Pôle 1 - Ch. 1, 26 février 2013, Rev. arb., 2013.746. 47 par le juge étatique. En effet, certaines stratégies procédurales consistant à faire considérablement augmenter le coût de l'arbitrage, sont en parfaite adéquation avec le règlement d'arbitrage. De sorte que les arbitres sont inéluctablement amenés à commettre des dénis de justice quand l'une des parties ne parvient plus à financer les frais de la procédure. De la même manière, l'impossibilité matérielle pour la partie adverse de se substituer à la partie impécunieuse pour le financement des frais de provision, entraine également des situations de déni de justice. L'arbitre se retrouve donc en proie à une difficulté de taille, à savoir de trouver un consensus entre le droit d'accès à la justice, et le respect de la force obligatoire du contrat. 128 Dès lors, en respectant scrupuleusement le contenu de la convention d'arbitrage, les arbitres ne pourront pas veiller au respect de certaines garanties fondamentales. C'est la raison pour laquelle ces derniers ont le devoir de l'écarter dans certaines situations dites exceptionnelles. A défaut, Le juge étatique sera amené à intervenir par l'intermédiaire d'un contrôle a posteriori de la sentence délivrée. Celui-ci agira en dernier ressort, dans le but d'une part, de garantir l'accès à la justice pour les plaideurs en difficulté, et d'autre part, de rétablir l'équilibre procédural. 129 Pourtant, ce mécanisme n'est pas réellement satisfaisant dans la mesure où le sort de la procédure arbitrale est abandonné aux mains de la justice publique. Le recours au contrôle a posteriori du juge étatique serait quasiment inéluctable dès lors que les arbitres seront amenés à se prononcer sur le sort d'une partie impécunieuse. 130 Par conséquent, le juge étatique, désireux de renforcer l'équilibre entre les parties, se doit de se livrer à une analyse in concreto des faits du litige qui lui est soumis. 2) Le contrôle in concreto des conséquences de l'impécuniosité 131 Le respect du procès équitable est avant tout une tâche qui incombe à l'arbitre. Ce- lui-ci est donc dans l'obligation de veiller à ce que l'ensemble des parties aient un droit d'accès effectif à la justice arbitrale. Il doit se livrer à une analyse in concreto de l'affaire qui 48 lui est présentée. A ce titre, nous pouvons une nouvelle fois nous appuyer sur la jurispru- dence Pirelli. 132 En effet, l'arrêt rendu par la Cour de cassation illustre parfaitement le fait que l'annulation de la sentence arbitrale repose la question de l'indissociabilité des demandes reconventionnelles. Dés lors, en faisant le reproche au tribunal arbitral de ne pas avoir suffisamment étudié la nature de celles-ci, la Cour de cassation rappelle aux arbitres qu'ils ont le devoir d'analyser de manière approfondie les circonstances de la cause présentée. Ce travail effectué en amont par les instances arbitrales a l'avantage de revaloriser la portée juridique des sentences arbitrales. L'exercice d'un tel contrôle tend à concilier les mécanismes procé-duraux propres à l'arbitrage, avec les exigences posées par l'ordre public procédural. 133 Par conséquent, la sentence arbitrale ne saurait être annulée que dans les cas où le tribunal arbitral aurait refusé de se livrer à l'exercice d'un tel contrôle. Il reviendrait donc au juge de l'annulation, par l'intermédiaire d'un contrôle a posteriori, de sanctionner la sentence. Cette solution semble être opportune à plusieurs égards, car elle donne la possibilité aux tribunaux arbitraux de renforcer l'effectivité de leurs décisions en se conformant aux exigences posées par le principe du procès équitable. 134 De la même façon, dans la jurisprudence Lola Fleurs, la Cour d'appel Parisienne invi- ta les arbitres à procéder à une analyse in concreto de l'affaire de manière à mettre tous les moyens en oeuvre pour garantir au demandeur impécunieux, un accès effectif à la justice arbitrale. Le refus de remettre en cause la convention d'arbitrage confirme la volonté des juridictions étatiques, de donner aux arbitres la mission de contrôler, de manière approfondie, le déroulement de l'instance arbitrale, afin que celle-ci soit en parfaite conformité avec les grands principes de l'ordre public international. 135 Néanmoins, malgré le fait que les tribunaux arbitraux ont l'obligation de procéder à une analyse in concreto des faits de l'espèce litigieuse, il n'en demeure pas moins que la question du devoir de l'arbitre, quant au problème de l'impécuniosité et du respect au droit d'accès à la justice, reste irrésolue. Cette réflexion nous amène donc naturellement à nous interroger sur les devoirs de l'arbitre. 49 B) Le renforcement des pouvoirs juridictionnels de l'arbitre 136 Insatisfaite des traitements réservés aux parties impécunieuses dans l'arbitrage, la justice publique tend à renforcer les pouvoirs juridictionnels des arbitres, dans l'optique de lutter contre le déni de justice économique. De fait, celle-ci redéfinit les devoirs de l'arbitre en insistant sur la recherche de la protection des droits fondamentaux des parties reconnus par l'ordre procédural (1). Néanmoins, mise à part l'annulation de la sentence en cas de défaillance, les juridictions étatiques restent silencieuses quant à l'existence d'une quelconque action en responsabilité contre les arbitres (2). 1) La place de l'arbitre au regard de l'ordre public procédural 137 De par les récents arrêts rendus par les juridictions étatiques Françaises, nous pou- vons constater que le droit d'accès à l'arbitre ne se résume pas à la « constitution organique de la juridiction arbitrale »84. En effet, l'existence de ce droit implique que les arbitres sont tenus d'examiner l'ensemble des prétentions alléguées par les parties, et cela, quelque soit leur situation financière respective. La justice publique tient à ce que les tribunaux arbitraux soient prêts à délaisser leurs intérêts économiques, afin de faire primer leur fonction première ; celle de rendre la justice. Si l'arbitre est bel et bien un prestataire de services, il reste avant tout investi d'une mission spéciale qui ne peut se limiter à de simples intérêts financiers. Bien évidemment cette vision de la justice arbitrale peut paraitre totalement utopique à bien des égards. 138 Pourtant, garantir le droit d'accès à l'arbitre pour le plaideur impécunieux s'avère être une contrepartie nécessaire à l'émergence croissante de la justice privée. En effet, dans la mesure où nous considérons que la justice arbitrale est une véritable justice au même titre que celle rendue par nos juridictions étatiques, il apparait indispensable que celle-ci soit 84 BOUCOBZA Xavier et SERINET Yves Marie « Les principes du procès équitable dans l'arbitrage international » Journal du droit international (Clunet) n° 1, Janvier 2012, doctr. 2. 50 en mesure d'apporter certaines garanties procédurales85. La conception Française de l'arbitrage s'inscrit parfaitement dans ce crédo, comme en témoigne par exemple le décret du 13 janvier 2011. A ce titre, Emmanuel GAILLARD constate que : « spécialement en matière internationale, une forme de justice autonome et suffisamment structurée pour que l'on puisse évoquer l'idée d'un ordre juridique arbitral »86. 139 Dès lors, il est tout à fait logique le droit d'accès au juge tel que prévu par l'article 6 paragraphe 1 de la Convention EDH s'incorpore dans ce modèle d'ordre juridique arbitral. Par conséquent, cette acception de la justice arbitrale peut légitimement mener les arbitres à délaisser la force obligatoire de la convention d'arbitrage, afin de préserver les principes du procès équitable. La justice publique se refuse à devoir considérer que l'arbitrage ne soit qu'une justice « de l'argent ». C'est la raison pour laquelle elle tend à démontrer que « le droit d'accès à la justice ne se monnaye pas »87. 140 En somme, le fonctionnement de la justice arbitrale ne saurait s'affranchir des grands principes qui gravitent autour de la justice étatique. Si l'une partie de la doctrine spécialisée avait milité pour la reconnaissance d'un ordre juridique arbitral, il n'en demeure pas moins que ce souhait semble aujourd`hui être plus que compromis. En ce sens, Bruno Oppé-tit avait remarqué que les principes des droits fondamentaux du procès faisaient véritablement partie de l'ordre public international, dans la mesure où il déclarait que ceux-ci « traduisent une exigence tout à fait fondamentale et universelle de bonne justice, de nature à imposer ses conséquences avec une force et une impérativité particulières, et non pas de simples règles de procédure dont la contingence ou le particularisme pourraient faire douter de leur appartenance à cet ordre public transnational, supérieur aux droits nationaux »88. 141 Au demeurant, que la justice arbitrale soit rattachée à un ordre juridique autonome ou non, la Cour de cassation considère que celle-ci se doit de répondre aux exigences du procès équitable. Le manque de moyens financiers pour l'une des parties dans une procé- 85 TRAIN François-Xavier, Gaz. Pal. 2005, 28 mai 2005, n° 148, p. 37. 86 GAILLARD Emmanuel, Aspects philosophiques du droit de l'arbitrage international : Martinus Nijhoff Publishers, 2008 ; ibid., Les principes fondamentaux du nouvel arbitrage in Le nouveau droit français de l'arbitrage, p. 57 et s., spéc. n° 5 et s. 87 BOUCOBZA Xavier et SERINET Yves Marie op. et loc. cit. 88 OPPETIT Bruno Obs : CA Paris, 25 mai 1990 : Rev. crit. DIP 1990, p. 753. 51 dure d'arbitrage ne saurait être une cause valable à la commission d'un déni de justice par les arbitres. Le résultat de la sentence ne peut se résumer à de simples intérêts mercantiles. C'est en ce sens que la Cour de cassation conçoit la mission juridictionnelle de l'arbitre. 142 A l'instar du principe de l'égalité des armes, le principe de droit d'accès à l'arbitre fait partie intégrante des principes généraux des droits de la défense lesquels sont issus du droit naturel89. Par conséquent cela revient à poser la question de la responsabilité des arbitres en cas de manquement à leur devoir de rendre la justice. 2) La question de la responsabilité de l'arbitre 143 Avec la jurisprudence Pirelli-Lola Fleurs, la Cour de cassation fait peser sur les ar- bitres un devoir de garantir l'accès à la justice à l'ensemble des parties qui se tournent vers l'arbitrage. Pour autant, cette injonction de faire adressée aux tribunaux arbitraux semble être dénuée de tout effet coercitif. En effet, si la haute juridiction prévoit l'annulation de la sentence en cas d'atteinte à l'ordre public procédural, elle s'abstient de se prononcer sur l'éventuelle mise en jeu de la responsabilité personnelle des arbitres. En s'appuyant sur la motivation de l'arrêt Pirelli, nous pouvons ainsi relever que la Cour de cassation entend sanctionner le tribunal arbitral pour son manquement à permettre l'accès à la justice. 144 Dès lors, la question de la responsabilité civile personnelle des arbitres doit se poser. Si l'arbitre est un prestataire de service, à quels risques s'exposent il lorsqu'il refuse de statuer ? Pour François Xavier Train, la jurisprudence récente traduit un effet de « subjectiva-tion du droit d'accès à la justice »90. En d'autres termes, cela signifie que si l'Etat est tenu de garantir l'accès à la justice pour l'ensemble de ses justiciables, l'arbitre l'est également, en vertu de l'existence d'une obligation contractuelle née de la convention d'arbitrage. Dans l'arbitrage, l'accès au juge est contractualisé. 89 MOTULSKY Henry « Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits de la défense en procédure civile » Mélanges Roubier, 1961, t. II, p. 175 et s. 90 TRAIN François Xavier « Le contrôle a posteriori et in concreto des conséquences de l'impécuniosité d'une partie à l'arbitrage », op. et loc. cit. P756. 52 145 En l'état actuel du droit positif, il s'avère impossible de se prononcer sur le contenu de cette obligation contractuelle. Pourrait-on imaginer que l'arbitre ne puisse se prévaloir de l'exception d'inexécution, dès lors que l'un des plaideurs se retrouverait dans l'impossibilité de s'acquitter des frais procéduraux ? 146 En définitive, le droit positif ne donne aucune réponse quant aux problématiques qui gravitent autour de la notion de droit à l'arbitre. Seuls les mécanismes de contrôle diligentés par les arbitres et les juges étatiques permettent d'en définir approximativement le contour. 53 |
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