A. Les arguments fondés sur la
légalité
S'interroger sur la juridicité d'une disposition,
impose à s'interroger au préalable sur son caractère
légal.
Olivier DUHAMEL et Yves MENY notaient dans leur
Dictionnaire constitutionnel que la légalité, c'est
« la conformité à la loi telle qu'elle est
établie par les organes habilités
»57. Notion de droit
administratif58, la légalité a
été étendue au champ constitutionnel et désigne la
conformité à l'ordre constitutionnel positif dans ses deux
aspects formel (procédural) et matériel (substantiel) : on parle
alors de légalité constitutionnelle ou
constitutionnalité59.
C'est donc ce principe de légalité qui explique
la vérité positiviste, selon laquelle le droit constitutionnel
présuppose toujours une Constitution en vigueur. En effet soucieux de
s'en tenir à la stricte description du droit
positif60, l'école
positiviste61, fonde l'appréhension de tout
autre droit sur la légalité constitutionnelle. D'après
donc Hans KELSEN, la disponibilité du droit n'a plus comme source des
contenus supra-positifs, comme c'était le cas du droit sacré,
mais, « le droit positif cultive son autonomie, en
57 DUHAMEL (O.) et MENY
(Y.), Dictionnaire constitutionnel, Paris,
PUF, 1992, p. 565.
58 En droit Administratif, la
légalité se définit comme la soumission de
l'Administration au droit. L'Administration impose son pouvoir à travers
les actes unilatéraux comme les lois, les décrets, les
arrêtés, etc. qui sont des actes de puissance publique par
excellence, dans ce sens qu'ils mettent en oeuvre le pouvoir d'Etat. La
légalité exige donc qu'une norme établie par
l'Administration, doive toujours être conforme à celles qui lui
sont supérieures.
59 FAVOREU (L.), cahier du
Conseil Constitutionnel, no 3, Novembre 1997.
60 Le droit positif est l'ensemble des
règles de droit en vigueur dans un pays à un moment donné.
Il est opposé au droit naturel et se réduit à une seule
dimension, occupant désormais la place de « moyen de gouvernance
». Voir MATEVA (M.),
Légitimité et légalité : considérations
(sur la Loi et la justice) à l'image de deux grands procès
politiques, Thèse de Doctorat en sciences économiques et
sociales, Université de Neuchâtel, 2006, p. 10.
61 « L'école positiviste »
désigne ici le positivisme juridique qui est une doctrine selon laquelle
le droit n'a pour source unique que la volonté du législateur
politique.
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Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
puisant sa validité dans ses propres ressources,
suivant une hiérarchie de normes où la Constitution est au sommet
»62.
Or, la première caractéristique d'une petite
constitution est de se situer le plus souvent en rupture par rapport à
l'ordre constitutionnel en vigueur. En effet la plupart des petites
constitutions permet la violation des conditions de production du droit
constitutionnel établies par le système juridique en vigueur.
Elles ne sont donc pas formées sous l'empire du droit existant dans
l'Etat63. Elles procèdent le plus souvent
des phénomènes révolutionnaires. En conséquence, il
n'est pas possible de se référer à une norme
constitutionnelle pour les analyser. Comme le note le Maître
d'école de Strasbourg Raymond CARRE DE MALBERG : « les
mouvements révolutionnaires et les coups d'Etat offrent ceci de commun
que les uns et les autres constituent des actes de violence et
s'opèrent, par conséquent, en dehors du droit établi par
la Constitution en vigueur. A la suite d'un bouleversement politique
résultant de tels événements, il n'y a plus, ni principes
juridiques, ni règles constitutionnelles : on ne se trouve plus ici sur
le terrain du droit, mais en présence de la force
»64.
Le positivisme juridique invite donc le constitutionnaliste
à exclure de son champ d'analyse le pouvoir constituant d' « ordre
extra-juridique »65, puisqu'il ne peut porter
son regard, au-delà de la Constitution où il ne subsiste plus que
du fait66.
C'est donc ainsi que le positivisme classique dénie
tout caractère juridique aux petites constitutions procédant d'un
phénomène révolutionnaire : un « pure fait qui
n'est susceptible d'être classé dans aucune catégorie
juridique »67, écrivait CARRE DE
MALBERG lui-même. « Il n'y a point de place dans la science du
droit public pour un
62 KELSEN (H.),
Théorie générale du droit et de l'Etat, (trad. de
Béatrice LAROCHE et Valérie
FAURE), Bruxelles, Paris, Bruylant, LGDJ, 1997, p. 178.
63 CARRE DE MALBERG (R.),
Contribution à la théorie générale de
l'Etat, op.cit., p. 491.
64 Idem, p. 496.
65 Révolution et coups d'Etat «
sont des procédés constituants d'ordre extra-juridique
», ibid., p. 497. A contrario, le pouvoir constituant d'ordre
juridique, c'est-à-dire l'acte politique qui modifie la Constitution
conformément à la procédure de révision qu'elle
prévoit, peut être étudié par le juriste. On
constate ainsi que la future distinction doctrinale entre « pouvoir
constituant originaire » et « pouvoir constituant
dérivé » est présente en substance sous la plume du
Maître strasbourgeois.
66 CARRE DE MALBERG (R.),
Contribution à la théorie générale de
l'Etat, op.cit. p. 500.
67 Idem, p. 491.
Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
chapitre consacré à une théorie
juridique des coups d'Etat ou des révolutions et de leurs effets
»68 poursuit-il.
La théorie positiviste, semble donc empêcher
l'attribution du caractère juridique aux petites constitutions, sur le
fondement de la légalité. Cependant cette dernière
constitue l'un des arguments, au côté de celui fondé sur la
légitimité.
B. Les arguments fondés sur la
légitimité
Hans KELSEN disait que « le fait brut que quelqu'un
commande quelque chose n'est jamais une raison suffisante de considérer
le commandement en question comme une norme valable, c'est-à-dire
obligatoire pour son adressataire »69.
Autrement dit, un acte de volonté ne peut jamais par lui-même
poser une prescription objectivement obligatoire, c'est à dire produire
du droit positif. Il faut nécessairement qu'il soit accepté,
c'est à dire légitime. Ainsi l'ordre constitutionnel doit-il
être légitime.
La légitimité est donc liée à
l'acceptation volontaire de l'ordre normatif établi, par les membres
d'une société politiquement organisée. C'est sans doute la
qualité qui s'attache à l'ordre constitutionnel dont
l'idéologie et les sources d'inspiration font l'objet d'une
adhésion, du moins très majoritaire de la part du corps
social.
La notion de légitimité a cependant
été conceptualisée par certains grands maîtres de la
sociologie théorique et de la théorie de l'Etat, dont Max WEBER
représente incontestablement la figure de proue. Selon donc la
conception weberienne, la légitimité d'un ordre représente
le fondement de la relation sociale de domination et la garantie interne de sa
validité70. Ainsi pour que cet ordre
subsiste, WEBER estime que le corps social doit manifester une certaine
disposition à être dominé. La manifestation de cette
68 Ibid., p. 497.
69 KELSEN (H.), La
théorie pure du droit, 2ème éd., trad.
EISENMANN (C.), Paris, Dalloz, 1962 (1960),
p. 257.
70 Selon WEBER, la
validité de cette légitimité peut principalement
revêtir: un caractère rationnel reposant sur la croyance en la
légalité des règlements arrêtés et du droit
de donner des directives qu'ont ceux qui sont appelés à exercer
la domination par ces moyens (domination légale); ou un caractère
traditionnel reposant sur la croyance quotidienne en la sainteté de
traditions valables de tout temps et en la compétence de ceux qui sont
appelés à exercer l'autorité par ces moyens (domination
traditionnelle); ou encore un caractère charismatique reposant sur la
soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu
héroïque ou à la valeur exemplaire d'une personne
(domination charismatique). Voir WEBER (M.),
Economie et société, tome1, Paris, Plon, 1971, p.
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Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
volonté d'être dominé constitue donc le
« pacte social » dont l'ordre établi n'est que la
traduction.
En effet la Constitution est la traduction du « pacte
social par lequel les individus abandonnent l'état de nature pour fonder
la société politique »71.
Les clauses de ce pacte devaient donc être l'expression du consentement
de toutes les parties à la convention. Ainsi, la Constitution est-elle
l'expression de la volonté du souverain qui se trouve être le
corps social, qui l'approuve généralement par la voie
référendaire. Par conséquent, 'il ne peut y avoir de
Constitution que celle qui fait participer le peuple à sa
procédure d'adoption.
Cependant, l'on doit relever que la procédure
d'adoption des petites constitutions ne répond pas, dans la plupart des
cas, à ce formalisme qui veut que la Constitution soit adoptée
par le peuple. Le plus souvent, les petites constitutions sont
négociées et adoptées par des composantes et
entités qui ne sont pas formellement mandatées par le peuple,
mais par des forces politiques. Donc, ici, le peuple n'est pas le souverain
constituant des lors qu'il « n'a exprimé aucune volonté
normative », pour paraphraser Olivier
CAYLA72
Or, le pouvoir constituant, un pouvoir
générateur d'un nouvel ordre constitutionnel au sein de l'Etat,
doit être un pouvoir inconditionné et
illimité73. Il doit être, a
priori, omnipotent en ce qu'il ne peut, selon l'éminent
constitutionnaliste VEDEL, « être lui-même soumis à
aucune limitation juridique »74. C'est un
pouvoir que le peuple exerce en intervenant soit en amont, pour élaborer
le projet constitutionnel, directement ou indirectement par le biais des
représentants qu'il a
désignés75, soit en aval pour
approuver la Constitution.
71 MBODJ
(E-H.) « La constitution de
transition et la résolution des conflits en Afrique : l'exemple de la
République démocratique du Congo », RDP 2010,
no 2, p. 441.
72 CAYLA (O.), « Le
Conseil constitutionnel et la constitutionnalisation de la science du
droit», in Le Conseil constitutionnel a quarante ans, Paris,
LGDJ, 1998, p. 106.
73 MBODJ
(E-H.) « La constitution de
transition et la résolution des conflits en Afrique : l'exemple de la
République démocratique du Congo », op.cit. p. 448.
74 VEDEL (G.), Manuel
élémentaire de droit constitutionnel, 1984 pp. 114-115.
75 DUVERGER faisait remarquer qu' «
en pratique le mode normal d'établissement des Constitutions, c'est
donc l'élection d'une assemblée spéciale dite
assemblée constituante » Il considère en effet qu'une
Assemblée constituante qui établirait une Constitution niant la
souveraineté nationale et proclamant la légitimité
monarchique détruirait la source même de son pouvoir et rendrait
nulle, pour ainsi, sa Constitution. Il en est de même du monarque qui
octroierait à son peuple une charte reniant la légitimité
monarchique et proclamant la souveraineté nationale. DUVERGER
(M.), Droit constitutionnel et
Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
C'est ainsi que la doctrine positiviste arrive à la
conclusion, qu'il ne peut avoir de Constitution que celle acceptée par
la nation. Les petites constitutions ne remplissant pas les
caractéristiques primaires d'une Constitution « normale »,
compte tenu de la mise à l'écart du peuple lors de leur processus
d'élaboration et d'adoption, les positivistes dénient donc toute
possibilité de leur conférer un caractère juridique.
Cependant, certains auteurs n'adhérant pas à la
théorie positiviste et s'intéressant à la
légitimité du phénomène révolutionnaire, ont
émis des pistes pouvant conduire à affirmer la juridicité
de ces actes en tant que catégorie juridique
hétérodoxe.
§ 2. L'AFFIRMATION D'UNE CATEGORIE JURIDIQUE
HETERODOXE
Selon une partie de la doctrine, les petites constitutions
pourraient être des normes juridiques particulière (A), dont la
force juridique doit être précisée (B).
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