PARTIE I.
LA CONCEPTION JURIDIQUE DES PETITES CONSTITUTIONS
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Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
Les petites constitutions ont fait l'objet d'études
théoriques assez sporadiques par le
passé52. Pourtant, ces textes
soulèvent des questions multiples, interrogeant tout
particulièrement la théorie constitutionnelle.
Etudier un texte qui précède l'adoption de la
Constitution définitive, oblige tout d'abord à s'interroger sur
son caractère juridique. Cependant, la situation de rupture dans
l'ordonnancement juridique, à la suite de laquelle surviennent le plus
souvent les petites constitutions, laisse présager une contradiction
avec la notion même de juridisme.
En effet, vouloir appréhender le juridisme des petites
constitutions, supposerait de réintroduire leur effectivité dans
le domaine du droit en dehors de toute relation d'imputation, puisque la chaine
de validité, propre à déterminer leur caractère
juridique ou non, est rompue53. C'est ainsi que
l'appréhension des petites constitutions procédant le plus
souvent d'une rupture révolutionnaire ou d'un heurt frontal avec l'ordre
juridique en vigueur par la science du droit, alimente une vive controverse au
sein de la doctrine.
Par ailleurs, étant donné que ces textes se
distinguent de la Constitution définitive, il est inévitable, en
outre, de s'interroger sur leur fonction. En effet, l'incertitude qui
accompagne les ruptures juridiques, laisse poindre la nécessité
de création d'un nouvel ordre juridique dont un texte provisoire fixera
les modalités de production. Les petites constitutions constituent donc
un support de l'avènement d'un nouvel ordre juridique.
Il apparait, alors suffisamment important de déterminer
les caractéristiques juridiques des petites constitutions et de mesurer
leur rôle dans l'élaboration du nouvel ordre juridique à
travers leur juridicité (chapitre I) et leurs fonctions (chapitre
II).
52 BEAUD (O.), La
puissance de l'Etat, Paris, PUF, 1994, op.cit., pp. 267-302;
ZIMMER (W.), « La loi du 3 juin 1958 :
contribution à l'étude des actes pré-constituants »,
RDP, 1995, op.cit., pp. 383-411.
53 CARTIER (E.), « Les
petites Constitutions : contribution à l'analyse du droit
constitutionnel transitoire » op.cit., p. 521.
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Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
Chapitre I.
La juridicité des petites constitutions
Traiter de la juridicité des petites constitutions
semble être une entreprise a priori osée voire illusoire
en raison de la contradiction, à tout le moins, de l'opposition
virtuelle entre le factuel et le juridique qui caractérise la
notion54.
Est-il donc possible, sans tomber dans une analyse vaine et
stérile, d'appréhender la juridicité d'un fait ? Car
à creuser l'analyse, la nature des petites constitutions supposerait la
détermination délicate d'une frontière entre le factuel et
le juridique55. Une telle réflexion n'est
donc pas aisée pour tout chercheur, animé de la plus belle des
passions qui soit56.
Cette difficulté est révélatrice d'un
débat doctrinal sur la nature juridique des petites constitutions
(section I). Cependant en prenant en compte le contexte particulier des
périodes de transition, elles constitueraient, de par leur objet, de
véritables Constitutions. D'où l'importance d'analyser leur
valeur constitutionnelle (section II).
SECTION I. UNE NATURE JURIDIQUE DISCUTEE
La question de la de la juridicité des petites
constitutions divise la doctrine. En effet les discussions sur la nature
juridique des petites constitutions opposent les contestataires d'une nature
juridique orthodoxe (§ 1) et les tenants d'une catégorie juridique
hétérodoxe (§ 2).
54 Voir EHUENI MANZAN
(I.), Les accords politiques dans la
résolution des conflits armés internes en Afrique, Thèse
de Doctorat en Droit, Université de Cocody-Abidjan, 07 décembre
2011, p. 252.
55 Emmanuel CARIER disait que : «
les petites Constitutions correspondent donc à ces deux
hypothèses, selon qu'elles adoptent ou non une forme constitutionnelle.
Elles supposent la détermination délicate d'une frontière
entre le factuel, ou la force, qui relève de la sociologie et de
l'histoire, et sa mise en forme juridique par un acte ». Voir
CARTIER (E.), « Les petites
Constitutions : contribution à l'analyse du droit constitutionnel
transitoire » op.cit., p. 522.
56 Nous adhérons entièrement
à la conception hégélienne qui résume que «
rien de grand ne s'est accompli dans ce monde sans passion »,
in leçon sur la philosophie de l'histoire, librairie
philosophique J. VRIN, 1837.
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la Tunisie et du Togo.
§ 1. LA CONTESTATION D'UNE NATURE JURIDIQUE
ORTHODOXE
Tout ordre juridique constitutionnel se définit
à partir de deux notions, lesquelles constituent les fondements majeurs
des arguments des contestataires d'une nature juridique orthodoxe des petites
constitutions : il s'agit de la légalité (A) et de la
légitimité (B).
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