INTRODUCTION
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Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
S'il est, de nos jours, une interrogation qui traverse avec
constance et véhémence la science du droit constitutionnel dans
la résolution des conflits et crises
politiques1 en Afrique, comme partout ailleurs dans
le monde, sur fond d'incertitudes juridiques et institutionnelles, c'est bien
celle de la sortie de crise2 par la mise sur pied
d'un instrument, destiné à assurer la continuité des
pouvoirs publics et permettant la transition3 des
ordres juridiques. Cet instrument, c'est les dispositions à
prétention constitutionnelle, connues sous le vocable de « petites
constitutions »4.
Ces petites constitutions constituent un objet de recherche
théorique nouveau. En réalité, il y a
d'intéressants travaux réalisés récemment sur le
continent africain qui abordent cette question des petites constitutions, mais
la problématique n'est pas épuisée. En effet, les auteurs
qui se sont intéressés à la question, l'ont traité
de manière restrictive. D'où l'intérêt de la
présente contribution, qui se propose de revisiter la thématique
essentielle, en Afrique notamment, d'une normativité politique «
apprivoisée » par le droit.
Cependant, l'entreprise n'est pas sans écueil. Le sujet
est en effet difficile en raison des contours flous de la notion de «
petite constitution » qu'il importe de définir.
Le nom « petite constitution », attribué pour
la première fois à la Constitution polonaise de 1919, a dans un
premier temps été conceptualisé en France par Marcel
PRELOT, qui l'appliqua à la loi constitutionnelle du 2 novembre
19455 avant de développer le concept dans son
Précis d'institutions politiques et de droit constitutionnel
en1961. Limitée
1 Même si une crise politique est un
conflit qui naît entre la classe politique, et une crise juridique celle
liée soit à l'interprétation de la Constitution ou
à son silence, on voit mal la frontière entre les deux. Une crise
juridique est nécessairement politique et vice versa.
2 Voir en ce sens MANDJEM
(Y. P.), « Les Gouvernements de
transition comme site d'institutionnalisation de la politique dans les ordres
politiques en voie de sortie de crise en Afrique », Revue africaine
des relations internationales, Vol. 12, no1 & 2, 2009, p.
81.
3 La transition peut être
définie comme un processus, un mouvement qui permet de quitter un
état donné pour en atteindre un autre. L'intérêt de
la transition est la réalisation de ses objectifs à
l'achèvement du processus de passage. Cependant dans le cadre de la
présente étude, la transition s'entend de la période qui
se situe entre la fin d'un ordre juridique et l'instauration d'un nouvel
ordre.
4 L'adjectif « petite» ne se
rapporte pas à la dimension du texte, mais à son horizon
temporel. À titre d'exemple, la petite constitution Sud-africaine
comporte quinze chapitres, deux cent cinquante et une sections et sept
annexes.
5 Le Gouvernement Provisoire de la
République Française, formé à Alger le 3 Juin1943
prévoit, en dehors des formes prévues par les lois
constitutionnelles de 1875, la convocation du peuple français en vue de
choisir entre le rétablissement des lois constitutionnelles de 1875 et
l'investissement d'une Assemblée constituante élue le même
jour mais dont l'encadrement de la compétence est laissé au
peuple français avec le cas échéant du texte formellement
constitutionnel provisoire, promulgué le 2 Novembre 1945.
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Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
cependant par celui-ci, à des normes formellement
constitutionnelles investissant un gouvernement de
fait6 dans le cadre d'un « régime
semi-constitutionnel »7, la notion de
petite constitution fut élargie, plus tard, par le professeur PFERSMANN
aux normes « provisoires8, parfois
même formalisées, souvent uniquement matérielles,
intermédiaires entre la Constitution révolue et la Constitution
future encore au stade de projet »9. De
cette définition, s'impose une précision.
Très souvent les auteurs utilisent d'autres
appellations pour désigner les petites constitutions. Il s'agit entre
autres de « pré-constitution
»10, « Constitution provisoire
»11 « Constitution intérimaire
»12 ou « Constitution
transitoire »13. Il convient donc
d'opérer une distinction essentielle de ces termes qui peuvent
paraître des synonymes. A cet effet, la présente étude
considère les termes « pré-constitution » et
« Constitution provisoire » comme celles qui permettent de
décrire au mieux le phénomène des petites constitutions en
mettant en exergue leur fonction de relais14 entre
deux ordres juridiques. Quant aux
6 Selon la définition
généralement admise par la doctrine « on entend par
gouvernement de facto, un gouvernement créé soit en contradiction
avec la constitution existante, soit ipso facto dans le cas de non existence
d'un ordre Etatique préalable. L'originalité du gouvernement de
fait tient donc à ce qu'il exerce l'autorité gouvernementale en
l'absence de tout fondement constitutionnel. Il s'oppose au gouvernement de
jure où le pouvoir se trouve exercé conformément à
un statut préexistant ». BURDEAU
(G.), Traité de sciences politiques,
Paris, LGDJ 1969, T4, P. 610.
7 PRELOT (M.),
Précis de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1949, p. 307 et
s. ; Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris,
Précis Dalloz, 1ère éd. ,1961 , 6e
éd. , 1975, pp. 290-291 et 523.
8 L'adjectif « provisoire » est une
évolution du terme juridique « provision », datant du XVe
siècle. Ce n'est qu'à l'époque de la révolution que
le terme provisoire est en entré dans le langage courante.
AMSELEK (P.), « Enquête sur la
notion de provisoire », RDP, n°1, 2009, pp. 7-9.
9 PFERSSMANN (O.), in
Louis FAVOREU et al., Droit constitutionnel,
Paris, Dalloz, coll. Précis Dalloz Droit public-Science politique, 2003,
p. 102 et s.
10 BEAUD (O.), La
puissance de l'Etat, Paris, PUF, 1994, p. 267 ; ZIMMER
(W.), « La loi du 3 juin 1958: contribution
à l'étude des actes pré-constituants », RDP,
1995, pp. 385 ; THUMEREL (I.), Les
périodes de transition constitutionnelle, Thèse de Doctorat
en Droit public, Université Lille 2- Droit et santé, 2008, p.
32.
11 En doctrine, cette appellation a
été utilisé par le Doyen VEDEL en 1949,
en se référant à la loi française du 2 novembre
1945 portant organisation provisoire des pouvoirs publics. Voir VEDEL
(G.), Droit constitutionnel, Paris, Sirey,
1949, pp. 273-275.
12 Emmanuel CARTIER utilise cette appellation
en désignant la petite constitution sud-africaine de 1993, voir
CARTIER (E.), « Les petites
Constitutions : contribution à l'analyse du droit constitutionnel
transitoire» Revue française de droit constitutionnel,
2007/3 n° 71, p. 518.
13 PECH (L.), « Les
dispositions transitoires en droit constitutionnel», RRJ, 1999,
p. 1412.
14 Emmanuel CARTIER parle d'un «
système juridique relais » qui « a comme fonction
première de définir un cadre normatif provisoire destiné
à assurer, dans l'attente de l'adoption d'une Constitution
définitive, la continuité de l'activité juridique de
l'Etat ». CARTIER (E.), « Les
petites Constitutions : contribution à l'analyse du droit
constitutionnel transitoire », op.cit., p. 523.
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appellations « Constitution intérimaire
» et « Constitution transitoire », les termes ne
sont pas appropriés. D'une part le mot « intérimaire »
évoque l'idée d'assurer, pendant un temps prévu, une
fonction dont on n'est pas titulaire15.
L'intérim étant prévu par l'ordre juridique en vigueur, le
texte intérimaire assure donc la continuité de celui-ci alors que
les petites constitutions procèdent d'une rupture avec cet ordre.
D'autre part, les normes transitoires ont pour fonction d'aménager
progressivement l'entrée en vigueur d'un dispositif définitif
déjà édicté alors que, les petites constitutions
adoptées dans la phase de transition constitutionnelle ont justement
pour but d'organiser l'élaboration d'une Constitution définitive
qui n'existe pas encore. Ainsi les petites constitutions seront-elles
observées dans le cadre de cette étude comme des «
Constitutions de transition » et non des « Constitutions transitoires
». Les deux termes se recoupent largement mais ne se recouvrent
pas16.
Cette précision sur la notion de petite constitution
semble donc rejaillir sur le concept même de « Constitution »
qu'il convient malgré tout de définir.
Il faut dire que, l'unanimité est faite autour de la
reconnaissance de la Constitution comme étant « le fondement de
l'Etat, la base de l'ordre juridique »17.
Cependant le concept de Constitution est diversement apprécié par
les auteurs selon qu'on la conçoit formellement ou
matériellement. Ainsi Raymond CARRE DE MALBERG enseignait-il que la
Constitution au sens formelle désigne un instrument «
énoncé dans la forme constituante, par l'organe constituant
et qui par la suite ne peut être modifiée que par une
opération de puissance constituante et au moyen d'une procédure
spéciale de révision »18.
Aussi, Pierre PACTET écrivait-il que « la Constitution au sens
matériel encadre la dévolution et l'exercice du pouvoir public
»19. Cette distinction entre le formel et
le matériel est aussi fort observable au niveau des petites
constitutions.
15 Voir en ce sens VILLIER
(M.), Dictionnaire du Droit Constitutionnel, 4e
éd. Armand Collin.
16 Si toutes les « Constitutions
transitoires » sont des « Constitutions de transition »,
l'inverse n'est pas forcément vrai ; parce-que certaines normes de
transition sont adoptées dans l'attente d'une décision
définitive qui n'existe pas encore alors que les normes transitoires
sont adoptées pour assurer la mise en oeuvre progressive d'une norme
définitive qui existe déjà.
17 KELSEN (H.), « La
garantie juridictionnelle de la constitution», RDP 1928, p.
206.
18 CARRE DE MALBERG (R.),
Contribution à la théorie générale de
l'Etat, T.2, Paris, Sirey, 1922, p 571 et s.
19 PACTET (P.),
MELIN-SOUCRAMANIEN (F.), Institutions
politiques et droit constitutionnel, 27e éd., Paris,
Armand Colin, 2009, p. 63.
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En effet formalisées, elles sont en règle
générale des Constitutions de sortie de crise
élaborées dans la perspective d'une Constitution
définitive respectant certains principes de base et adoptées par
une assemblée constituante20. Au sens
matériel, elles sont considérées comme un ensemble de
règles concernant l'organisation et le fonctionnement des pouvoirs
publics à la suite d'une rupture totale ou partielle avec l'ordre
juridique en vigueur. Les petites constitutions au sens matériel du
terme, ne réalisent cependant la
structuration21 de l'ordre juridique, qui est l'une
des fonctions essentielles de toute Constitution, que sur un plan
infra-constitutionnel et selon un faible degré de formalisation. Elles
sont donc par conséquent, facteur d'insécurité
juridique.
Or, la plupart des petites constitutions ne sont pas
édictées en la forme constitutionnelle, mais relèvent le
plus souvent de plusieurs actes de formes différentes. C'est pourquoi la
question de leur juridicité22 alimente une
vive controverse au sein de la doctrine23. C'est
donc à cette phase de leur définition qu'une idée sur leur
fonction doit être faite.
On distingue cependant trois catégories de petites
constitutions subdivisées en deux grands groupes du point de vue de leur
fonction.
D'abord, il y a le groupe des petites constitutions dont la
fonction est de préparer l'adoption d'une Constitution définitive
suite à l'abrogation de la Constitution en vigueur, le plus souvent
après une révolution24 ou un coup
d'Etat25. En effet le succès de
20 En Afrique du sud par exemple le processus
a consisté à dresser un ensemble de trente-quatre principes
intangibles annexés à la petite constitution adoptée en
1993, sur la base desquels la Constitution définitive, finalement
adoptée en 1996, fut élaborée, sous le contrôle de
la Cour constitutionnelle. Sur cette question et les problèmes
juridiques qu'elle pose, voir HOURQUEBIE
(F.), « La diffusion du constitutionnalisme en
Afrique du Sud: une analyse à travers la décision de la Cour
constitutionnelle du 6 juin 1995 portant inconstitutionnalité de la
peine de mort» p. 3 ; DREYFUS (F.),
« La Constitution
intérimaire d'Afrique du Sud », RFDC
no 19, 1994, p. 468.
21 Elle consiste en la détermination
de relations d'ordre entre les parties d'un tout qui justifie l'unité de
l'ensemble. L'unité procède ainsi du double rapport
qu'entretiennent les parties entre elles et avec le tout. En droit, elle
correspond à la forme des relations qu'entre- tiennent les normes
à l'intérieur d'un même système juridique. Du point
de vue positiviste, l'agencement hiérarchique de plusieurs types de
règles définit, indépendamment du contenu de ces
règles, l'existence d'une structure.
22 Cette problématique rejoint la
question classique de l'existence et de la nature du pouvoir constituant dit
« originaire » auquel l'école positiviste classique
dénie tout caractère juridiquement appréhendable.
23 La doctrine en général est
perçue comme l'ensemble de notions considérées comme
vraies et par lesquelles on prétend fournir une interprétation
des faits, orienter ou diriger l'action de l'homme dans différente
matière scientifique.
24 La révolution, selon le Lexique de
termes juridiques, est le soulèvement populaire contre le régime
en place.
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l'insurrection, du coup de force, du coup d'Etat ou de la
guerre subversive26 amène la disparition de
l'ordonnancement en vigueur. La Constitution est abrogée et tout acte
s'y rattachant est désormais sans valeur. On observe alors une situation
juridiquement curieuse où le régime régulier
antérieur est prolongé par un régime de fait. Ce dernier
édicte alors des petites constitutions en vue de l'adoption d'une
Constitution définitive. C'est le cas notamment des Constitutions de
crise (Chartes de transition et Actes de conférences nationales)
après les insurrections et les guerres subversives ; et des
déclarations unilatérales de nature martiale après les
coups d'Etat.
Ensuite, il y a le groupe des petites constitutions dont la
fonction est de pallier les insuffisances ou les lacunes de l'ordre
constitutionnel déjà existant. En effet les acteurs politiques
recourent assez fréquemment à des accords ou arrangements
politiques pour régler les problèmes juridiques ou politiques
nés de la Constitution en vigueur. Ces arrangements qui font partie de
ce que la doctrine a appelé le « conventionnalisme politique
», sont dans une perspective stratégique, devenus de
véritables instruments de résolution de crises et conflits
politiques en Afrique.
Au demeurant, quel que soit leur catégorie, les petites
constitutions remplissent une triple fonction étalée dans une
triple dimension (passé, présent et futur), qui rend
essentiellement compte de leur identité. D'abord par rapport au
passé, elles opèrent une rupture avec l'ordre juridique
précédent. Ensuite par rapport au présent, elles
organisent à titre provisoire les rapports entre les pouvoirs publics.
Enfin par rapport au futur, elles attribuent et organisent le pouvoir
constituant27. Un texte qui, seulement,
établit une rupture avec l'ordre juridique précédent et
organise à titre provisoire les rapports entre les pouvoirs publics,
n'est donc pas une petite constitution au vrai sens du
terme28. Ce dernier
25 Pour une étude du
phénomène de coup d'Etat en Afrique voir VIGNON
(Y. B.), « Le coup d'Etat en
Afrique noire francophone », in les voyages du droit,
Mélange en l'honneur de Dominique BREILLAT, Paris,
LGDJ, 2011, pp. 613-620.
26 La guerre subversive se définit
tout simplement comme un conflit armé qui renverse ou détruit
l'ordre établi.
27 Le pouvoir constituant, selon le Lexique
de termes juridiques, est le pouvoir qualifié pour établir ou
modifier la Constitution. Il y a ainsi le pouvoir constituant originaire (celui
qui s'exerce d'une manière inconditionnelle pour doter un Etat d'une
Constitution alors qu'il n'en possède pas), et le pouvoir constituant
dérivé (celui qui s'applique à la révision de la
Constitution déjà en vigueur, selon les règles
posées par elle.
28 C'est le cas par exemple de la Charte
Nationale de Transition adoptée le 16 novembre 2014 au Burkina-Faso.
Cette charte qui encadre la gestion du pouvoir politique pendant la
période de transition qui suit le
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ne peut alors revendiquer que le titre moins prestigieux de
« petites constitution a minima
»29. Mais, dans la présente
étude, cette distinction « petite constitution » - «
petite constitution a minima », ne sera pas observée avec
rigueur.
Dès lors, l'usage de dispositions provisoires sous la
forme de petite constitution permettant le passage d'un ordre juridique
révolu ou contesté vers celui qui a vocation à être
mis en place de manière définitive, a pris depuis quelques temps
une part non négligeable dans la théorie constitutionnelle en
Afrique. En effet, Nées d'un fait grave dans l'histoire
constitutionnelle de la France30, ces petites
constitutions s'imposent comme une catégorie fonctionnelle du «
droit constitutionnel moderne africain ». Elles essayent, de
systématiser au fil du temps, l'approche conceptuelle d'un droit des
périodes de transition.
renversement du régime de Blaise COMPAORE
n'envisage pas expressément la construction d'un nouvel ordre
constitutionnel. C'est également le cas de l'Accord Politique Global du
20 août 2006 qu'on ne peut que considérer comme une feuille de
route constitutionnelle au service des acteurs politiques au Togo.
29 KPODAR (A.) et
KOKOROKO (D.), « Réflexion autour
d'une controverse politique : la nature
juridique de l'Accord Politique Global du 20 août 2006
», focus Info, no 126 du 28 janvier au 11 février 2015,
pp. 4-5.
30 Le 6 juillet 1789, l'Assemblée
nationale réunit un comité chargé de rédiger une
constitution et adopte le 3 septembre 1789 un décret concernant les
bases fondamentales de la constitution, destiné à assurer la
continuité des pouvoirs publics et à fixer les principes que doit
mettre en oeuvre la future constitution du royaume de France. Cet acte est
adopté en la forme d'un décret simple, en violation des
règles de production des lois fondamentales du royaume. Il
définit les conditions de production de la première constitution
formelle de la France, adoptée par l'Assemblée le 3 septembre
1791 et acceptée par le roi le 13.
De même, par le décret du 10 Août 1791,
l'Assemblée législative prononce, en dehors des formes
prévues par la constitution de 1791, la suspension du roi et du pouvoir
exécutif et prévoit la convocation d'une nouvelle convention
nationale. Le Sénat conservateur de l'empire établit le
1er Avril 1814 un gouvernement provisoire « chargé
de pourvoir aux besoins de l'Administration et de présenter au
Sénat un projet de constitution qui puisse convenir au peuple
français » et prononce avec le corps législatif, le 3
Avril, la déchéance de NAPOLEON et de sa famille
avant d'appeler LOUIS XVIII au trône par un
décret du 6 Avril.
C'est par un procédé similaire que les chambres
prévues par la Charte de 1814 proclament le 3 Août 1830 la vacance
du trône de CHARLES X et convoquent le Duc
d'Orléans, auquel est confié le gouvernement provisoire avec le
titre de « Lieutenant général du royaume » avant
d'adopter une nouvelle Charte à laquelle celui-ci prête serment,
en dehors de la Charte de 1830.
En 1848, la chambre des députés,
confrontée aux mouvements révolutionnaires et réformistes
ainsi qu'à l'abdication de Louis-Philippe en faveur du
jeune compte de Paris, nomme à la régence la Duchesse de NEMOUR.
Celle-ci doit accepter, sous la pression des événements, la
formation d'un gouvernement provisoire qui se présente au peuple de
Paris avant de dissoudre la chambre afin de permettre l'élection d'une
Assemblée constituante en dehors des formes prévues par la Charte
de 1830.
Selon la même logique mais cette fois à
l'initiative d'autorité de fait, le gouvernement provisoire de 1870,
formé par « acclamation » convoque le peuple français
à des élections générales dans le but de terminer
la guerre. L'Assemblée issue de ces élections s'auto-investira de
la compétence constituante en dehors de la procédure de
révision prévue par la constitution de l'Empire.
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Un droit matériellement constitutionnel pour la plupart
et procédant le plus souvent d'une rupture révolutionnaire ou
d'un heurt frontal avec l'ordre juridique en vigueur. Ce qui oblige à
légitimer les petites constitutions, en Afrique, en tant que mode
alternatif de projection vers un ordre juridique que l'on voudrait en parfaite
harmonie avec le temps et la réalité des forces
politiques31.
En effet, dans le cas spécifique des Etats africains,
l'observation des cycles constitutionnels débouche sur un constat. A de
rares exceptions près, les Constitutions ont une durée de vie
relativement courte. Le professeur Maurice AHANHANZO-GLELE, reconnaissait
à cet effet que : « l'Afrique adopte, remet en cause, suspend,
abroge puis renouvelle la Constitution
»32. Au demeurant, cette fluctuation est
symptomatique d'un tourbillon de crises qui semble remettre en cause les vertus
proclamées du nouveau constitutionnalisme33,
qui a pris son envol dans le cadre des transitions démocratiques des
années 199034.
L'Afrique est donc depuis quelques années
fragilisée par d'interminables antagonismes qui restent liés
à la démocratisation. Ils sont de plusieurs ordres et
d'intensités variables. Il s'agit parfois de crises politiques ou de
conflits armés provoquant simplement la déstabilisation du
système politique ou de l'Etat lui-même. Lorsqu'ils
éclatent, ces antagonismes remettent en cause la stabilité
politique des Etats et compromettent l'application de la Constitution en
vigueur. Les Constitutions qui doivent être en adéquation avec
l'ancrage de l'idée de droit qui fonde les valeurs d'une
société dans la durée, deviennent à leur tour,
source d'inquiétude de dysfonctionnement des institutions, et au pire
des cas, de véritables poudrières
dégénérant, au moindre mouvement, en crise
cristallisée par des conflits armées. Pour expliquer ce paradoxe,
Moussa ZAKI estime que « l'urgence et la nécessité qui
ont rythmé les Constitutions africaines de deuxième
31 ZAKI (M.), « Petite
constitution et droit transitoire en Afrique », RDP 2012-6-008,
no6, p 1667.
32 AHANHANZO-GLELE (M.),
« La Constitution ou loi fondamentale », Encyclopédie
juridique de l'Afrique, T 1, Abidjan, NEA, 1982, p. 33.
33 DU BOIS GAUDUSSON (J.),
« Défense et illustration du constitutionnalisme après
quinze ans de pratique du pouvoir », in le renouveau du droit
constitutionnel, Mélange en l'honneur de Louis
FAVOREU, Paris, Dalloz, 2007, p. 609.
34 La quasi-totalité des Etats
d'Afrique subsaharienne francophone a connu un processus de transition dans les
années 1990. Cette vague de démocratisation résulte d'une
conjonction de facteurs tant externes qu'internes tels que : l'effondrement du
bloc soviétique et le durcissement de la conditionnalité
démocratique perceptible dans le discours de la Baule.
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Mémoire Master II - Les petites constitutions en
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génération, sont incompatibles avec les
enjeux et les nouveaux défis auxquels devraient faire face des Etats en
proie à des crises souvent profondes : construction et consolidation
à la fois de l'Etat de droit, de la démocratie et de la paix,
enjeux qui nécessitent une stabilité juridique et
institutionnelle, avec des Constitutions qui s'inscrivent dans la durée
»35. Mais les études
consacrées aux périodes de crises induites par l'inadaptation des
textes constitutionnels (notamment les périodes des conférences
nationales des années 1990), et les changements anticonstitutionnels de
gouvernement (à travers les coups d'Etat), se sont d'avantage
penchées sur la transition
démocratique36 (le pluralisme politique et
l'amélioration des régimes de libertés) que sur la
transition des ordres juridiques. Le recours à un instrument «
relais », permettant d'organiser « une transition en douceur
»37, dans le cadre d'un processus
réfléchi et concerté, entre l'ordre juridique
révolu ou contesté, et l'ordre juridique attendu, s'avère
donc nécessaire. D'où l'importance des petites constitutions dans
la consolidation du nouveau constitutionnalisme en Afrique.
Cependant, la grille d'analyse des récentes pratiques
du droit constitutionnel en Afrique révèle des dérives
inquiétantes dans l'utilisation d'une catégorie de petite
constitution notamment les arrangements politiques ou accords politiques. En
effet, si ces derniers doivent avant tout, être interprétés
comme des actes politiques conjoncturels de sortie de crise, il n'en demeure
pas moins vrai qu'ils constituent en même temps une forme de menace au
constitutionnalisme en Afrique. Le professeur Jean DU BOIS DE GAUDUSSON ne
déclarait-il pas que « le constitutionnalisme africain est
victime de ces nouveaux usages »38? Pour
sa part, après avoir relevé que « la portée de
ces accords conclus entre acteurs politiques, en dehors du pouvoir constituant,
contraste fort bien avec la valeur constitutionnelle qui leur est
conférée dans la pratique
»39, le professeur Joël AIVO arrive
à la conclusion que « dans bien des cas, comme celui en
Côte d'Ivoire des accords de
Linas-Marcoussis40, d'Accra, de Pretoria
et de Ouagadougou, l'application de
35 ZAKI (M.), « Petite
constitution et droit transitoire en Afrique », op.cit., p.
1669.
36 CONAC (G.), L'Afrique en
transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993, 517 p.
37 ZAKI (M.), « Petite
constitution et droit transitoire en Afrique », p. 1669,
op.cit.
38 DU BOIS DE GAUDUSSON
(J.), « Défense et illustration du
constitutionnalisme en Afrique après quinze ans de pratique du
pouvoir», op.cit., p. 621.
39 AIVO (F.
J.), « La crise de normativité de la constitution
en Afrique », RDP 2012, no 1, op.cit., p
143.
40 KPODAR (A.), «
Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels
posés par l'accord de Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 »,
RRJ-Droit prospectif, 2005, no 4-II, pp. 2503-2526.
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Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
ces instruments prime sur la Constitution
»41, et par conséquent «
l'on se trouve en présence de textes neutralisant des dispositions
constitutionnelles ou prévoyant des révisions de
fond42 alors même qu'ils n'ont ni
force de loi ni valeur constitutionnelle
»43. Le complexe de la «
politique saisie par le droit »44
a-t-il cédé le pas à une revanche de celle-ci ?
C'est donc, à la tentation d'ouvrir une nouvelle
réflexion sur les voies et moyens de consolidation du
constitutionnalisme face aux crises multiformes que traversent les Etats
africains, du fait d'une approche contestable de la Constitution, qu'à
juste titre, notre modeste contribution se propose, à partir des
exemples concrets, d'analyser ces instruments.
Au regard de tout ce qui précède,
l'interrogation centrale de la présente étude sera celle de la
pertinence et de l'intérêt des petites constitutions dans la
recherche de solution durable à la crise de constitutionnalisme à
laquelle sont confrontés les Etats africains. Celle-ci n'est que la
résultante d'une série de questionnements qui peuvent être
résumés en ces termes : comment évaluer si ces
dispositions prescriptives qui consacrent la fin de l'ordre juridique
précédent et déterminent l'avènement de l'ordre
juridique futur, ou bien, qui modifient en profondeur l'ordre juridique
existant, ont bien une valeur juridique ? Cela revient à poser la
question préalable de savoir si les périodes d'interrègne,
situées entre la fin d'un ordre constitutionnel et l'entrée en
vigueur d'un nouvel ordre, peuvent donner lieu à un ordre juridique
globalement efficace et sanctionné ?
Il faut dire que la période d'interrègne est la
phase de structuration de la future Constitution. Elle correspond à une
phase a-constitutionnelle45 puisqu'elle est
pré-constitutionnelle, si l'on veut s'en tenir à la
théorie pure du droit46 de l'éminent
juriste
41 AIVO (F.
J.), « La crise de normativité de la constitution
en Afrique », p. 143, op.cit.
42 MELEDJE (F.
D.), « Les révisions des constitutions dans les
Etats africains francophones. Esquisse de bilan », RDP 1992,
no 1, pp. 111-134.
43 AIVO (F.
J.), « La crise de normativité de la constitution
en Afrique », op.cit., pp. 143-144.
44 DU BOIS DE GAUDUSSON (J.)
« Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique
après quinze ans de pratique du pouvoir », in Le renouveau du
constitutionnalisme, Mélange en l'honneur de Louis
FAVOREU, op.cit. pp. 609-627.
45 C'est-à-dire une phase
dépourvue d'une loi fondamentale servant de soubassement au pouvoir et
déterminant son organisation ainsi que les conditions de son
exercice.
46 KELSEN (H.),
Théorie pure du droit, Editions Bruylant, LGDJ, d'après
l'édition originale de 1962, 1999, pp. 224-237.
Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
Hans KELSEN, qui a tant imprégné notre culture
juridique. Ce dernier avec certains auteurs dont Raymond CARRE DE MALBERG,
estiment en effet que le Droit n'existe que dans la norme et qu'il
répond à une logique propre fondée sur l'idée de
validité ; « chaque degré de l'ordre juridique
constituant un ensemble et une production de droit vis-à-vis du
degré inférieur, et une reproduction du droit vis-à-vis du
degré supérieur »47 Mais, aussi
attrayante soit-elle pour les juristes, cette « pureté
»48 du droit ne semble guère
satisfaisante pour toute la doctrine. En effet, selon d'autres auteurs comme le
Doyen DUGUIT, dans un contexte aussi spécifique que celui d'une
situation post révolutionnaire ou post conflictuelle (comme c'est le cas
des Etats objet de notre étude), il ne paraît convaincant ni de
ramener le Droit à la seule règle juridique comme le veut KELSEN,
ni de l'extraire de son contexte politique et social. Il paraît donc
essentiel de nourrir l'explication du Droit, d'éléments
contextuels, conduisant ainsi à une redéfinition du concept
même de droit constitutionnel et de son objet d'étude, afin de
mieux appréhender et comprendre le phénomène des
révolutions et par ricochet le phénomène des petites
constitutions49. C'est ainsi que DUGUIT et d'autres
auteurs ont émis des pistes permettant l'appréhension des petites
constitutions comme étant des normes juridiques.
Dès lors, face aux difficultés d'ancrage du
constitutionnalisme dans les Etats africains, l'utilisation des petites
constitutions peut constituer une solution dans la construction d'un ordre
juridique durable50. En effet comme l'illustrent
les cas des Etats témoins de la présente étude, les
petites constitutions assurent l'adéquation de la Constitution
définitive au contexte socio-politique des Etats. Cependant, le choix
des Etats consacrés à cette étude obéit à
des considérations relatives d'une part, à la diversité de
catégorie des petites constitutions existant sur le continent, et
d'autre part, à la diversité des vagues de processus de
transition51 déclenchées sur le
continent. Toutefois la présente étude essayera
d'établir
47 KELSEN (H.), « La
garantie juridictionnelle de la Constitution », RDP, 1928,
op.cit., p. 200.
48 Le mot « pureté » est
utilisé ici en faisant référence à l'expression
« théorie pure du droit » utilisée par
KELSEN.
49 Le Doyen DUGUIT avait une
conception sociale du « droit » que KELSEN n'avait
pas. Il est donc la clé, pour ramener les phénomènes
révolutionnaires, que KELSEN et CARRE DE
MALBERG rejetaient, dans la science du droit. La présente
étude se servira donc de DUGUIT comme la clé qui
permet l'appréhension des petites constitutions dans la science du
droit.
50 ZAKI (M.), « Petite
constitution et droit transitoire en Afrique », op.cit., p.
1671.
51 Il s'agit notamment de la vague des
transitions démocratiques des années 1990 et de la vague des
révolutions du monde arabe de 2011 appelées : « le printemps
arabe ».
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Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
des parallèles chaque fois que cela est
nécessaire avec d'autres Etats africains ayant adoptés des
petites constitutions.
L'étude des petites constitutions consacrée aux
Etats africains présente à cet effet un double
intérêt. Dans un premier temps, elle permet d'identifier et de
mesurer la capacité, des petites constitutions, à normaliser
l'ordre juridique des Etats en crise tout en enrichissant la théorie
constitutionnelle en Afrique. Dans un second temps, cette étude permet
d'illustrer les réflexions théoriques, en établissant,
à partir des cas étudiés, une typologie de ces textes,
pour mieux comprendre ce phénomène des petites constitutions.
Ce sont là, les idées essentielles que la
présente étude abordera pour relever la portée
réelle de ces instruments dans les Etats africains. Pour y parvenir,
cette étude mettra en orbite les caractéristiques de ces textes,
dans une approche théorique, à travers leur conception juridique
(Première partie), avant de s'appesantir sur leur aspect pratique dans
les Etats témoins, à travers l'étude de leur typologie
(Deuxième partie).
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