A. La formalisation de l'ordre juridique provisoire
La formalisation peut être définie en droit comme
un processus normatif permettant la structuration d'un ordre juridique
donné en aménageant les rapports de production et de
validité entre ses différentes
composantes107. La formalisation est donc
nécessaire à la cohérence de l'ordre juridique. Cependant,
le degré de structuration de l'ordre juridique dépend de la forme
adoptée par la petite constitution.
En effet adoptées en la forme infra-constitutionnelle
(cas des petites constitutions matérielles), les petites constitutions
comprennent un faible degré de formalisation. Ceci en raison des
circonstances qui bien souvent aboutissent à la concentration des
compétences normatives par un même organe. Ce faible degré
de formalisation favorise l'instabilité des contenus normatifs et se
traduit par une insécurité juridique propre à inciter les
autorités à clôturer le processus
transitoire108. Ainsi, les petites constitutions
matérielles ne permettent-elles qu'une structuration partielle de
l'ordre juridique auquel manque encore la détermination de la forme
constitutionnelle permettant la clôture du processus transitoire dans sa
dimension constituante.
Par contre, adoptées en la forme constitutionnelle (cas
des petites constitutions formelles), les petites constitutions opèrent
une différenciation formelle plus importante et suffisante entre les
normes infra-constitutionnelles109. En effet elles
déterminent les relations d'ordre entre les normes
infra-constitutionnelles d'un ensemble, justifiant ainsi l'unité de
l'ordre juridique. Cette unité procède alors du double rapport
qu'entretiennent les normes infra-constitutionnelles entre elles d'une part, et
avec l'ensemble d'autre part.
Cependant, du point de vue positiviste, l'agencement
hiérarchique de plusieurs types de règles, indépendamment
de leur contenu, est un mécanisme nécessaire de structuration
pré-
107 Selon Otto PFERSMANN, la
formalisation correspond à « une technique juridique qui
modifie la hiérarchie des normes et permet en même temps
d'organiser cette même hiérarchie », PFERSMANN
(O.), in Louis FAVOREU et al., Droit
constitutionnel, op.cit., p. 103.
108 Voir en ce sens JOUANJAN
(O.), « La suspension de la Constitution de 1793
», Droits n°17, La Révolution française et le
droit, 1993, p.125 et s.
109 Il en est ainsi des lois
constitutionnelles de 1875 ainsi que de la loi du 2 novembre 1945, mais pas des
actes édictés sur la base des actes constitutionnels du
maréchal PETAIN. Le maréchal
PETAIN, chef du gouvernement français de la
République, en s'autoproclamant « chef de l'Etat français
» par l'acte constitutionnel n°1 du 11 juillet 1940, s'investit de la
compétence constituante dont l'exercice ne nécessite pas d'autre
formalisme que sa propre signature selon la formule lapidaire
générique « Le chef de l'Etat décrète
».
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Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
constituante de l'ordre juridique naissant. Cette
intelligibilité pré-constituante est en effet nécessaire
à la compréhension du contenu et de la combinaison des
composantes de l'ordre juridique nouveau. Ainsi, parfois, de manière
à opérer rapidement une formalisation suffisante de l'ordre
juridique transitoire, gage de stabilité juridique, les organes au
pouvoir optent-ils pour la résurrection des textes constitutionnels
révolus, issus d'un régime considéré comme en
partie ou totalement légitime110. Les
petites constitutions formelles permettent donc la formalisation totale de
l'ordre juridique provisoire en déterminant de manière ultime les
modalités de production de ses composantes.
Cependant, qu'elles soient matérielles ou formelles,
les petites constitutions participent à la définition des
modalités de production de la Constitution définitive en
encadrant la procédure constituante.
B. L'encadrement de la procédure
constituante
L'adoption d'une nouvelle Constitution suppose toujours une
procédure constituante mettant en évidence l'intervention d'un
pouvoir constituant.
Par l'encadrement de la procédure constituante donc, la
petite constitution contribue en bonne partie à légitimer le
texte constitutionnel définitif. En effet par ses normes, elle
établit une procédure constituante, habilite le pouvoir
constituant, et parfois fixe des principes substantiels qui devront être
respectés par ce dernier. La petite constitution permet alors d'ancrer
la validation des actes du pouvoir constituant dans un système juridique
offrant une stabilité et une cohérence minimales propres à
assurer la confiance et l'ordre dans l'organisation des fonctions de l'Etat
dans la période de la transition.
Ainsi conformément à la petite constitution et
aux principes de légitimité sur lequel son action repose,
l'organe investi du pouvoir constituant complètera la structuration de
l'ordonnancement juridique en déterminant les conditions de production
de la Constitution définitive. La petite constitution est donc un
révélateur formidable de l'identité réelle du
110
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C'est le cas par exemple de la transition constitutionnelle en
Grèce après la chute du régime des colonels où la
Constitution de 1952 est remise en vigueur, amputée de ses dispositions
relatives à la forme monarchique du régime, par l'article 1er de
l'acte constitutionnel « A », dit « statutaire », du 1er
août 1974.40 Il en est de même pour l'Afghanistan à la chute
du régime des Talibans où le « gouvernement islamiste de
transition » formé en juin 2002 conformément aux accords
inter-afghans de Bonn du 5 décembre 2001, fonctionna selon les principes
de la Constitution de 1964 remise en vigueur début février 2002,
à l'exception des passages faisant référence à la
monarchie.
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Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
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la Tunisie et du Togo.
pouvoir constituant et de « la nature plus ou moins
libérale de la future Constitution
»111. Elle dévoile à cet effet
les stratégies mises en place par les autorités de la transition
pour générer dans les citoyens la croyance en la
légalité de la procédure. Cependant, ces stratégies
sont multiples mais quelques-unes retiendront notre attention :
La première stratégie consiste à donner
l'apparence qu'une partie de la procédure constituante est fondée
sur les normes de l'ordre juridique précédent. Il s'agit d'une
fiction tendant assurer l'obéissance des citoyens et donc
l'effectivité de l'ordre juridique créé. Ainsi, la
procédure constituante régie par la petite constitution
acquière une légitimité qu'elle transmet par ricochet
à la Constitution définitive.
La deuxième stratégie consiste à
ressusciter des textes constitutionnels révolus, issus d'un ordre
juridique précédent considéré comme
légitime, et de les modifier. Le texte constitutionnel
ressuscité, constitue de fait un texte nouveau, et notamment, une
Constitution provisoire fondatrice d'un nouvel ordre juridique. La croyance en
la légalité du texte que cette stratégie induit, alimente
en revanche la légitimité de la procédure constituante et
donc de la Constitution définitive qui sera adoptée.
Par ailleurs dans le cadre de la fondation des régimes
démocratiques, les petites constitutions adoptent encore d'autres
stratégies. En effet, en démocratie, la légitimité
de la norme constitutionnelle passe par l'attribution au peuple du pouvoir
constituant. En ce sens, les petites constitutions organisent des
procédures constituantes prévoyant parfois l'organisation d'un
référendum. Cela permet au peuple de se saisir du pouvoir
constituant, et génère dans les citoyens la croyance de pouvoir
limiter les rédacteurs du texte constitutionnel.
En outre l'élection au suffrage universel, d'une
assemblée constituante accorde au peuple la possibilité de
choisir ses propres représentants pour l'élaboration de la
Constitution définitive. La participation à l'Assemblée
constituante contribue de façon déterminante à produire
« un mouvement d'adhésion des citoyens indissociable d'un sentiment
de valorisation d'eux-mêmes »112, gage
de légitimité et d'effectivité de l'ordre constitutionnel
définitif.
111 BEAUD (O.), La
puissance de l'Etat, op.cit., p. 264.
112 ROSANVALLON (P.), La
Légitimité démocratique, Paris, Seuil, 2010, p.
21.
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Mémoire Master II - Les petites constitutions en
Afrique : essai de réflexion à partir des exemples de la
Côte d'Ivoire, de la République Démocratique du Congo, de
la Tunisie et du Togo.
En définitive l'encadrement de la procédure
constituante par les petites constitutions permet d'attribuer une apparence de
légalité démocratique à la procédure
constituante, et de pallier ainsi l'éventuel déficit de
légitimité113 du pouvoir politique
dont l'organisation est aussi assurée par la petite constitution.
§ 2. AU PLAN POLITIQUE : L'ORGANISATION DES
POUVOIRS POLITIQUES DE LA TRANSITION
Les petites constitutions assurent l'organisation des pouvoirs
politiques en période de transition en instituant un exécutif
régulier (A) et en déterminant l'organe législatif de la
transition (B).
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