CHAPITRE II. DE LA CONSTITUTIONNALITE DE L'ORDONNANCE
N° 15/081 DU 29 OCTOBRE 2015 PORTANT NOMINATION DES COMMISSAIRES SPECIAUX
ET COMMISSAIRES SPECIAUX ADJOINTS EN DROIT POSITIF CONGOLAIS.
L'ordonnance n° 15/081 du 29 octobre 2015 qui a
nommée les commissaires spéciaux et leurs adjoints devant
administrer les nouvelles provinces en attendant l'organisation des
élections des Gouverneurs et Vice-gouverneurs, avait suscité de
l'intérêt scientifique et des questions qui nous ont
déterminés à l'adopter comme sujet de notre Travail de Fin
de Cycle en vue de savoir si oui ou non elle respecte l'esprit et la lettre du
constituant du 18 février 2006.
Il va de soi que techniquement, il n'est pas évident
d'imaginer empiriquement une réponse à cette préoccupation
majeure ; d'où nous nous proposons d'utiliser l'approche
chère au professeur Jean Michel KUMBU KI NGIMBI qu'est
« le décollage
conceptuel ». Celle-ci nous conduira successivement
à identifier la cible de notre réflexion et c'est de là,
que découlerait des conséquences susceptibles de nous orienter
dans notre quête de vérité à ce sujet.
Apprécier la constitutionnalité d'un acte peut
dire deux choses pas très éloignées l'une de l'autre.
Premièrement, cela peut constituer à
l'appréciation formelle et matérielle de l'acte qui doit se
conformer à la Constitution, et secondairement, par la
vérification de la prévision constitutionnelle préalable.
Et c'est cette seconde hypothèse qui nous semble plus indiquer pour le
cas sous étude.
De ce fait, la question de notre travail pouvait
s'interpréter de la manière suivante : est-ce que le
constituant du 18 février 2006 avait-il organisé
l'avènement du numéro un (n°1) de l'exécutif
provincial par nomination, sur ordonnance du Chef de l'Etat ? Et
l'appellation « Commissaire
spécial » est-elle aussi prévue par la
Constitution pour ledit numéro un ?
A ce sujet, bien que d'actualité nouvelle, ces
questions font l'objet d'une controverse entre ceux qui soutenaient la
thèse de sa constitutionnalité (I) et ceux qui s'y opposaient
c'est-à-dire soutenaient la thèse de son
inconstitutionnalité (II).
SECTION I. THESE DE LA CONSTITUTIONNALITE DE
L'ORDONNANCE N°15/081 DU 29 OCTOBRE 2015.
Au sujet de l'ordonnance sous examen, beaucoup des penseurs
ont soutenu l'hypothèse selon laquelle, elle n'a en rien
énervé la Constitution du 18 février 2006, au contraire
elle l'a soutenue en lui permettant de réaliser ce qui était
constaté comme tard parmi les réformes majeures qu'elle avait
innovée. Et au secours de leur thèse, ils ont
évoqué la qualité du « garant du bon
fonctionnement des institutions », reconnue au Chef de l'Etat
à l'article 69 alinéa 3 de la Constitution, ainsi que
l'injonction faite au Gouvernement par la Cour Constitutionnelle
consultée par la CENI suite au cas de Force majeure
rendant impossible l'organisation de l'élection des Gouverneurs et des
Vice-gouverneurs des nouvelles provinces dans le délai de la loi, celle
de prendre des mesures ou dispositions transitoires exceptionnelles.
§1. LES RAISONS TIREES DE LA QUALITE DU GARANT BON
FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS ET DES SERVICES PUBLICS (ART.69 AL. 3 DE LA
CONSTITUTION).
L'article 69 alinéa 3ème sus
cité dit du Chef de l'Etat « qu'il assure par son arbitrage,
le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des Institutions
ainsi que la continuité de l'Etat (...) ».
Il ressort de la compréhension de cet article que le
Président de la République a entre autres rôles d'assurer
le bon fonctionnement des pouvoirs publics, des institutions et de la
continuité de l'Etat ; ceci revient à dire qu'à
chaque fois que ces trois concepts sont mis à mal, il se doit
d'intervenir pour empêcher les conséquences néfastes que
lesdites menaces présentent pour la survie de l'Etat.
Pour le cas échéant, les faits démontrent
que la réforme territoriale et administrative initiée par le
constituant du 18 février 2006 à l'article 2 de la Constitution
dans tous ces alinéas n'avait pas connu d'exécution au terme du
moratoire de 36 mois prévu précédemment à l'article
226 et modifié par l'article 1er de la Loi n° 11/002 du
20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution
de la République Démocratique du Congo qui prévoit
à ses alinéas 1er et 2ème ce qui
suit :
« Une loi de programmation
détermine les modalités d'installation de nouvelles provinces
citées à l'article 2 de la présente Constitution. En
attendant, la République Démocratique du Congo est
composée de la Ville de Kinshasa et de dix provinces suivantes
dotées de la personnalité juridique : Bandundu, Bas-Congo,
Equateur, Kasaï Occidental, Kasaï Oriental, Katanga, Maniema,
Nord-Kivu, Province Orientale et Sud-Kivu ».
Et que six ans après, la Loi de programmation n°
15/004 du 28 février 2015 déterminant les modalités
d'installation de nouvelles provinces fut promulguée pour y
remédier. Cette Loi prévoyait l'installation de nouvelles
provinces au plus tard le 27 juin 2015, à en croire le calendrier
d'installation.
Cependant, avant l'arrivée de ce terme, beaucoup des
mécanismes sont programmés par cette loi en vue de
matérialiser l'installation effective desdites provinces d'après
le calendrier ci-après suivant le chapitre II de la loi de
programmation intitulé DUCALENDRIER D'INSTALLATION :
Article 3 : L'installation de nouvelles Provinces et de
la Ville de Kinshasa se déroule en deux phases. La première
phase concerne les Provinces du Kongo Central, du Maniema, du Nord-Kivu, du
Sud-Kivu et la Ville de Kinshasa. La deuxième phase concerne les
Provinces du Bas-Uelé, de l'Equateur, du Haut-Katanga, du
Haut-Lomami, du Haut-Uélé, de l'Ituri, du Kasaï, du
Kasaï Central, du Kasaï Oriental, du Kwango, du Kwilu, du Lomami, du
Lualaba, de Maï-Ndombe, de la Mongala, du Nord-Ubangi, du Sankuru, du
Sud-Ubangi, du Tanganyika, de la Tshopo et de la Tshuapa.
Article 4 : La Ville de Kinshasa ainsi que les quatre
Provinces énumérées à l'alinéa 2 de
l'article 3 sont installées dès l'entrée en vigueur de la
présente Loi.
Article 5 : Dans les quinze jours suivant la promulgation
de la présente Loi et pour les besoins d'installation des Provinces
visées à l'Alinéa 3 de l'article 3 de la présente
Loi, sur proposition du Ministre ayant l'intérieur dans ses
attributions, un Décret délibéré en Conseil des
Ministres met en place une Commission par Province à démembrer,
à savoir Bandundu, Equateur, Kasaï Occidental, Kasaï Oriental,
Katanga et la Province Orientale.( Cette Commission comprend des
sous-commissions par nouvelle Province, en vue d'effectuer les
opérations relatives à leur installation.
La Commission a pour tâches de :
1. établir l'état des lieux de
la Province ;
2. dresser l'actif et le passif de la
Province ;
3. repartir, entre les nouvelles Provinces,
le patrimoine ainsi que les ressources humaines et financières.
Article 6 : La Commission est composée d'au plus
quinze membres à raison de trois membres par sous-commission
conformément à l'article 5 de la présente Loi. Elle est
dirigée par un haut fonctionnaire de l'Etat, actif ou honoraire,
jouissant d'une haute moralité et ayant une expérience
éprouvée en matière administrative et de la gestion de la
chose publique. Les membres de la Commission sont nommés par
Décret du Premier Ministre délibéré en Conseil des
Ministres, sur proposition du Ministre ayant l'intérieur dans ses
attributions.
Il ressort qu'à l'exécution dudit calendrier,
chaque commission doit présenter, dans les trente jours de sa
constitution, son rapport à l'Assemblée provinciale existante qui
en prend acte ; c'est l'opération qui enclenche le processus
d'éclatement de la province. Et que quinze jours après la
présentation du rapport, chaque Assemblée provinciale de la
nouvelle province se réunisse de plein droit en session extraordinaire
en vue de l'installation de son bureau provisoire.
La conséquence de ce mécanisme fut
l'éclatement théorique de la province, mais aux effets
dévastateurs réels parce que jusqu'audit éclatement,
beaucoup des préalables empêchaient l'organisation dans ces
nouvelles provinces, notamment : l'allocation des budgets par le
Gouvernement à la CENI, l'état de lieux du processus
électoral, la décision n°014/CENI/BUR/15 du 28 juillet 2015
portant réaménagement du calendrier de l'élection des
Gouverneurs et Vice-gouverneurs de nouvelles provinces, (...). Donc, de ce
récit noir la République s'est retrouvée dans une
configuration administrative où les anciens Gouverneurs des provinces
soumises à l'éclatement avaient démissionnés, les
nouvelles provinces n'en avaient pas non plus, toutes les Assemblées
provinciales existantes étaient éclatées et les nouvelles
n'avaient été installées.
Face à cette anarchie, qui tombe sous le coup de menace
contre les pouvoirs publics, les institutions provinciales et la
continuité de l'Etat tout entier, il était de bon aloi que le
Président de la République use de ces prérogatives
d'assurer la stabilité de ces provinces en perdition.
L'autre raison évoquée par les défenseurs
de la thèse de constitutionnalité de l'ordonnance sous
étude émane de la nature juridique de ladite ordonnance.
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