III.2. TYPOLOGIE DES PRATIQUES FRAUDULEUSES
Selon Kabeya Muana Kalala (2012), le terme corruption, dans le
cadre des marchés publics, est pris dans le sens didactique car il
s'agit simplement de tous les cas de fraude, de violation manifeste et surtout
intéressée de la procédure de passation et
d'exécution des marchés publics. Certaines de ces pratiques
correspondent à des infractions selon le code pénal. A titre
indicatif, les manquements évoqués peuvent concerner des cas de
concussion, de faux et usage des faux en écritures, de
détournement des mains-d'oeuvre, de rémunérations
illicites, de trafic d'influence, d'abstentions coupables.
Dans le cadre de ce travail, nous allons présenter, la
typologie proposée par Kabeya MuanaKalala, tout en nous
référant aux similitudes des pratiques frauduleuses
constatées sous d'autres cieux.
III.2.1. Pratiques frauduleuses dans le chef des PRM
1. Au niveau de la planification des
marchés
Pour une gestion efficace et efficiente des deniers publics,
la passation des marchés publics doit être planifiée et
programmée. Elle doit s'intégrer dans le cadre de
l'exécution du programme du Gouvernement. Dans son rapport analytique du
système de passation des marchés publics en RDC, la Banque
Mondiale fait le constat selon lequel : «la planification et donc la
programmation des marchés publics est actuellement inexistante en RDC en
dehors des marchés financés sur fonds
extérieurs11».
En effet, selon ce rapport les marchés sont
généralement initiés pour consommer les crédits
prévus dans la loi budgétaire au profit d'un ministère ou
d'une entité donnée. Aucun plan de passation des marchés
n'est disponible. Une des conséquences de ce manque de planification est
le recours presque systématique au gré à gré.
En outre, bien souvent les marchés publics sont
utilisés à des fins politiciennes ou électoralistes ou
même à des fins purement privées (Kabeya MuanaKalala,
2010). En ce qui concerne les marchés publics à financements
internationaux, généralement, ces marchés font l'objet de
planification, car ils permettent de mettre en oeuvre des projets dont les
activités sont bien définies. Malheureusement, certaines
pratiques frauduleuses se préparent justement à cette
étape. Certains experts des bailleurs chargés de monter les
projets
11 Affirmation de la Banque Mondiale, cité par KABEYA
MUANA KALALA « Etude sur la corruption lors de la passation et
de l'exécution des marchés publics en République
Démocratique du Congo », EISA- RDC, 2010, p 13
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ont tendance à orienter les attributions des
marchés à venir. Certaines études sont imposées
avec l'arrière-idée de les faire confier à un consultant
précis, souvent international. Ce type des marchés est souvent
confié à un expert international car bien des fois, ils
représentent la part du lion sous financement international et dont la
consultance est internationale est souvent imposée.
2. De la violation des règles de publicité
et de transparence
La publicité est une caractéristique très
importante dans la passation des marchés publics. Bien souvent, elle
constitue une des pratiques des fraudes la plus courante qui peuvent prendre
certaines formes non cumulatives :
- Une fausse publicité faite dans un journal. Le
journal étant payé pour procéder à l'insertion dans
une de ses éditions mais l'organisateur de l'adjudication rachète
tous les exemplaires de ladite édition. En conséquence une copie
du journal existe bien dans le dossier du marché, mais la
publicité n'a pas été faite.
- La publicité étant effective, mais le dossier
d'appel d'offres ou le cahier des charges n'est pas mis à la disposition
de candidats soumissionnaires. Le service auquel l'avis d'appel d'offre est
renvoyé pour l'achat du document ne fonctionne pas ou les agents y sont
toujours absents.
- La publicité peut être effective et le document
vendu, mais le jour du dépôt des offres, le service
concerné ne fonctionne pas délibérément. Le
soumissionnaire qui n'est pas dans le montage ne pourra jamais déposer
son offre.
- Les soumissions sont ouvertes frauduleusement avant la
séance officielle d'ouverture des plis en vue de permettre la
modification des offres des soumissionnaires que la commission veut favoriser.
Il s'agit en fait des cas grossiers de faux en écritures. Aussi, selon
R.B. ; (Kaolack, 2001), il arrive que le délai de limite de
réception des offres soit inférieur au nombre des jours
réglementaires pour qu'aucune entreprise ne puisse préparer
convenablement son offre.
- La publicité de pure forme. Bien souvent pour
favoriser certains clients, on insert volontairement l'avis d'offre dans les
journaux ou les revues qui ne sont généralement lues. Bien des
fois selon D.S. (Parakou, 2000), pour certaines offres au Bénin, il
arrive souvent que l'on crée certaines rubriques pour l'obtention de
certains documents qui prendrait plusieurs mois alors que l'offre ne peut
dépasser 20 jours.
3.
38
Le cas de conflit d'intérêt
Il arrive souvent que le soumissionnaire des marchés
publics (entrepreneurs, fournisseurs ou prestataire de services de
l'Administration) soit en même temps fonctionnaire, soit par le biais
d'une société écran, soit par le biais d'un membre de
famille ou d'amis.
Une autre variante est la création par les agents des
autorités contractantes des entreprises de sous-traitance ou des
fournisseurs des titulaires des marchés. Cette pratique se rencontre
dans les entreprises publiques. En fait, il s'agit d'une sous-traitante
forcée.
4. L'usurpation de qualité
Bien des cas des fraudes se manifestent par l'usurpation de
qualité où certains emprunts se font au nom d'autres entreprises
ou à l'usurpation de la dénomination d'autres entreprises ou
d'autres sociétés. Les administrateurs de la
société dont la dénomination a été
usurpée s'en rendent compte à l'occasion d'une convocation en
justice pour justifier l'avance reçue. Cette pratique se fait
généralement en connivence avec certains cadres ou agents de
l'entreprise considérée.
5. La violation des règles de
l'égalité
[a pratique de favoriser un soumissionnaire peut
découler de la volonté de l'acheteur de préférer
une marque déterminée. Souvent il arrive que les autorités
ou les responsables d'une entreprise donnent leur intention sur la marque
à acheter. Bien que cette exigence puisse parfois découler d'une
saine intention, c'est-à-dire, disposé d'une marchandise
performante et dont les qualités ont été
éprouvées par l'expérience (l'exemple des Kits
électoraux), elle constitue une voie vers la fraude. Elle pousse
à la connivence.
En conséquence, la concurrence sensée permettre
de choisir parmi les meilleurs, de pousser au gain qualitatif et au gain de
compétitive est biaisée.
6. Cas de marchés à consultation
restreinte biaisée
[a PRM constitue une liste restreinte avec des candidatures
fantômes ou jugés non conformes. Soit les candidats se retrouvant
sur la liste n'existent pas, soit encore qu'ils existent mais sont choisis
parce qu'ils ne peuvent justement pas faire le poids. Cette pratique est
courante en matière de recrutement des consultants individuels ou des
cabinets et des
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acquisitions des fournitures. Dans le cadre de la passation
des marchés des consultants, la PRM peut constituer une liste restreinte
déséquilibrée en défaveur de meilleurs
candidats.
Le cas où l'on doit recruter un cabinet de consultance,
il peut arriver que le responsable de la passation des marchés place la
barre de la qualification technique assez bas pour permettre au cabinet de
moindre envergure d'être qualifié pour l'analyse
financière, sachant que ce cabinet a beaucoup de chance de
présenter un moindre coût compte tenu de la différence de
la qualité, des charges supportées et de l'habituel niveau de
facturation des cabinets internationaux.
Aussi, l'insertion des cabinets de réputation
internationale à des fins crédibilasatrices du processus de
passation est un biais de manière subtile. Lorsque le responsable de
marché propose un candidat à qui il donne des indications au
concerné sur les documents constitutifs du dossier, le format
exigé et la manière d'établir le C.V. Kabeya M K, selon
les témoignages reçus, affirme qu'en RDC deux pratiques sont
souvent mises en oeuvre : (i) cas où les factures pro forma sont
carrément monnayées par les autres entreprises ou données
en reconnaissance des services rendus ou à rendre et (ii) au cas
où les autres factures ou offres proviennent des sociétés
inexistantes : celui qui exécute le montage du marché
établit des offres sur entête différentes.
7. La fausse correction d'erreur ou de
redressement
Pendant le dépouillement et les analyses des offres, il
est permis au comité d'évaluation des offres de corriger les
erreurs arithmétiques contenues dans les offres (bordereau des prix) ou
de procéder aux ajustements des prix desdites offres. Par ce biais,
certains membres desdits comités d'analyse modifient à la hausse
les propositions financières de soumissionnaires en vue de
dégager le montant de leur commission.
Certains accords illicites entre entrepreneurs et
décideurs engendrent le versement d'un pot de vin. Il est
généralement admis que les commissions soit de l'ordre de 10% du
montant global et sont versées par les soumissionnaires des
marchés lorsqu' »ils retirent l'avance de démarrage. Au vu
du caractère strictement oral du contrat, la confiance joue un
rôle déterminant et oblige les parties à s'y conformer
rigoureusement12.
12 Témoignage d'un entrepreneur
Sénégalais habitant la ville de Kaolack qui a souhaité
l'anonymat, voire Blundo, 2007
8.
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Le trafic d'influence
Certains marchés ont été
attribués sur base des injonctions des autorités politiques ou
sur base des accointances entre les titulaires et les autorités
politiques. Ils prétextent la nécessité de favoriser les
entreprises locales ou nationales. Dès par leur rang, les gestionnaires
des crédits ont souvent une influence certaine sur les membres du
Conseil des Adjudications qui sont des Secrétaires
Généraux. Pour montrer la non traçabilité de la
procédure, un coup de téléphone passé sans trace
règle l'opération.
9. La faiblesse au niveau de la transparence de
certaines procédures
Dans les cas des marchés passés par les agences
conformément aux procédures de la Banque mondiale,
la mention souvent inscrite dans les dossiers de consultation selon
laquelle le client n'est pas obligé de prendre l'offre la moins-disante
et qu'il peut attribuer les marchés au regard d'autre critère de
qualité, introduit un flou qui permet aux membres des commissions
d'analyse de justifier l'exclusion d'un soumissionnaire sur une base presque
discrétionnaire et donc sujette à caution.
Les procédures FED et de l'UNOPS permettent de
procéder à l'ouverture des plis en l'absence des
soumissionnaires. Ceci peut être à la base des modifications
d'offre à la demande des membres des comités d'évaluation
et ce, en complicité avec les fournisseurs et les entrepreneurs.
10. Recours abusif à la procédure de
régularisation
Les enquêtes antérieure réalisées
ont montré que la passation des marchés réalisées
sont passés suivant le mode dit de régularisation. Cette
procédure qui consiste en la demande du sous-gestionnaire des
crédits faite au Conseil des Adjudications d'autoriser la signature d'un
marché déjà effectué par lui et même
déjà exécuté par le titulaire.
Cette pratique est illégale.
Cette pratique illégale se remarque surtout
après un remaniement ministériel. Les nouveaux arrivants ont
souvent tendance à faire réhabiliter et équiper leurs
cabinets sans passer par la procédure d'adjudication.
Le Ministère des Infrastructures est souvent saisi de
ces cas de régularisation. La pratique veut que les services de ce
ministère puisse contrôler à postériori la
réalité des
41
13 Idem
travaux effectué au regard du devis en vue de certifier
après coup. La cause de cette pratique peut être l'ignorance,
mais, à ce niveau de responsabilité et au regard de la
configuration administrative, elle ne devrait pas être une excuse. Les
chefs des ministères qui sont des gestionnaires des crédits, ont
auprès d'eux des sous-gestionnaires qui sont des fonctionnaires
avisés en la matière13.
11. Certains cas de connivence
Il arrive souvent que l'on mette à la disposition des
soumissionnaires des informations secrètes ou confidentielles
susceptibles d'influencer la décision d'attribution du marché.
Cette pratique, selon certains experts avertis, contrevient à
l'obligation de publier ou de mettre à la disposition de tous les
soumissionnaires potentiels les informations sur les critères
d'évaluation des offres.
Bien souvent, certains membres des commissions d'analyse ou
d'attribution du marché préparent à l'avance les offres de
certains soumissionnaires, d'autres donnent des conseils informels aux
candidats sans passer par la procédure officielle de demande
d'éclaircissements. Alors qu'il y'a obligation de respecter
l'égalité entre candidats en obligeant la PRM de notifier les
réponses aux questions posées par un candidat à tous les
autres candidats intéressés (figurant sur la liste restreinte ou
ayant acheté le cahier des charges).
Dans ce contexte, personne ne s'hasarde à soumissionner
sans connaitre à l'avance les données techniques et
financières du projet d'où l'insignifiance en
général, des différences entre plusieurs offres.
Un entrepreneur interviewé précise qu'il arrive
souvent que lors de la préparation d'un marché, les dossiers
d'une offre donnée circulent bien avant la publicité. A ce
moment, on se rend compte que les vraies informations passent par les
démarcheurs, les fonctionnaires qui gravitent autour des PRM ou des
structures chargées des marchés des différents
ministères, entreprises... Ainsi, la diffusion
discrète des informations fait que certains soumissionnaires puissent
avoir une longueur d'avance sur les autres et gagnent en temps et en
procédure.
42
12. La substitution ou même modification d'offre
entre la séance d'ouverture et l'analyse ou en cours
d'analyse
Il arrive qu'il ait une complicité entre le
soumissionnaire et le Responsable de marchés ou les agents du service,
dans le but de rendre l'offre plus compétitive ou de permettre
d'intégrer la part de la commission ou pot-de-vin sans toucher au prix
proposé par le soumissionnaire.
Ce cas se rencontre en matière de recrutement des
consultants individuels, à qui on demande de modifier son CV pour
être classé en ordre utile. En effet, cette pratique permet de
favoriser les bons candidats qui parfois ne savent pas « se vendre »
par une bonne rédaction du CV. Ceci viole ainsi le principe
d'égalité des soumissionnaires, qui veut que tous soient
traités de la même manière.
Bien des fois, après la phase d'ouverture des plis
contenant les offres, et avant la commission, on peut corriger les calculs de
l'entrepreneur ; salir le dossier d'un concurrent, sur la base de motivations
techniques parfois discutables, en profitant des cahiers de charge flous ou
imprécis, et attribuer de mauvaises notes techniques à de bons
dossiers.14
III.2.2. La fraude organisée par les
soumissionnaires
1. L'Entente entre soumissionnaires
Lors des marchés à plusieurs lots divisibles,
certains soumissionnaires préfèrent s'entendre avec leurs
compétiteurs pour se répartir des lots. Ceci se fait remarquer
par la présence des soumissions uniques au niveau de chaque lot ou par
l'abstention sans motif valable de soumissionner dans le chef de certains
candidats.
Aussi, il y'a des abstentions de soumissionner avec entente
secrète dont l'objectif serait de procéder à la
sous-traitance occulte ou déclarée, ou même remise de pure
forme des offres. Les soumissionnaires accompagnateurs peuvent s'arranger
à introduire une offre incomplète ou encore s'abstiennent de
soumissionner pour une entente en vu de se partager l'exécution du
marché. C'est surtout le cas de gros marchés internationaux.
14 En Afrique de l'Ouest spécialement au
Sénégal, cette carence peut être attribuée à
la privation des services des travaux Publics et au démantèlement
de leurs bureaux d'études et dont la conséquence , en l'absence
des règles claires, une certaine imprécision des critères
d'évaluation des offres par les commissions techniques (K.S, 2000).
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