4.3 LA DOUBLE REORIENTATION DE LA CROISSANCE CHINOISE
Le développement économique de la Chine est en tout
cas spectaculaire. Son émergence comme puissance économique aura
d'immenses conséquences sur le reste du monde. Elles sont
discutées depuis des années aux États-Unis alors que la
prise de conscience est plus récente en Europe. Une seule chose est
sûre, nous n'en sommes qu'aux débuts. Mais le plus important,
c'est que la stratégie chinoise est en train de changer, c'est ce que
nous analysons maintenant.
La Chine a été sévèrement
frappée par la récession qui a suivi la faillite de Lehmann
Brothers en septembre 2008. Il n'y a pas eu découplage, l'effondrement
du commerce mondial (30 % entre le début de 2008 et le début de
2009) a frappé la Chine de plein fouet. Officiellement, et a
posteriori, la croissance a été ramenée à 8 %
; en réalité le choc a été bien plus violent : fin
2008, début 2009, on observe un recul de la production
d'électricité ou d'acier, de la consommation de pétrole,
un arrêt des
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migrations des campagnes vers les villes et même un retour
des migrants vers les campagnes. Face à ces risques, le gouvernent
chinois a précocement mis en oeuvre un plan de relance de très
grande ampleur. Des mesures en faveur de la consommation des ménages et
des dépenses d'infrastructures massives (du gouvernement central et des
collectivités locales) ont été rapidement engagées
et financées non pas sur crédits budgétaires mais par une
très forte expansion du crédit bancaire (l'encours de
crédit a augmenté d'un tiers en 2009, voir le complément
A). La réponse de l'activité a été foudroyante dans
tous les domaines (construction et travaux publics, consommation des
ménages, investissements des entreprises...).
Résultat : la croissance est de l'ordre de 11 % en rythme
annuel au premier semestre de 2010, elle est encore proche de 10 % sur un an au
1er trimestre 2011 ;
Les perspectives à court terme pour l'économie
chinoise sont donc rassurantes, mais au-delà ? Les documents politiques
publiés durant les douze derniers mois, en particulier à
l'occasion de la réunion de l'Assemblée nationale populaire en
mars 2010 et celle de 2011, permettent de saisir la vision qu'ont les
autorités chinoises des défis et dilemmes auxquels elles font
face. La première caractéristique de ces discours et documents,
c'est, par rapport à un environnement international en crise, d'exprimer
un sentiment de fierté quant à la façon dont a
été menée la politique économique anticrise : les
actions qui ont été menées et leurs résultats sont
autant de justifications en faveur de l'organisation économique du pays
et de ses choix stratégiques. Mais, par ailleurs, ils établissent
un constat sans concession des résultats insuffisants atteints par
rapport aux objectifs stratégiques définis en 2004 qui
consistaient à « rééquilibrer la croissance
économique » en matière de demande intérieure,
d'innovation et d'environnement, en particulier. L'occident
célèbre fréquemment le succès du plan de relance de
2009 mais on ne trouve pas, à Pékin, d'autosatisfaction
excessive, on y voit plutôt la perception d'un environnement
économique désormais plus complexe et plus incertain que la Chine
aborde avec des marges de manoeuvre réduites. Les objectifs
stratégiques poursuivis en matière économique par
Pékin sont au nombre de deux, la stabilité sociale et le
rattrapage technologique.
L'idée première, c'est naturellement de trouver de
nouveaux moteurs de croissance au sein d'une stratégie inchangée
puisqu'elle a fait ses preuves !
Le mode de croissance traditionnel conserve des partisans
très influents : il faut évidemment compter avec le poids des
lobbies exportateurs, celui des industriels, celui des régions
côtières. Mais il ne s'agit évidemment pas de laisser les
choses aller simplement sur leur lancée : la Chine n'a aucunement
l'intention de voir sa place dans la division internationale du travail
définie en tout et pour tout par de bas coûts de main d'oeuvre. Le
modèle « en vol d'oies sauvages » est une vraie
stratégie parce qu'il incorpore un principe de changement permanent,
l'évolution vers des productions à plus forte valeur
ajoutée, la montée en gamme.
Cette idée correspond manifestement à l'ambition
que peut nourrir le pays, elle a clairement le vent en poupe. Il faut donc
s'attendre en Occident, très vite, à cette concurrence nouvelle
sur les productions que l'on considérait encore, il y a peu de temps,
comme l'expression d'avantages comparatifs solidement établis. C'est
terminé : comme le Japon et comme la Corée avant elle, la Chine
s'apprête à rivaliser avec les pays plus avancés sur les
productions à plus haute technologie : trains à grande vitesse,
matériel de télécommunications, lanceurs de satellites et,
dans un futur peut-être pas très éloigné,
l'aéronautique, le nucléaire...
L'enjeu est de taille et présente pour la Chine
elle-même de nombreux défis. Car le poids de l'industrie en Chine
est extrêmement élevé, ce qui a de nombreuses
conséquences défavorables : caractère très cyclique
de l'économie, consommation excessive de matières
premières, problèmes d'environnement. Mais le poids
élevé de l'industrie est aussi la conséquence des biais
des politiques économiques menées en Chine :
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+ coût du travail (salaires) trop bas, ce qui dope la
compétitivité de l'industrie ;
+ subventionnement des prix de l'énergie ;
+ allocation du crédit vers les grandes entreprises ;
+ absence de pénalisation des coûts environnementaux
;
+ taux d'intérêt trop bas, ce qui subventionne les
secteurs capitalistiques.
On voit cependant les débuts en Chine des politiques
économiques visant à corriger ces biais :
hausse plus rapide des salaires, réduction des subventions
à l'énergie et objectif de réduction
de l'intensité énergétique, efforts pour
canaliser davantage de crédit vers les petites
entreprises privées. Le régime de change implique
cependant le maintien de taux d'intérêt très
bas par rapport au taux de croissance.
Les conséquences négatives de cette hypertrophie de
l'industrie sont connues :
+ variabilité excessive de l'économie chinoise,
puisque l'activité industrielle est
structurellement plus cyclique (cf. graphique 46) que
l'activité des services ;
+ consommation excessive de matières premières;
+ pollution (eau, air...).
L'hypertrophie de l'industrie chinoise est endogène, elle
est liée à divers biais de politique
économique :
+ les salaires sont trop bas par rapport à la
productivité (la part des salaires dans le PIB est
extrêmement faible, cf. graphique 50), ce qui
accroît la compétitivité-prix de l'industrie et lui
permet de gagner rapidement des parts de marché.
Il est clair que la remontée de la part des revenus des
ménages dans le PIB vers un niveau
normal (60 à 70 %) aurait comme effet une perte de parts
de marché de la Chine.
La Chine, les États-Unis et l'Allemagne sont les trois
principaux importateurs et exportateurs de marchandises.
- En 2013, la Chine est devenue le premier importateur et
exportateur mondial de marchandises, ses importations et ses exportations
s'élevant au total à 4 159 milliards de dollars EU. Elle a
enregistré un excédent commercial de 259 milliards de dollars EU,
soit 2,8% de son PIB.
- Les États-Unis viennent en deuxième position,
avec des importations et des exportations d'un montant total de 3 909 milliards
de dollars EU en 2013. Leur déficit commercial a été de
750 milliards de dollars EU (4,5% du PIB).
- L'Allemagne occupe la troisième place, avec un
excédent commercial de 264 milliards de dollars EU en 2013, soit 7,3% de
son PIB.
- Le Japon arrive en quatrième position, avec un commerce
de marchandises de 1 548 milliards de dollars EU en 2013. Il a
enregistré un déficit commercial de 118 milliards de dollars EU,
soit 2,4% de son PIB.
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Augmentation de la part du matériel de bureau et de
télécommunication dans les exportations
mondiales
- Les exportations mondiales de matériel de bureau et de
télécommunication ont augmenté de 4% en 2013. Leur part
dans les exportations mondiales totales a légèrement
progressé, à 9,6% en 2013 contre 9.3% l'année
précédente. Six des dix principaux exportateurs ont
enregistré une augmentation en 2013, allant de 14% (Corée,
Rép. de) à 0,5% (Etats-Unis). Quatre exportateurs ont
enregistré des taux négatifs: Japon (-15%) ;
- Taipei chinois (-3%), Union européenne (-2%) et Mexique
(-1%).
- La part de la Chine dans les exportations mondiales de
matériel de télécommunication est passée à
38% en 2013, contre 36% en 2012. Celle de l'UE a reculé, de 26% à
25% pendant la même période.
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Il est clair qu'étant donné la particularité
du système politique et économique chinois, les investissements
en R&D ne garantissent pas, à eux seuls, le succès de la
Chine dans la poursuite de sa stratégie de la « remontée en
gamme ». Pour atteindre l'objectif d'être parmi les 20 premiers pays
innovateurs en 2020, la Chine devrait restaurer son système de
gouvernance corporative, réformer son système d'éducation,
améliorer la protection de la propriété intellectuelle,
développer l'esprit entrepreneurial orienté vers la technologie,
faciliter le transfert des connaissances et technologies avancées des
multinationales occidentales vers les entreprises chinoises. De même, la
Chine devrait accélérer le développement d'un
système de marché juste et efficace et accorder plus d'espace
à l'expression et à la créativité des individus.
Sur le marché international, la Chine devrait assumer plus de
responsabilités en tant que grand joueur afin de favoriser une division
internationale du travail « gagnant-gagnant ». Par ailleurs, si en
1978, la Chine n'avait pas d'autre choix que de se lancer dans l'exploitation
de ses avantages comparatifs en termes de coûts et de ressources pour
conquérir le marché international, le temps est venu pour elle
d'intégrer les ressources internationales pour développer son
marché intérieur. Voici autant de défis qui conditionnent
l'avenir de l'économie chinoise.
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