3- Le recadrage de l'influence politico-diplomatique
française au Mali et dans la sous-région
Le repositionnement politique et diplomatique de la France au
Mali et dans l'ensemble des pays des régions sahélo-saharienne et
ouest-africaine, constitue également un enjeu géopolitique majeur
de l'intervention militaire française au Mali. En effet, à
travers cette intervention, la France recherche à rattraper son «
mauvais calcul stratégique »93,
conséquemment à son orientation géopolitique vers les pays
de l'Est et du Centre de l'Europe formés après de la dislocation
des blocs. Qualifié par A. Glaser et S. Smith94 sous
l'expression de désintéressement de l'Afrique par
l'Hexagone, ce détournement géopolitique de la France a
créé un vide qui a profité aux nouveaux pays en
quête d'une extension diplomatique. C'est ainsi que la Chine, l'Inde ou
encore le Brésil, se sont introduits dans les régions qui
constituaient les zones d'influence française, parmi lesquelles la
région sahélo-saharienne dont fait parti le Mali. Le vide
laissé par la France a ainsi favorisé, si l'on en croit P.
Guinant95, l'élargissement de la coopération de la
chine avec les Etats africains, notamment avec la multiplication des forums de
coopération Chine-Afrique F.O.C.A.C (Forum on China-Africa
Coopération). Ce rapprochement diplomatique dans les régions
autrefois dirigées par la France, s'accélère
également après les attentats du World Trade Center en 2001. Les
Etats-Unis ont, en effet, renforcé des relations diplomatiques avec
plusieurs Etats du Sahel, du Sahara et du Maghreb. De ce fait, les accords
sécuritaires des programmes Pan Sahel Initiative, Trans Sahara
Counter-Terrorism Initiative (TSCTI) ou encore l'USAFRICOM (commandement pour
l'Afrique) établit par Washington avec huit Etats de la région,
notamment l'Algérie, le Mali, le Maroc, la Mauritanie, le Niger, le
Sénégal, le Tchad et la Tunisie, dénotent de la
pénétration d'une influence politico-diplomatique des Etats-Unis
dans ces territoires, qui étaient considérés comme des
fiefs diplomatiques de l'Hexagone. Les
92C-V, Clausewitz, De la guerre, Paris, les
éditions Minuit, 1984, p.67.
93 S. Loungou, Interview, op.cit.,
94 A. Glaser& S. Smith, Comment la France a
perdu l'Afrique, Paris, Hachette, 2006, p.111.
95 P. Guinant, La politique de la France en
Afrique Subsaharienne après les indépendances,
Mémoire de master, I.E.P Toulouse, 2013, p.44.
Etats-Unis développent, dans ces pays, une action
politique fondée sur la promotion de la démocratie et le
développement multiforme (économique, sécuritaire,
diplomatique et culturelle). Ce glissement diplomatique des Etats des
régions sahélo-saharienne, maghrébine et ouest-africaine
vers les Etats-Unis et les puissances émergentes, fragilise la
géopolitique française dans ces espaces africains. De ce fait,
l'enjeu du Quai d'Orsay à travers l'intervention militaire était
de réactiver et renforcer les relations diplomatiques, qui sont
restées un peu tièdes avec ces pays d'Afrique dont le Mali et le
reste d'Etats des trois régions citées ci-dessus ; il s'agit des
relations qui ont profité aux autres puissances. Ainsi, sur le plan
politique, la France recherchait, selon l'analyse de M-I. Kantô:«
à retracer le cercle de son influence face à l'influence
croissante américaine et chinoise »96. Dès
lors, le déploiement militaire français au Mali revêtait,
sur cet aspect, un double enjeu fondé non seulement sur le
repositionnement politico-diplomatique de la France dans cette partie de
l'Afrique, mais aussi sur la réduction de l'influence politique des
puissances émergentes et américaines. L'enjeu de l'intervention
tournait ainsi autour de la diplomatie française dans ces milieux et
à l'affaiblissement du glissement des puissances émergentes et
des Etats-Unis dans ces territoires africains autrefois dominés par la
France.
D'une façon générale, la France a
utilisé à sa guise le cadre juridique international et ses
accords militaires avec le Mali, pour assurer à son intervention
militaire, une couverture légale. Cependant, cette
`'légalité» ne dissimule pas assez les réels enjeux
de l'opération militaire française. En définitive, le jeu
d'alliance de l'intervention s'enchainait étroitement avec les
motivations non explicitement déclarées par les autorités
françaises lors de leur prise de décision d'intervenir
militairement. Ce flou entretenu avant, pendant et après cette
intervention, démontre que bien d'enjeux géopolitiques et
géostratégiques ceinturaient cette action militaire. On peut en
déduire que la France agissait, ainsi dans le conflit malien, en
alliée intéressée.
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96 M-I. Kantô, op.cit., p.16-20.
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