CHAPITRE IV : LES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX DES REFUGIES
DE CONFLITS EN AFRIQUE DE L'OUEST
L'arrivée et la présence prolongée des
réfugiés dans certains pays ouest africains tels la
Guinée, le Ghana et le Burkina Faso, a sans aucun doute augmenté
les exigences vis-à-vis de l'environnement. Le risque environnemental
représenté par l'arrivée soudaine de ces milliers de
réfugiés dans ces pays d'accueil fut une préoccupation
pour la Communauté Internationale et les différents
gouvernements. Des études générales visant à
évaluer l'impact environnemental des réfugiés furent
menées (BLACK R, 1994 ; JACOBSEN K, 1997). Toutefois,
l'intérêt des différentes études avant l'an 2000
était axé sur les concentrations de réfugiés en
milieu rural et leur impact possible sur l'environnement. Les impacts des
réfugiés en zone urbaine sont moins connus et
étudiés, aussi bien par les gouvernements que les
différents acteurs humanitaires impliqués auprès des
réfugiés. Alors que les centres de réfugiés
officiels dans les zones rurales ont des dispositions prises pour les services
socio-économiques de base, cette assistance n'est souvent pas disponible
pour les réfugiés dans les centres urbains (ROGGE J, 1981).
Egalement, l'expression de réfugié urbain
comporte deux principales ambiguïtés géographiques. D'abord,
elle désigne les réfugiés installés dans n'importe
quel espace considéré comme urbain par les définitions
administratives d'un pays donné (qui diffèrent souvent d'un pays
à l'autre), ensuite pour des recherches scientifiques comme dans les
pratiques du HCR, elle correspond souvent exclusivement aux
réfugiés vivant dans les villes capitales (BLACK R, 1991). La
seconde ambiguïté de l'adjectif urbain est qu'on ne sait pas s'il
désigne le lieu d'origine ou le lieu d'exil des réfugiés
(STEIN B, 1981). Ce mémoire ne déroge pas à la
règle, mais pour une meilleure analyse de la problématique
formulée plus haut, nous considérons comme «
réfugié urbain » tous les réfugiés
s'installant dans une capitale ou une ville. Selon le HCR lui-même, 48%
des réfugiés urbains dans le monde sont des femmes et 28% ont
moins de 18 ans, 12% plus de 60 ans (JACOBSEN K, 2006).
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IV-1 : LES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX DES REFUGIES LIBERIENS
ET SIERRA LEONAIS EN GUINEE
Les impacts des réfugiés sont abordés sur le
plan physique et humain.
IV-1-1 : LES IMPACTS BIOPHYSIQUES DES REFUGIES
L'impact des réfugiés sur le milieu biophysique
guinéen a surtout été enregistré en Guinée
forestière au Sud du pays. Cette localité est une région
montagneuse, constituée de collines à fortes pentes,
séparées de bas-fonds et de plaines alluviales dont l'altitude
moyenne varie entre 600 et 800 mètres. Avec un climat
subéquatorial, la région forestière demeure jusqu'à
nos jours le château d'eau de l'Afrique de l'Ouest. Sa population,
estimée à un million cinq cent mille habitants est
essentiellement rurale (78%) et comprend une densité de 43
habitants/km2 (RGPH, 1996). A cette même date, 620 000
réfugiés sierra léonais et libériens sont
accueillis en Guinée, soit près de 40% de la population
guinéenne qui avoisinait les 7.1 millions d'habitants (BIDOU J.E, TOURE
J.G, 2002). 75% de ces réfugiés ont été
installés dans les milieux ruraux du Sud, particulièrement au
sein de la population locale ou dans des camps jouxtant les frontières
des deux pays d'exil comme le montre la carte ci-dessus.
Carte 7 : Répartition des camps de
réfugiés en Guinée Conakry en 1996
L'observation de cette carte révèle que de
la myriade de camps en Guinée forestière,
précisément dans la zone frontalière entre la
Guinée, le Libéria et la Sierra Léone, ce sont
respectivement les camps informels et formels non gérés par le
HCR qui dominent. Cette zone forestière enregistre également le
plus grand nombre de camps de réfugiés en Guinée.
En Guinée forestière, les impacts biophysiques
dus à la présence des réfugiés se résument
à quelques cas. En effet, les libériens par exemple ont
empiété sur une partie de la réserve des monts Nimba dans
l'Est de la région forestière, zone désignée comme
site du patrimoine mondial et réserve de la biosphère (UICN,
1991). On s'inquiète aussi pour la réserve de Ziama,
elle-même une réserve de biosphère dans la
préfecture de Macenta à l'ouest (BOURQUE J.D et WILSON K.B,
1990). Toutefois, l'étendue réelle de la pression
exercée
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par les réfugiés reste à préciser;
les monts Nimba souffrent actuellement d'un manque de protection contre les
dégradations des populations locales elles-mêmes, alors que le
projet gouvernemental d'ouvrir, après la guerre libérienne, la
zone à l'exploitation de l'aluminium mettra fin à toute
initiative de conservation.
a) Les impacts sur les ressources fauniques,
végétales et hydriques
Dans la préfecture de Yomou qui a abrité une
part importante des réfugiés libériens et sierra
léonais, l'analyse du paysage révèle trois types d'impacts
sur l'environnement : la suppression totale des arbres fait apparaître
des terres dénudées; des zones forestières sont
transformées en champs cultivés et certaines ressources et
espèces forestières subissent un prélèvement
excessif. En ce qui concerne les impacts du premier type, il semble que la
région forestière ait peu souffert d'un abattage massif d'arbres
même si les coupes aux alentours de certains sites de
réfugiés ont entraîné localement ruissellement et
érosion. Par contre, la pression exercée sur certaines
espèces de la flore et de la faune sauvage provoque l'inquiétude
car des pertes conséquentes des espèces indigènes
végétales et animales ont été observées. En
effet, les réfugiés prélevaient certaines ressources
nécessaires à leur subsistance telles que le bois de chauffage et
de construction, noix de palme et ignames sauvages. Mais lorsque les ressources
devinrent insuffisantes, les réfugiés furent obligés soit
d'utiliser des produits alternatifs « de qualité inférieure
». Par exemple, des branches de palme à la place du raphia pour la
toiture, soit d'acheter chez les villageois locaux des produits comme le bois
de construction qu'ils ne pouvaient se procurer d'une autre manière.
Toutefois, il est à noter que les activités
rémunératrices des réfugiés dépendaient
beaucoup moins de l'exploitation des ressources naturelles que celles des
villageois locaux (FAIRHEAD J et LEACH M, 1996).
Les afflux de réfugiés dans les villes du Sud de
la Guinée ont créé aussi une augmentation excessive de la
demande en eau potable, qui n'était pas prise en compte par les
organisations gouvernementales et les efforts des donateurs. Cela a
aggravé une situation urbaine d'accessibilité à l'eau
déjà critique et mené à une sur-utilisation de
toutes les sources d'eau conduisant à des niveaux de tarissement et de
pollution record des points d'eau. Face à cette urgence, il y a eu un
besoin d'efforts concertés pour augmenter l'accès des populations
à l'eau potable au Sud de la Guinée. En outre, la mise en place
de systèmes de drainage par les réfugiés dans les zones de
marais pour la production du riz a conduit au disfonctionnement des
systèmes hydriques et des niveaux d'eau. Le déboisement dans le
camp de Kaliah, dans la
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région de Forécariah a eu comme
conséquence l'assèchement de la source d'eau de Berecore (un
petit village près de Kaliah) (PNUE, 2000).
Enfin, de nombreux Mandingues ayant survécus aux
tueries et pillages du Libéria pendant la guerre civile, sont venus
grossir les rangs des pauvres et des bidonvilles dans certains centres urbains
comme Conakry. La majorité de ces réfugiés urbains vit en
effet aux côtés de citadins qui connaissent les mêmes
problèmes de pauvreté et aux côtés de migrants qui
rencontrent les mêmes discriminations, souvent liées à la
peur de l'étranger. Ces réfugiés s'appuyaient en grande
partie sur les ressources végétales et fauniques des bidonvilles
pour équilibrer leur quotidien, contribuant à la réduction
sensible de ces végétaux et petits rongeurs (WRS, 1995).
b) Les impacts des réfugiés sur les
ressources foncières
La présence des réfugiés dans les
campagnes de la Guinée a augmenté les besoins continus en terres
cultivables et le raccourcissement des périodes de jachère,
entrainant une diminution de la fertilité des sols. Egalement, les
bas-fonds aménagés par les réfugiés grâce aux
subsides du HCR ou par d'autres organisations n'ont produit ni les rendements
attendus ni plus d'une récolte par an. On nota une baisse de la
productivité des bas-fonds de tous types après deux ou trois ans
d'exploitation. Le nivellement de ces bas-fonds s'est traduit, dans certains
cas, par une destruction de la biodiversité de ces terres
marécageuses importantes et variées. En outre, l'utilisation
d'engrais chimiques posait évidemment un problème d'ordre
écologique alors qu'une ONG (libérienne) était en train
d'expérimenter une méthode de culture intensive de bas-fonds
à l'aide de techniques «biologiques » et d'engrais vert.
En 2003, grâce au soutien du Ffem (Fonds français
pour l'environnement mondial), une étude a été
réalisée sur un jeune camp en Guinée forestière,
pour évaluer l'impact des réfugiés sur les ressources
naturelles renouvelables à une échelle micro-régionale.
L'impact environnemental du camp de populations réfugiées du
Katkama (au Sud de Kissidougou), est mesuré par
télédétection spatiale en utilisant une image satellite
Ikonos à très haute résolution (1 mètre).
Grâce à cette image satellite, il est possible de voir les espaces
où sont accueillis les réfugiés, les changements dans
l'occupation des sols du fait de la concentration rapide de populations dans un
espace très réduit. L'extension spatiale de ces changements est
relativement circonscrite à proximité des camps. Et l'analyse des
images satellites met en évidence une forte emprise spatiale des
réfugiés du camp sur les bas-fonds cultivables et la
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couverture forestière. Toutefois, la faible
densité de forêts et de palmiers à huile à
proximité du camp entraine une réduction de
l'accessibilité des réfugiés en ressources bois et en noix
de palme. Il est probable que le principal impact de la présence des
réfugiés dans la région Sud de la Guinée concerne
l'extension de terres cultivées aux dépens de la
végétation forestière comme le montre la photo 5 (IMBERNON
J, 2003).
Photo 5 : défrichement du bec de canard au Sud de
Guéckédou pour l'agriculture
Cette photo montre à quel point les ressources
végétales étaient convoitées par les
réfugiés et les populations autochtones dans certaines
localités de la région forestière, portant atteinte aux
ressources fauniques également.
Des densités élevées de populations dans
les zones rurales et les centres urbains entrainées par l'afflux de
réfugiés, ont eu comme conséquence une très forte
pression sur les ressources naturelles de la Guinée
particulièrement au Sud. Néanmoins, en raison du modèle de
répartition des réfugiés dans les zones rurales et le
manque de données détaillées sur l'état
environnementale en Guinée avant les conflits libériens et sierra
léonais, il est souvent difficile, sinon impossible d'estimer avec
précision la dégradation environnementale causée seulement
par la présence de réfugiés de celle causée par les
populations locales. Du reste, le HCR, de plus en plus concerné par les
questions environnementales, a subventionné des études comme
celles menées par le Centre de Coopération Internationale en
Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD) de 1998 à
2001, puis des opérations de reboisement en Guinée
forestière.
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