Chapitre II : Un contexte spécifique des droits
fondamentaux
Une question préliminaire doit être posée :
le système juridique égyptien respecte-t- il le principe
d'égalité hommes / femmes ?
L'essentiel n'est pas de répondre à cette question
par oui ou par non. En revanche, l'essentiel est de savoir si le système
juridique égyptien tend à respecter le principe
d'égalité ou il ne le reconnaît pas. Effectivement, la
constitution égyptienne dans son article 11 prévoit que :
« L'État assure à la femme les moyens de concilier ses
devoirs envers la famille avec son travail dans la société, son
égalité dans les domaines politiques, sociaux, culturels, et
économiques, sans préjudice des dispositions de la loi
islamique ». On peut déduire de la présence de
cet article de la Constitution égyptienne que le principe
d'égalité n'est pas oublié, mais ensuite, tout
dépend de l'interprétation des « dispositions de la loi
islamique » qui encadrent le principe d'égalité. Ceci
signifie donc, que le principe d'égalité en droit égyptien
est un principe encadré. Ce n'est pas un principe absolu.
Outre l'interprétation du contenu du principe
d'égalité, la question se pose pour l'application de ce principe
dans la législation musulmane en droit de la famille égyptien. En
d'autres termes, comment le système juridique égyptien
intègre-t-il le principe d'égalité dans la loi du statut
personnel ?
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Le juge français, pour comprendre le contexte du
système juridique égyptien, doit d'abord avoir une idée
sur les traditions sociales et la définition du principe
d'égalité dans le système juridique ( Section I ), mais
aussi, il doit examiner le contenu de la loi égyptienne pour voir
comment le droit égyptien respecte le principe d'égalité
en attribuant à la femme quelques privilèges qui neutraliseront
le caractère inégalitaire de la répudiation ( Section II
).
Section I : Une lecture originale du principe
d'égalité
Certes, le système juridique égyptien, voire la
société égyptienne ( en la comparant avec la
lecture française d'égalité ) a une conception
spécifique du principe d'égalité. En droit
français, le contenu ou l'interprétation du principe
d'égalité n'est pas le même que l'interprétation
égyptienne. Le principe d'égalité, n'a pas le même
dynamisme en droit français qu'en droit égyptien. Il ne faut pas
oublier que le principe d'égalité est encadré par la
religion. C'est la constitution égyptienne qui le montre dans son
article 11. Le principe d'égalité hommes / femmes est
respecté, sans préjudice des dispositions de la loi
islamique. Il y a donc deux remarques importantes
à développer à cet égard :
1- Le principe d'égalité hommes / femmes
émane de la religion ou en d'autres termes, c'est la religion qui le
définit, ce qui signifie que la lecture spécifique du principe
d'égalité en droit égyptien se trouve dans la religion. Il
ne faut pas nier que l'Islam ait amélioré la situation de la
femme. L'Islam a rendu les conditions de la femme meilleures qu'elles ne
l'étaient avant lui. De même, le droit musulman contient des
règles selon lesquelles les femmes ont autant de droits que de devoirs
envers leurs maris147.
2- Certes, selon l'article 2 de la constitution, l'Égypte
est un État musulman, mais l'Islam reconnaît et respecte la
religion chrétienne. Cela signifie que le principe
d'égalité en droit égyptien tient compte aussi de
l'égalité selon la religion chrétienne. En France, la
tradition catholique était différente du contexte actuel de
l'égalité en droit français laïc. Saint Paul dit aux
hommes : « Vous, les hommes, aimez votre femme à l'exemple
du
147 M. AGI (dir.), Islam & droits de l'Homme,
Librairie des libertés, 1984, P. 36
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Christ : il a aimé l'Église, il s'est
livré pour elle »148, « C'est comme cela que le
mari doit aimer sa femme : comme son corps »149, « Et vous
les hommes, aimez votre femme, ne soyez pas désagréables avec
elles »150 et aux femmes, il dit : « Vous les
femmes, soyez soumises à votre mari ; dans le Seigneur, c'est ce qui
convient »151. On voit bien ici que l'idée
d'égalité entre époux n'est pas une identité de
droits et de devoirs, mais, il s'agit d'une égalité en termes de
spécificité et de complémentarité.
La question se pose donc ici sur les conséquences
pratiques de cette appréciation de l'égalité. En droit
musulman, il s'agit de créer un équilibre entre la
répudiation et d'autres moyens permettant à la femme de divorcer,
voire même de répudier.
Il faut donc, pour comprendre le contexte spécifique de
l'égalité en droit égyptien, examiner l'idée de
spécificité complémentarité ( § 1
), puis l'idée de la puissance maritale ( § 2
).
§1 - La spécificité
complémentarité des statuts de chaque époux
Monsieur Ihsan Hamid AL-MAFREGY explique cette «
spécificité, complémentarité » d'une
manière très originale. Il dit au départ que le
problème d'égalité entre l'homme et la femme se pose en
Islam sur le plan du droit et du devoir de chacun des deux sexes. Il est
tranché non en fonction d'un droit et d'un devoir abstraits, mais en
fonction de la vocation et de la nature de l'homme et de la femme. Car tout
droit, pour être légitime doit trouver son fondement dans la
nature humaine elle-même152. Son idée est que
l'égalité hommes / femmes ne peut pas être absolue vu la
différence entre les deux sexes. Selon AL-MAFREGY, « L'islam
considère que l'idée de droit a essentiellement pour but de
sauvegarder intacts les intérêts naturels de l'homme et de la
femme. Toute loi, donnant droit de faire ou avoir une chose, qui ne se
révèle pas conforme aux exigences de l'état de nature est
une loi injuste. »153. Puis, il
148 Éphésiens 5, 25
149 Éphésiens 5, 28
150 Colossiens 3, 19
151 Colossiens 3, 18
152 M. AGI (dir.), Islam & droits de l'Homme,
Librairie des libertés, op. cit., P. 38
153 ibid.
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ajoute que l'Islam distingue deux sortes de droits : celui de
l'homme et celui de la femme, et que c'est une distinction qui se justifie dans
le Coran du fait que la femme n'est pas, quant à sa structure physique
et psychophysiologique, identique à l'homme. Monsieur AL-MAFREGY ne
s'arrête pas à expliquer cette version de l'égalité
d'une manière théorique, en revanche, il explique d'une
manière pratique son point de vue en disant que « D'un
côté, c'est l'homme qui se charge normalement des travaux hors du
domicile. La nature de l'être humain veut que la femme soit
désignée, au premier chef, pour s'occuper de l'éducation
des enfants et de la direction du foyer. D'un autre côté, ce sont
les caractères biologiques qui sont fort différents chez les deux
sexes. Ces différences ont des influences non négligeables sur la
formation de la personnalité et l'état psychologique de
chacun. C'est-à-dire que l'homme et la femme sont deux
êtres complémentaires, ayant chacun une fonction qui leur est
spécifique. »154. Le droit musulman se
fonde donc sur ces éléments pour accorder à l'homme des
droits différents de ceux qui sont accordés à la femme.
D'où, l'idée d'égalité en termes d'identité
de droits et de devoirs, consacrée actuellement par le droit
français, est étrangère au système juridique
égyptien. On pourrait donc imaginer que la différence en droits
et en devoirs est due à la différence de nature physique et
psychologique entre les deux sexes.
En ce qui concerne le mariage, les droits et les devoirs ne sont
pas les mêmes pour chacun des époux. Le mari a des droits qui sont
différents de ceux de la femme, et pareille pour les devoirs. On
pourrait croire dès la première constatation que c'est une
inégalité, mais, en réalité, la question pourrait
être comprise autrement. Chaque époux a ses propres droits et
chacun est lié par ses propres devoirs. Cette idée nous
emmène à une complémentarité, mais aussi à
une spécificité.
Mais, puisque les droits et les devoirs de l'homme ne sont pas
les mêmes que les droits et les devoirs de la femme, en appliquant le
principe d'égalité en termes spécificité
complémentarité, on examine donc les droits et les devoirs
relatifs au mari ( A ), puis les droits et les devoirs
relatifs à la femme ( B ).
154 ibid.
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