Section II : Une loi française unique avec une
pluralité des cas de divorce
Le droit français a évité tous les
problèmes déjà cités pour le droit égyptien.
La plupart de ces problèmes avaient pour origine la pluralité des
législations confessionnelles qui régissent le statut personnel
en Égypte. Or, le droit français a codifié les cas de
divorce dans le Code civil, ce qui fait que le droit français est un
droit unique applicable à tout le monde. Il a même
dépassé le voeu des Égyptiens, puisque la doctrine
égyptienne souhaite avoir un droit unique en Égypte, mais qui
contient des dispositions spécifiques pour chaque religion lorsqu'il y a
des différences entre les religions.
Quant au droit français qui est considéré
comme un droit laïc ne tient compte d'aucune religion. De même le
droit français ne contient aucune disposition spécifique à
une religion quelconque. Tous les cas de divorce prévus par le droit
français concernent tout le monde. Le système français est
donc un système libéral : il tend à assurer le respect des
convictions religieuses sans se lier à un étroit
confessionnalisme. Sa faiblesse est qu'il n'assure qu'imparfaitement ce
respect, parce qu'à l'état pur, la notion du divorce catholique
impliquerait que l'indissolubilité du mariage fût ( selon
CARBONNIER ) indéfiniment
préservée68.
Par rapport au système égyptien, le système
français pourrait dans son ensemble nous donner une meilleure solution,
mais parfois choquante. La doctrine égyptienne considère qu'en
France, la loi unique qui régit le statut personnel pour tous les
citoyens, même si elle est intégrée dans le Code civil pour
la donner un caractère laïc, cette loi est influencée par la
religion de la population69. Par conséquent, le Code civil
français s'applique à tous les Français même s'ils
sont musulmans. Ceci signifie que l'époux musulman sera soumis à
des règles qui sont largement influencées par le
christianisme70. Mais, en revanche, cette influence diminue de plus
en plus. On pourrait déduire de cela que le droit français
voudrait établir une sorte d'égalité absolue entre tous
les individus quelle que soit leur appartenance religieuse. De même, le
législateur français voudrait libérer le droit de la
famille de toute influence religieuse, ce qui rendra le contenu du droit de la
famille plus cohérent avec la laïcité de l'État.
68 CARBONNIER, Droit civil, 2/ la famille, l'enfant et
le couple, PUF, 20e édition, P. 634
69 C. BONTEMS,(dir), Mariage - Mariages, op. cit.,
P. 599
70 H. ELEHWANY, L'explication des principes de
statut personnel des égyptiens chrétiens, op. cit., P.80
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§1- La pluralité des cas de divorce, un choix
bien voulu
Pour revenir sur la notion d'unité ou de
pluralité. Il est vrai que le droit français est un droit unique
dans le sens où il existe une seule loi ( c'est celle qui figure dans le
Code civil ) qui s'applique aux époux quelle que soit leur
religion71 ( c'est-à-dire qu'il n'y a pas de conflits de lois
internes ).
En revanche, la notion de diversité ou de pluralité
peut être vue sous un autre angle. On peut aussi examiner la
diversité non pas des législations qui régissent les cas
de divorce, mais, la pluralité des cas de divorce qui figurent tous dans
une loi unique. Il est tout à fait possible de trouver plusieurs cas de
divorce dans une seule législation qui ont pour but respecter la
pluralité des pensées ( religieuses ou non ) qui se trouvent en
France. On a un droit unique certes, mais un droit qui respecte la
diversité des individus. En effet, la loi propose plusieurs types de
divorce, elle laisse une large marge d'initiative aux époux qui ont
décidé de se séparer72. Par conséquent,
les époux ne seront pas gênés par l'existence d'un droit
unique puisque ce dernier renferme une pluralité des cas de divorce. Les
époux ( ou l'un d'eux ) peuvent donc choisir le cas de divorce qui ( lui
ou ) leur convient.
La pluralité des cas de divorce qui existe en droit
français n'est pas évidente. En effet, une proposition ancienne a
été faite pour avoir un cas de divorce unique. La question s'est
posée avant la réforme de 1975.
Avant la réforme de 1975, l'Association nationale des
avocats a élaboré un projet de loi sur la question (
appelé projet CHAUMIÉ ) par lequel elle consacrait un seul cas de
divorce, c'est le divorce constat d'échec73. En d'autres
termes, pour Monsieur CHAUMIÉ, il n'existe qu'un seul cas de divorce
c'est « l'état de désunion irrémédiable
des époux » : le juge devra chercher si les époux
peuvent être considérés comme définitivement
désunis, sans devoir déterminer l'imputabilité de cette
désunion. Ce projet rejetait l'idée d'un divorce pour
consentement mutuel. Lorsqu'il s'agit d'une
71 Par opposition au droit égyptien qui
contient plusieurs législations et une seule sera applicable.
72 H. FERKH, L'unicité de la notion de
famille en droit musulman et sa pluralité en droit français,
Lyon 1994, P. 158
73 J. MASSIP, La réforme du divorce,
Répertoire du notariat Defrénois, 1976, P. 26, s
50
requête conjointe, les époux doivent énoncer
les faits sur lesquels ils se fondent pour demander le divorce et le juge,
à son tour, doit vérifier si la désunion des époux
est bien irrémédiable. De même, la simple faute ou la
responsabilité d'un époux n'est pas suffisante pour divorcer.
L'échec du mariage est la seule condition dans laquelle le divorce peut
être prononcé. C'est un cas objectif de divorce.
Mais ce cas unique de divorce a été contesté
par la doctrine. Par exemple CARBONNIER dit : « Les faits
d'adultère, d'excès, des sévices, d'injures, de
condamnation, ne sont bien souvent que des symptômes, les signes de la
désunion n'est elle-même que l'effet d'une cause première
qui demeure cachée : la fin de l'amour conjugal, la lassitude,
l'incompatibilité d'humeur. Ce qui donne l'illusion de la cause
objective, c'est que les causes réelles du divorce ne sont pas apparents
et s'avèrent difficiles à démêler. Il est cependant
des cas où ce sont bien les manquements aux devoirs conjugaux qui sont
la cause de désunion et où la rupture du mariage se pose
clairement en termes de responsabilité. »74.
En outre, Monsieur J. MASSIP trouve que « le concept de
désunion irrémédiable est nécessairement vague et
laisse, en conséquence, au juge un très large pouvoir
d'appréciation, qui pourrait donner naissance à une jurisprudence
très diversifiée, selon les convictions personnelles du juge.
»75
De même, Monsieur MASSIP trouve que le simple divorce
faillite ouvrirait trop largement les portes du divorce puisque le juge serait
tenu de le prononcer sans aucune condition quant à la durée de la
désunion, dès qu'il constaterait que le caractère profond
de celle-ci76.
À cause de ces contestations, ces critiques et ces
inconvénients relatifs à un seul cas de divorce, le
législateur en 1975 a retenu la pluralité des cas de divorce.
En effet, la loi du 11/7/1975 a prévu trois cas de divorce
différents, ce sont :
1- Le divorce pour consentement mutuel qui se subdivise à
son tour en deux cas : - Le divorce sur demande conjointe des époux
- Le divorce demandé par l'un des époux et
accepté par l `autre
74 CARBONNIER, « La question du divorce,
mémoire à consulter », D.1975, chr. XX, P. 117
75 J. MASSIP, La réforme du divorce,
op. cit., P. 36
76 ibid. P.37, s
2-
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Le divorce pour rupture de la vie commune
3- Le divorce pour faute77
Quant à la réforme de 2004, le législateur
n'a pas voulu revenir sur le principe du pluralisme des cas de divorce. Cette
réforme a maintenu le divorce pour faute, mais elle a transformé
le divorce sur demande acceptée en divorce pour acceptation du principe
de la rupture du mariage, en outre, elle a profondément modifié
le divorce pour rupture de la vie commune et elle l'a transformé en
divorce pour altération définitive du lien
conjugal78.
§2- Un doute sur l'influence de la religion sur la
désunion en droit français
Pour savoir s'il existe toujours une influence de la tradition
catholique ou pas. Il faut retourner vers le mariage lui-même et la
manière avec laquelle la société française
conçoit l'idée du mariage.
En réalité, le mariage en droit français est
jusqu'à présent considéré comme un lien
indissoluble malgré la pluralité des cas de divorce qui existent
en droit français. Mais l'idée est que la tradition catholique
influe sur le droit français par la conclusion du mariage, et plus
précisément, sur l'objectif voulu par le mariage. Il est vrai
qu'en France, le mariage est toujours considéré comme un lien
indissoluble.79 C'est pour cette raison que le divorce (
contrairement à la séparation de corps ) n'était admis ni
par l'Église ni par le droit canon. Normalement, lors du mariage, les
époux ne pensent pas qu'un jour ils souhaiteront être
divorcés puisque l'idée de l'indissolubilité est toujours
associée au mariage. Mais actuellement, cette influence est en baisse,
surtout avec un divorce par consentement mutuel où les époux sont
d'accord, non pas sur le principe de divorce, mais sur toutes les
conséquences et les effets du divorce. Mais est-ce que ceci signifie
qu'on favorise l'idée selon laquelle le divorce est devenu un outil non
négligeable en droit français de la famille ?
77 ibid. P. 40
78 P. MALAURIE et H. FULCHIRON, la famille, op.
cit., P.239
79 P. MALAURIE et H. FULCHIRON, la famille, op.
cit., P.64
52
La réponse à cette question dépend de
plusieurs données philosophiques, sociologiques et idéologiques,
de l'importance qu'on rattache aux valeurs individuelles ou collectives ou,
plus essentiellement, de la signification que l'on donne au mariage ( contrat
ou institution ).
Ici, la doctrine se divise en deux :
La première partie considère que le mariage est un
lien perpétuel, et condamne le divorce au nom de la défense de
l'institution familiale. À l'intérieur du même courant de
pensée, existe toujours l'idée selon laquelle l'étendue du
consentement conjugal change de degré et de nature selon que le mariage
est un lien indissoluble ou que le divorce est un remède exceptionnel
à une situation particulière qu'on peut appeler « un mal
nécessaire »80
Toujours dans la même logique, des auteurs81
trouvent que la possibilité du divorce doit dépendre de
l'appartenance confessionnelle des époux. Selon cette logique, le couple
aurait le soin de choisir, lors de la célébration du mariage
entre un mariage dissoluble ou indissoluble82. Mais il ne faut pas
oublier que cette dernière idée n'est plus possible actuellement
à cause de la laïcisation de l'État et des lois. L'objection
tirée de la religion contre le divorce est affaiblie d'une
manière très importante.
En revanche, la seconde partie de la doctrine trouve que, surtout
après l'affaiblissement de la non admission du divorce pour des raisons
religieuses, le divorce doit être plus libéral et plus large et il
ne doit pas se limiter à un divorce constat d'échec, mais, en
ouvrant la porte à de nouveaux cas de divorce pour permettre aux
époux de choisir librement le cas qui leur est
favorable.83
80 ibid. P.240
81 L. MAZEAUD, « Solution au problème du
divorce », D. 1945, P.11
82 H. FERKH, L'unicité de la notion de
famille en droit musulman et sa pluralité en droit français,
op. cit. P.157, s
83 ibid. P. 160
53
Mais l'idée qui demeure essentielle est, et comme le dit
Monsieur le Doyen H. FULCHIRON : « Les définitions du mariage
et du divorce ont d'étroites relations : celle du mariage commande celle
du divorce... »84 et inversement.
Le droit français se caractérise d'avoir une
pluralité des cas de divorce, mais bien définis, ce qui fait que
les cas de divorce sont prévus à l'avance dans la loi. Il est
vrai que les époux ne peuvent savoir quel est le cas de divorce qui sera
la cause de leur divorce ( surtout qu'au moment du mariage, l'idée est
qu'il est conclu comme un lien indissoluble ) mais ils savent malgré
cela que si le droit français est applicable au lien quelles seront les
causes de divorces possibles.
Malgré la pluralité des cas de divorce qui se
trouvent actuellement en droit français, la question se pose toujours
pour l'influence de la tradition catholique sur le droit français de la
famille surtout pour la séparation de corps ( A ). En
revanche cette pluralité a tendance à rapprocher le droit
français du droit égyptien ce qui facilite la comparaison entre
les deux droits ( B ).
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