Section III - LE PROBLEME DE LA CORRUPTION EN
ARBITRAGE INTERNATIONAL
167. Comme le montre cette étude,
l'indépendance et l'impartialité sont garanties par
différents moyens. Cependant, you cannot make people honest by Act
of Parliament, comme le dit le proverbe anglais.110 Dans la
pratique de l'arbitrage international, nous pouvons observer que ce domaine
n'est pas à l'abri des dérives de la corruption. Même si
les arbitres sont supposés être et rester impartiaux, en raison de
la nature particulière de l'arbitrage, c'est-à-dire à part
des procédures étatiques, et la limitation de l'intervention
judiciaire dans les processus arbitraux peut ouvrir la voie à la
corruption.
168. En effet, il serait plus facile pour les parties dans
une justice privée de donner de l'argent ou des avantages à
l'arbitre en échange d'une faveur lors de l'arbitrage. Dans certaines
situations, le financement peut même venir d'argent public et dans ce
cas, ce serait reconnu dans le monde entier comme contraire aux lois de police.
Lorsque ce n'est pas le cas, la prohibition de la corruption dépendra de
la loi applicable qui peut différer considérablement d'un
système à un autre.
169. La corruption pure est souvent distinguée du
trafic d'influence* qui peut être examiné de manière moins
stricte dans de nombreux états111, comme la Suisse ou
109 Cour de Cassation, Civ. 1ère, 06 mai 2009, n°
08-10.281
110 [Vous ne pouvez pas rendre les gens honnêtes par un
acte du Parlement], «The Reader's Digest Great Encyclopaedic
Dictionary», Vol 3, 3rd Edn, March 1979, published by the reader's digest
association.
111 Affaire CCI no. 7047 (1994), westacre v Jugoimport (1995) ASA
Bull. 301.
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internationaux
l'Angleterre. Dans d'autres états, ces concepts sont
considérés de la même manière, comme en France
où le trafic d'influence est prohibé et assimilé à
de la corruption.112
170. La corruption peut concerner le contrat qui est la base
de l'arbitrage, ou les procédures arbitrales. Dans notre étude,
il est intéressant de se concentrer sur la corruption lors du
déroulement de l'arbitrage, qui est manifestement une atteinte à
l'indépendance et à l'impartialité de l'arbitre.
171. Lorsque l'on révise une sentence en raison de la
corruption de l'arbitre, la question qui se pose alors est l'étendue du
standard de preuve, qui dépendra de la loi applicable à la Cour
qui révise la sentence.113 De plus, certaines règles
institutionnelles ont réglé la question de la preuve, comme par
exemple les Règles de l'IBA sur l'administration de la preuve dans
l'arbitrage international114. Les tribunaux anglais exigent «
un degré de probabilité proportionné à
l'occasion » 115 et les systèmes civilistes européens
exigent de même un standard de preuve élevé. Ainsi, il doit
être mentionné que :
Dans l'arbitrage international, il est sensé
d'imposer un standard de preuve à la partie qui soulève une
défense basée sur une allégation de corruption. [...]
Autrement, il serait simple d'une manière tentante pour le
défendeur de soulever une allégation de corruption, sans preuve
à l'appui, principalement dans le but de déplacer la charge de la
preuve sur le demandeur et ainsi d'améliorer ses chances d'éviter
l'obligation de paiement issues du contrat.116
172. Il faut relever que certaines institutions arbitrales
mentionnent directement la corruption en tant que fondement d'une annulation de
sentence.117 Lorsqu'il n'est pas possible d'annuler la sentence en
raison de l'absence de compétence juridictionnelle d'un tribunal, la
possibilité sera de refuser l'exécution de la sentence rendue par
un arbitre corrompu sur le fondement de l'Ordre Public. Ainsi, la Convention de
New York prévoit dans son article V :
« La reconnaissance et l'exécution d'une
sentence arbitrale pourront aussi être refusées si
l'autorité compétente du pays où la reconnaissance et
l'exécution sont
112 Code Pénal français, Art. 433-1 and 433-2.
113 M.SCHERER, « Circumstantial evidence in corruption
cases before international arbitral tribunals », International Arbitration
Law Review, Vol 5, Issue 2, Sweet and Mawell. 2002,
114 IBA Rules on Taking of Evidence in International Commercial
Arbitration, 1 June 1999, Article 9.1.
115 E.EVELEIGH, « Général Standards of
Proof in Litigation and Arbitration Generally, 1994, 10 Arb Int 3, 334, cited
in A.T. MARTIN, «International Arbitration and Corruption: an Evolving
Standard», 20th Annual Institute for Transnational Arbitration, June,
2009, available at:
http://www.timmartin.ca/qualifications/publications
116 Traduction par mes soins d'un extrait de J. ROSSEL and H.
PRAGER, « Illicit Commissions and International Arbitration : The question
of Proof », 1999, Arb Int Vol. 15, No 4 at p. 348, cited in A.T. MARTIN,
«International Arbitration and Corruption: an Evolving Standard», op.
cit. n° Erreur ! Signet non défini..
117 ICSID Convention, Article 52 (c), «that there was
corruption on the part of a member of the Tribunal»
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internationaux
requises constate [...] que la reconnaissance ou
l'exécution de la sentence serait contraire à l'ordre public de
ce pays »118
173. C'est ce que la Cour anglaise a statué par
exemple dans l'affaire Soleymany v Soleymany119 où
une sentence corrompue comme il apparaissait dans cette affaire directement,
était contraire à l'Ordre Public anglais, même si elle
était conforme à la loi juive applicable au contrat, et a pour
cette raison refusé la reconnaissance et l'exécution de cette
sentence. Néanmoins, la cour anglaise a refusé d'aller plus loin
que la sentence, si la corruption alléguée n'est pas assez
sérieuse pour être condamnée
universellement.120
174. Un autre moyen de réviser une sentence semble
s'appliquer devant les tribunaux des systèmes européens
civilistes, comme la Cour d'Appel de Paris121 par exemple, qui
réexamine tous les éléments légaux et factuels pour
déterminer si la sentence doit être annulée pour des
raisons d'ordre public. Cela peut même être étendu à
un examen du contrat de base.
175. En outre, certains Etats ont adopté des
provisions spéciales dans le but d'empêcher la corruption, comme
l'Inde, avec une version modifiée de la Loi-Modèle
CNUDCI.122 Selon cette version, « pour éviter le
doute » et « sans limiter la généralité
» des articles 34 et 36 (pour la Loi-Modèle), une sentence est
contraire à l'ordre public si : « la prise de décision
de la sentence a été induite ou affectée par de la fraude
ou de la corruption ».
176. Cependant, si l'on s'intéresse un peu plus
précisément à l'Inde, évidemment pas dans le but de
pointer du doigt cet état en particulier, mais uniquement en tant
qu'étude de cas, il apparait qu'il y a pratiquement beaucoup de
corruption dans l'arbitrage.123 La pratique du Backchich,
nom persan pour décrire la corruption, a malheureusement un impact sur
l'arbitrage international mené en Inde exactement comme pour la justice
d'état.
177. Le problème majeur vient de l'Arbitration and
Conciliation Act 1996, qui prévoit que dans le cas d'une remise en cause
de l'arbitre, « le tribunal arbitral devra décider sur la
remise en cause »124, donnant ainsi le pouvoir à
l'arbitrage de juger de son indépendance et ou de son
impartialité.
118 Article V (3), Convention pour la reconnaissance et
l'exécution des sentences arbitrales étrangères, New York,
10 juin 1958.
Convention on the Recognition and Enforcement of Foreign
Arbitral Awards, New York, 10 June 1958, Article V.
119 Soleymany v Soleymany, 1999, QB 785.
120 Omnium De Traitement et de Valorisation S.A. v. Hilmarton
Limited, [1999] 2 Lloyds Rep 222
121 CA Paris, 30 septembre 1993, European Gas Turbines SA v
Westman International Ltd, (1994) Rev. Arb. 359
122 Arbitration and Conciliation Act 1996, article 48(2).
123 J. C. SETH, «Corruption and Miscarriage of Justice in
Arbitration», Indian Council of Arbitration, Vol XLIX, January-March 2011,
p. 17.
124 Arbitration and Conciliation Act 1996, Section 13 (3) and
(4), Indian Bare Act, No.26 of 1996, 16 August 1996.
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178. M. Seth, avocat à la Cour Suprême Indienne,
suggère une solution pour éviter un tel danger de corruption dans
l'arbitrage. En fait, pour assurer aux parties que l'arbitre n'est pas «
biaisé, corrompu ou indiscipliné », cela doit
être un moyen de s'assurer que « les bonnes personnes sont
nominées comme arbitre. » Dans cette fin, un panel d'arbitre
doit être mis en place incluant uniquement des arbitres
contrôlés et vérifiés, qui seraient mis sur une
liste noire en cas de corruption.125
179. Finalement, de tels problèmes de corruption dans
les procédures arbitrales ont mené à un évitement
des clauses arbitrales, par peur d'une justice inéquitable rendue par
l'arbitrage. C'est bien sur un danger réel pour la concurrence, en
raison de la nécessité d'utiliser des clauses arbitrales pour
être compétitif avec les autres contractants du marché.
180. Il faut espérer que les récents
changements dans la conception de la Haute Cour indienne concernant la remise
en cause d'un arbitre partiel126 vont pouvoir influer positivement
sur les problèmes de corruption. Le succès de l'action du
mouvement contre la corruption en Inde (« India Against Corruption
»), qui combat la corruption, avec M. Anna Hazare à sa
tête, a été à l'origine de la résolution
récente du Parlement Indien de prendre des mesures contre la corruption,
et semble être un pas considérable pour la guerre indienne contre
la corruption.
125 J. C. SETH, «Corruption and Miscarriage of Justice in
Arbitration», op. cit. n° Erreur ! Signet non
défini., p. 18-19.
126 Indian High Court, 15 July 2009, cited in J. C. SETH,
«Corruption and Miscarriage of Justice in Arbitration», op. cit.
n° Erreur ! Signet non défini., p. 19.
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