Section II - L'UTILISATION DES PROCEDURES DE
CONTESTATION DE L'INDEPENDANCE OU DE
L'IMPARTIALITE DE L'ARBITRE A DES FINS DILATOIRES
159. Pour garantir l'indépendance et
l'impartialité, comme nous l'avons remarqué
précédemment, les parties peuvent remettre en cause l'arbitre
pour non-respect de ces exigences. Néanmoins, les parties peuvent aussi
abuser de cette garantie malheureusement.
100 L. TRAKMAN, « The impartiality and Independence of
Arbitrators reconsidered », UNSWLRS 25, 2007.
101 L. TRAKMAN, « The impartiality and Independence of
Arbitrators reconsidered », op. cit. n° Erreur ! Signet non
défini..
102 Y. COLORADO, « Arrêt Tecso, CA Paris 10 Mars
2011 : une obligation d'indépendance et d'impartialité à
l'égard des conseils ? »,
http://maci-uvsq.com/2011/03/21/arret-tecso-ca-paris-10-mars-2011-une-obligation-dindependance-et-impartialite-a-legard-des-conseils/
103 L. TRAKMAN, « The impartiality and Independence of
Arbitrators reconsidered », op. cit. n° Erreur ! Signet non
défini..
104 L. TRAKMAN, « The impartiality and Independence of
Arbitrators reconsidered », op. cit. n° Erreur ! Signet non
défini.
105 « arbitration practice is more and more
influenced by very restrictive tendencies and that overly strict rules may
limit the availability of qualified arbitrators. », Preliminary Draft
Report, Conférence de l'IBA à Durban, 2002.
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L'indépendance et l'impartialité des arbitres
internationaux
160. Récemment, John Beechey, président de la
Cour d'Arbitrage de la CCI, a mentionné qu'il y avait une hausse des
remises en causes des arbitres d'une forme particulièrement
pernicieuse.106 En effet le nombre de remises en cause de
l'indépendance ou de l'impartialité de l'arbitre a connu une
augmentation considérable depuis 20 ans :
«The increasing use of strategic challenges to
arbitrators' independence is a blight on arbitration today. Deliberate attempts
to compromise arbitrators' independence are frequent and come in various
forms.»107
161. Certaines institutions internationales fournissent des
règles strictes pour la remise en cause des arbitres dans le but
d'éviter les tactiques dilatoires. Ainsi, l'article 13 (3) de la
Loi-Modèle de la CNUDCI prévoit un délai quand la remise
en cause est portée devant une Cour et la décision rendue ne sera
pas susceptible d'appel.
162. Cependant, l'approche subjective de
l'indépendance et de l'impartialité est une porte ouverte aux
tactiques dilatoires. Les parties peuvent remettre en cause l'arbitre pour
différentes causes plus ou moins pertinentes, dans le but de retarder ou
d'interrompre les procédures. Ainsi, une sentence avait
été l'objet d'une demande de remise en cause devant la Cour
d'Appel de Paris en raison d'un usage commun dans la profession des comptables
de se tutoyer.108 Suite aux explications de l'arbitre, la Cour
d'Appel française a estimé que l'indépendance et
l'impartialité de l'arbitre dans de telles circonstances ne pouvait pas
être remises en cause. Cet exemple montre comment les parties peuvent
chercher à retarder les procédures même si le doute est
mineur quant à l'indépendance et l'impartialité.
163. Un principe connu de Common Law pourrait constituer une
solution en réponse à l'utilisation de cette remise en cause
à des fins dilatoires : le principe de l'estoppel*, qui limite
ou exclut la possibilité de remettre en cause l'arbitre dans la plupart
des règles internationales. Le principe de l'estoppel tend
à protéger la confiance des parties dans les procédures en
sanctionnant l'incohérence et les argumentations contradictoires. Dans
l'arbitrage, cela concerne par exemple une partie qui, en connaissance des
faits incriminants, n'a pas, dans un premier temps, émis d'objection
à la désignation de l'arbitre et souhaite par la suite remettre
en cause cette désignation.
106 «There has been a growth in a "particularly
pernicious" form of tactical challenge to arbitrators [...]», Global
Arbitration Review, 28 mars 2011.
107 [L'usage croissant des stratégies de remise en
cause de l'indépendance des arbitres sont une défiguration de
l'arbitrage actuel. Les atteintes délibérées à
l'indépendance de l'arbitre sont fréquentes et de formes
variées.+, M. EL KOSHERI, K. YOUSSEF, « The independance of
international arbitrators: An arbitrator's Perspective », ICC Bulletin
2007, (Special Supplement), at p. 48, cité dans S.R LUTTREL, «Bias
challenges in international arbitration: the need for a `real danger
test'», thèse présentée à l'Université
de Murdoch le 15 septembre 2008.
108 Cour d'Appel de Paris, 12 novembre 1998,
société financière Azzaro Finazza et autres c/ Cattan
Alfred et autres, non publié.
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internationaux
164. Le principe de l'estoppel a été
utilisé pour la première fois par la Cour de Cassation le 6 mai
2009, complétant le principe préexistant de la loyauté
procédurale.109 Dans les arrêts
précédents, la Cour de Cassation avait eu recours à des
périphrases dans le but de ne pas utiliser directement le terme de
Common Law, alors que, dans cette dernière décision la cour a
appliqué expressément le principe de l'estoppel en tant
que principe de loyauté procédurale pour l'arbitrage
international.
165. La Cour d'Arbitrage de la CCI permet les demandes de
remise en cause, même en situation d'estoppel. Cependant, en
raison des règles strictes de remise en cause qu'elle prévoit, il
y peu de chance que cette remise en cause aboutisse.
166. Il semble urgent de stopper la hausse de ces recours
à la remise en cause comme un moyen d'entraver la rapidité des
procédures, qui est pourtant un aspect fondamental de l'arbitrage
international. La plupart des institutions arbitrales ont instauré des
moyens pour combattre les tactiques dilatoires des parties, en prévoyant
des limitations ou des exclusions contractuelles de la responsabilité de
l'arbitre.
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