Section II - LA RESPONSABILITE DE L'ARBITRE EN CAS DE
COMPORTEMENT FAUTIF
137. En plus des conséquences pour l'arbitrage
lui-même, le manque d'indépendance et d'impartialité de
l'arbitre peut aussi mettre en jeu la responsabilité de l'arbitre. C'est
pourquoi il conviendra de s'intéresser à l'approche de la
responsabilité de l'arbitre dans le systèmes français et
ceux de Common Law (§1), et par la suite rechercher la manière dont
les institutions internationales d'arbitrage conçoivent cette
responsabilité (§2).
§ 1. COMPARAISON ENTRE LE SYSTEME FRANÇAIS
ET LE SYSTEME
ANGLO-SAXON
138. Les ordres juridiques français et anglo-saxon
présentent deux visions différentes relatives à la
question de la responsabilité de l'arbitre. La fonction d'arbitre a
per se une nature double : des missions contractuelles et des missions
judiciaires. Alors que le système français a choisi de
considérer le contrat comme fondement de la responsabilité de
l'arbitre,
89 Cour d'Appel de Paris, 9 avril 1992,
Société Annahold BV et al v l'Oreal, Rev. Arb. 483,
1996.
90 AT&T v Saudi Cable, op. cit. n°
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L'indépendance et l'impartialité des arbitres
internationaux
le système anglais préfère le respect de
la mission judicaire en donnant à certains arbitres une
immunité.
139. En effet, le système français donne la
priorité à la responsabilité contractuelle de l'arbitre.
Etant donné que l'arbitrage est basé sur une convention
d'arbitrage (compromis ou clause compromissoire), les parties et l'arbitre sont
liés par une relation contractuelle. Ainsi, l'arbitre qui ne respecte
pas ces exigences pourra voir sa responsabilité engagée par les
parties.
140. Par exemple, l'arbitre qui viole l'obligation de
révélation devra compenser la perte financière d'une des
parties due à son comportement. C'est pour cette raison que le
président d'un tribunal arbitral a été tenu responsable et
a donc dû payer des dommages et intérêts à l'une des
parties pour les honoraires payés pour l'arbitrage et pour la
défense.91
141. La responsabilité dans le système anglo
saxon est limitée à certaines circonstances seulement. Ainsi
l'arbitre sera tenu pour responsable seulement si sa conduite pouvait
être qualifiée de fraude, de faute professionnelle intentionnelle
ou de mauvaise foi.92
142. Concernant l'immunité de l'arbitre, l'ordre
juridique français est plutôt limité à certaines
situations où la même immunité sera appliquée aux
juges et aux arbitres. Cependant, la responsabilité des arbitres doit
être distinguée selon leur nature. D'une part, une obligation de
résultat, ce qui signifie que l'arbitre doit garantir l'accomplissement
effectif de son obligation, s'applique pour des obligations telles que la
participation aux audiences ou la signature de la sentence. D'autre part,
l'obligation de moyen, c'est-à-dire montrant que l'arbitre a fait tout
ce qui était en son possible pour respecter ses obligations, même
si le résultat n'est pas garanti, concerne l'obligation
d'indépendance et d'impartialité. Cela signifie que la
responsabilité est plus flexible pour l'obligation de
révélation. Si l'arbitre peut montrer qu'il a fait tout ce qui
pouvait être attendu de lui, par exemple de révéler tous
les faits susceptibles de porter atteinte à son indépendance et
impartialité, alors il ne sera pas responsable. Ceci n'est pas une
immunité mais bien une flexibilité plus étendue.
143. Au contraire, l'ordre juridique de Common Law garantit
une immunité pour l'arbitre. Selon l'English Arbitration Act 1996, un
arbitre ne peut être tenu pour responsable pour quelque chose qu'il
aurait fait ou omis de faire dans le cadre de ses fonctions d'arbitre sauf s'il
est démontré que l'acte ou l'omission ont été
faites en mauvaise foi.93
91 Tribunal de Grande Instance de Paris, 12 mai
1993, Raoul Duval v V, Rev. Arb. 411, 1996, confirmé par Cour
d'Appel de Paris, 12 octobre 1995, Rev. Arb. 324, 1999, et the Cour de
Cassation, 16 décembre 1997, non publié.
92 Article 74 (1), English Arbitration Act 1996.
93 English Arbitration Act 1996, Section 29.
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L'indépendance et l'impartialité des arbitres
internationaux
144. Le principe de l'immunité judiciaire pour les
juges existe depuis longtemps en Angleterre et il a été garanti
pour l'arbitrage aussi dans l'affaire Sutcliffe v
Thackrah94 et Arenson v Casson Beckman Rutley &
Co95. Il avait été décidé
que, puisque les arbitres sont dans une position comparable à celle des
juges, dans le sens où ils entreprennent les mêmes missions, la
loi a, depuis des générations reconnu que l'ordre public exige
que les arbitres doivent se voir accorder l'immunité aussi.
145. Pour conclure, avec l'immunité, les arbitres
peuvent faire leur travail sans constamment être dans la peur de devoir
se défendre devant les cours étatiques.96 Cependant,
les arbitres français ont trouvé des stratégies pour
éviter certaines situations, même si ce n'est pas aussi efficace
que l'immunité. Il est possible en fait d'instaurer une clause
limitative de responsabilité dans la convention d'arbitrage. De plus,
les arbitres français peuvent souscrire à une assurance qui
couvrira la responsabilité due à sa fonction d'arbitre.
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