Chapitre 2 - UNE EXIGENCE D'INDEPENDANCE ET
D'IMPARTIALITE AU NIVEAU NATIONAL ET INTERNATIONAL
84. L'indépendance et l'impartialité sont des
exigences fondamentales pour un arbitrage
équitable. Comme nous l'avons démontré
précédemment, cela concerne toutes les étapes du processus
arbitral. De plus, la garantie d'indépendance et d'impartialité
est aussi exigée au sein des différents niveaux de la
hiérarchie des normes. La dimension verticale doit être
étudiée, puisque comme nous le verrons ci-après, les
parties peuvent choisir quelle loi appliquer à l'arbitrage.
Conformément au cadre défini pour cette étude, nous
comparerons ces exigences d'indépendance et d'impartialité dans
le système français et dans le système de Common Law
(Section 1). Cela nous conduira à examiner le niveau Européen et
international, puisque considérer le droit français et le droit
anglo-saxon implique automatiquement de prendre en considération le
droit européen et international (Section II).
Section I - L'APPREHENSION DES EXIGENCES D'INDEPENDANCE
ET D'IMPARTIALITE DANS LE
DROIT FRANÇAIS ET LE DROIT ANGLO-SAXON
85. L'indépendance et l'impartialité, comme
nous avons pu l'établir, sont des points centraux pour la plupart des
institutions internationales d'arbitrage et pour cela dans les règles
internationales. Cependant, la question peut se poser dans différents
fora.
86. En effet, la base de l'arbitrage vient initialement de la
convention d'arbitrage. Celle-ci sera importante lors de l'arbitrage pour
deux raisons : le contrat soumet le litige à l'arbitrage, interdisant
les recours devant les tribunaux étatiques ; et deuxièmement, il
détermine la juridiction compétente pour l'arbitrage.
87. La détermination de la juridiction
compétente dans la convention d'arbitrage est changeante d'un contrat
à un autre. Aucune forme stricte n'est requise pour la convention et la
détermination de la juridiction compétente n'est pas
nécessaire. Par ailleurs, le contrat peut désigner la loi
applicable au litige.
88. Il est important de distinguer la loi applicable au
contrat lui-même qui lie les parties entre elles, et la loi applicable
à la Convention d'arbitrage, qui est le plus souvent conclu
séparément. Dès lors, la loi applicable au contrat
principal peut être différente de la loi applicable à la
Convention d'arbitrage, en raison de l'autonomie des parties ou
d'éléments concrets reliant les deux contrats à des lois
différentes, en l'absence de loi applicable désignée.
89. Lorsque les parties n'ont pas prévu la loi
applicable à leur contrat et/ou à leur arbitrage, il peut
arriver que dans le cas de la remise en cause de la convention d'arbitrage, le
conflit de loi quant à la loi à appliquer pour déterminer
l'existence ou non de la convention d'arbitrage sera réglé
conformément à la loi du Tribunal arbitral. Cependant, la
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L'indépendance et l'impartialité des arbitres
internationaux
vision anglaise de ce point est différente, puisque les
Anglais sont enclins à considérer que si aucun choix de loi n'a
été fait dans la Convention d'Arbitrage, et si aucune mention
expresse ne l'interdit, le choix de loi applicable du contrat principal sera
étendu à la Convention d'arbitrage.49
90. Même si la détermination de la loi
applicable aux procédures arbitrales est une question
intéressante50, notre présentation du choix de loi
applicable se limitera aux points mentionnés, et nous allons
étudier les cas où la loi a été
désignée comme applicable est loi française ou celle d'un
pays de droit anglo-saxon. Cela nous permettra de comparer ces deux ordres
juridiques concernant l'approche des exigences d'indépendance et
d'impartialité par les cours nationales et les législations
nationales.
91. La Constitution française proclame dans son
article 64 l'indépendance de la justice en général.
Concernant l'arbitrage, les règles du système français
sont codifiées dans le Code de Procédure Civile, qui a
été révisé par un Décret du 13 janvier 2011.
Alors dispose de règles sur l'arbitrage interne dans les articles 1442
à 1503, l'arbitrage international est, quant à lui,
organisé dans le Titre second, de l'article 1504 à 1527.
92. Depuis janvier 2011, les exigences d'indépendance
et d'impartialité sont visées par l'article 1456 pour
l'arbitrage interne. En arbitrage international, même s'il est
procédé par renvoi aux règles concernant l'arbitrage
interne, il n'y a aucune mention de l'exigence d'impartialité et
d'indépendance dans les règles internationales françaises
d'arbitrage.
93. Néanmoins, c'est un principe
généralement accepté dans la tradition légale
française et la jurisprudence* française, même si elle
n'a pas l'effet de stare decisis* propre au système anglo-saxon
de la Common Law, donne une importance relativement importante à
l'indépendance et à l'impartialité dans de nombreuses
décisions. Dès lors, la Cour d'Appel a énoncé dans
l'arrêt Etat du Quatar c/ Sté Creighton51 que
l'indépendance et l'impartialité sont : « l'essence de
la fonction juridictionnelle, exclusive par nature de tout lien de
dépendance à l'égard notamment des parties et de tout
préjugé »
94. Par ailleurs, les juridictions françaises, exigent
l'indépendance et l'impartialité des arbitres non seulement
envers les parties, mais aussi envers leurs conseils. Cette extension de
l'exigence pour l'arbitrage interne a été consacrée
notamment par une décision de la Cour d'Appel, aussi connue sous le nom
de l'arrêt Tecso. 52 En l'espèce, l'arbitre
n'avait pas respecté son obligation de révélation, en
n'informant pas les parties de sa relation avec le cabinet d'avocats
Freshfields, puisque le conseil de l'une des parties appartenait au même
cabinet d'avocats, tout en agissant indépendamment. La Cour d'Appel a
décidé que la non-
49 F. RUSSEL, «Russel on arbitration», 23rd
Edn, Sweet and Maxwell, 2007
50 Pour plus d'informations sur la loi applicable
à la Convention d'arbitrage, cf. A.V. DICEY, «Dicey, Morris and
Collins on conflict of laws», 14th Edn, Sweet and Maxwell,
2006.
51 Cass. 1ère Civ., 16 mars 1999,
Rev. Arb. 1999. 308, Etat du Quatar c/ StéCreighton.
52 CA Paris 10 mars 2011, Arrêt Tecso, RG
09/28537.
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L'indépendance et l'impartialité des arbitres
internationaux
révélation était de telle nature qu'un
doute raisonnable à propos de l'indépendance et
impartialité de l'arbitre était raisonnable. Il y a fort à
penser que ce cas entrainera des conséquences, et il sera important
à l'avenir de voir si la Cour étendra cette interprétation
aux arbitrages internationaux.
95. Comme le prévoit le Code Civil français, le
Juge d'appui* est le juge compétent pour le règlement
des litiges relatifs à l'arbitrage, tels que les procédures de
désignation, les litiges sur la constitution du tribunal ou encore
l'indépendance et l'impartialité du tribunal arbitral. De plus,
la Cour de Cassation a étendu le pouvoir du Juge d'appui lorsqu'elle a
décidé qu'un juge, appelé pour un litige relatif à
la désignation de l'arbitre, n'a pas surpassé ses pouvoirs
lorsqu'il a examiné l'indépendance et l'impartialité de
l'arbitre désigné par la partie adverse.53
96. D'une part, une décision de la Cour de Cassation
française nous donne une des caractéristiques importantes de
l'arbitrage international.54 Il est statué que le fait pour
un arbitre d'avoir précédemment administré en tant
qu'arbitre à propos d'une dispute entre l'une des parties et un des sous
contractants de cette même partie n'est pas une atteinte à son
impartialité, tant que la dispute ne concerne pas la relation de la
société avec l'autre partie au litige. Cela confirme bien le fait
qu'un arbitre, une fois désigné par les parties, n'est pas
dépendant de l'autre partie. Ainsi, une précédente
désignation n'est pas un signe de partialité en soi. De plus,
cela montre aussi que l'arbitre n'est pas obligé de
révéler une telle relation antérieure.
97. D'autre part, une autre caractéristique
essentielle de l'exigence d'indépendance et d'impartialité est
donnée par une autre décision de la Cour de
Cassation55, concernant la conformité à ces exigences
dans le cas où l'arbitre est impliqué dans un arbitrage
parallèle. Il avait été constaté qu'ipso facto,
ce n'était pas un manque d'impartialité. Cependant, le
principe du contradictoire implique que l'information issue de l'arbitrage
parallèle devait être divulguée aux parties, dans le but de
leur donner le droit de répondre avec des contre-arguments. Dans cette
situation particulière, l'arbitre était malhonnête de
surcroit, et il avait été décidé qu'en raison de la
fraude et de la violation des droits de la défense, la sentence ne sera
pas reconnue, conformément à la Convention de New York, puisque
c'était une atteinte à l'Ordre Public français.
53 Cour de cassation, Civ. 1ère, 20 juin
2006, n° 05-17019, commentaires : G. CHABOT, "L'exacte étendue des
pouvoirs du juge d'appui", JCP Général, 2006, n° 39, 27
septembre, Jurisprudence, p. 1806 à 1808 et "Le juge d'appui qui
désigne un arbitre peut assortir la désignation d'une mesure
propre à favoriser la confiance des parties", Semaine juridique
édition générale, 2006, n° 46, 15 novembre, chronique
de droit de l'arbitrage, p. 2098
54 E. LOQUIN, « La désignation d'un
arbitre dans un arbitrage antérieur par l'une des parties ne porte pas
atteinte à son indépendance. », RTD Com 1999, p 850 (TGI
Paris, 22 February 1998, unpublished, SARL SuperCham c/ M. X ; Cass.
1ère Civ., 16 March 1999, Rev. Arb. 1999. 308, Etat du Quatar
c/ StéCreighton)
55 J.C. DUBARRY, Cass. Civ., 24 mars 1998,
Sté Excelsior Film TV c/ Sté UGC-PH, Bull. Civ. I, n° 121,
RTD Com 1998 p 837.
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L'indépendance et l'impartialité des arbitres
internationaux
98. Finalement, concernant les règles arbitrales
internationales, on peut noter que les tribunaux français ont
été peu enclins à laisser de côté des
sentences arbitrales pour manque d'impartialité et
d'indépendance, et préfèrent dès que possible
recourir au dessaisissement de l'arbitre.
99. Après avoir souligné les
caractéristiques des règles françaises d'arbitrage, il
est nécessaire de pouvoir les comparer à l'ordre juridique
anglo-saxon, en particulier avec les règles et les statuts. Même
si l'impartialité avait déjà été
assurée par l'Arbitration Act 195056, il
n'était pas fait état de l'indépendance jusqu'à
l'Arbitration Act 199657 qui a énoncé que
l'arbitre doit agir équitablement et impartialement et donner à
chaque partie la possibilité de se défendre et de mener à
bien son cas face à la partie adverse. 58 De plus, une partie
peut saisir les juridictions si des circonstances apparaissent et donnent lieu
à un doute légitime sur son impartialité.59
100. Le système de Common Law fonctionne sur le
principe du précédent. De ce fait, la jurisprudence lie les
tribunaux inférieurs à la juridiction qui rend la
décision. C'est pour cela qu'il convient d'étudier les cas les
plus importants en matière d'arbitrage international, puisque ces
arrêts sont une véritable source de droit.
101. La particularité des règles anglaises
d'arbitrage concerne le test du parti pris. Dans le cas AT&T
Corporation v Saudi Cable Co60, le système du test a
été appliqué à un arbitrage gouverné par le
Règlement d'arbitrage de la CCI. Se soumettre au test61 est
devenu une partie inexorablement liée à déterminer si les
exigences d'indépendance et d'impartialité ont été
respectées ou non. De plus, le test anglo-saxon du parti pris est
applicable à l'arbitrage exactement comme il l'est pour les
procédures étatiques. C'est l'arrêt R v Gough qui
avait introduit cet élargissement pour la première fois,
puisqu'il avait énoncé qu'il devait en être de même
pour tous les cas de parti pris, que ce soit avec des juges, des membres des
tribunaux inférieurs, des jurés ou des arbitres.62
56 English Arbitration Act 1950, chapter 27 14 Geo
6
57 English Arbitration Act 1996, chapter 23, 17 June
1996
58 Section 33 (1) (a) of English Arbitration Act 1996,
chapter 23, 17 June 1996
59 Section 24 (1) (a) of English Arbitration Act 1996,
chapter 23, 17 June 1996
60 AT&T Corporation v Saudi Cable CO, APP.L.R
05/15, 2000.
61 K. QURESHI, «Passing the bias test », 5
May 2006, New Law Journal 2006, Vol 156 No. 7223 Pages 744-745.
62 R v. Gough, 1993, AC 646, UKHL 1.
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L'indépendance et l'impartialité des arbitres
internationaux
102. Par ailleurs, la décision adoptée
dans le cas récent de Jivraj v
Hashwani63 a établi une
distinction entre l'arbitrage et l'emploi. Dans cette espèce, la
convention arbitrale prévoyait une exigence pour l'arbitre d'être
de la communauté Ismaili, et dans les faits, un arbitre non Ismaili
avait été désigné. Cet Appel contestant la
désignation de l'arbitre avait été considéré
comme recevable, au motif que l'exigence relative à la religion dans
cette clause d'arbitrage n'avait pas à se conformer à l'exception
de « genuine occupation requirement
»64, c'est-à-dire aux exceptions prévues à
la loi anti-discrimination lors d'un emploi. En effet cette exigence religieuse
imposée par les parties est une manière de construire une
relation de confiance dans le processus arbitral, permettant d'éviter
des doutes quant à la partialité de l'arbitre en raison de son
appartenance à autre communauté.
103. Enfin, il est important de mentionner que
la High Court of Justice du Royaume Unie a
établi la possibilité de suspendre les procédures devant
les cours étatiques si des procédures arbitrales se
déroulent hors du Royaume-Uni entre des parties liées, même
différentes65. Dans l'espèce qui était en
cause, le plaignant ne faisait pas confiance au système juridique
étranger notamment concernant l'indépendance et
l'impartialité du tribunal arbitral. Cependant, conformément
à la Convention de New York, le Queen's Bench (chambre de la High Court
of Justice) a pris la bonne décision, à savoir que l'appel du
plaignant a été rejeté, en respect de l'exécution
des sentences arbitrales étrangères et de la confiance dans le
tribunal arbitral étranger, si les preuves apportées dans leur
ensemble ne sont pas suffisantes pour persuader la Cour que le Distributeur [le
plaignant] serait vraiment désavantagé s'il soumettait son cas
à la KCAB *Korean Commercial Arbitration Board+ ou ne recevrait pas une
audience équitable et réelle.66
104. Les approches des systèmes civilistes et
de la Common Law semblent donc bel et bien exiger l'indépendance et
l'impartialité des arbitres. Cependant, le système
français tend à déterminer principalement l'étendue
de ces garanties et le cadre légal de l'indépendance et de
l'impartialité, alors que le système de Common Law cherche
à concentrer ses efforts sur la mise en place d'un test, dans le but de
vérifier si ces exigences sont respectées. Néanmoins,
même si ces deux ordres juridiques ont des mécanismes
différents, les dernières décennies ont mis en
évidence un vent d'unification dans le sein de l'Union Européenne
et du droit international, comme nous allons pouvoir le constater.
63 Jivraj v Hashwani,
2011, UKSC 40, comments : R. CRASNOW , «Making light work»,
Solicitors Journal S.J, 2011,
Vol.155 No 30, page 9 and comment of 27 July 2011
:
http://www.solicitorsjournal.com/story.asp?sectioncode=2&storycode=18756&c=1&eclipse_action=getsession
64 Regulation 7, Employment
Equality (Religion or Belief) Regulations 2003.
65 Ssangyong motor
distributors Ltd v (1) Daewoo Cars Ltd (2) Daewoo Corporation, 23 May 1999, QBD
(Wright J).
66 «the
evidence as a whole was not sufficiently cogent to persuade the court that
Distributors [the plaintiff] would be under any real disadvantage in presenting
their case to the KCAB [Korean Commercial Arbitration Board] or would not
receive a fair and proper hearing.», Ssangyong motor
distributors Ltd v (1) Daewoo Cars Ltd (2) Daewoo Corporation, 23 May 1999, QBD
(Wright J).
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