Section II - UNE GARANTIE EUROPEENNE ET INTERNATIONALE
:
LE DROIT AU PROCES EQUITABLE
105. De nos jours, le Droit au Procès Equitable fait
partie intégrante des droits fondamentaux des individus. De nombreux
ordres juridiques ont transcrit ce droit fondamental qui vient originellement
des ordres juridiques Européen et international.
§ 1. LA CONVENTION EUROPEENNE POUR LA PROTECTION ET
LA
SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME (CEDH)
106. La Convention Européenne pour La Protection et la
Sauvegarde des Droits de l'Homme (CEDH) est une des conventions
européennes à laquelle il est le plus fait appel par les
citoyens. Elle est entrée en vigueur le 3 septembre 1953.67
Son article 6 garantit le droit à un procès équitable pour
chacun et plus particulièrement dans le paragraphe (1) le droit à
un tribunal indépendant et impartial.
107. La CEDH a été incorporée dans la
plupart des lois nationales par des mesures de transposition ou de
ratification. Le premier Etat à ratifier la CEDH était le Royaume
Uni en 1951, et le Human Right Act 199868 permet de donner un effet
domestique plus effectif, en facilitant l'accès des individus à
la Cour anglaise. La France, au contraire, a ratifié la CEDH en 1974
uniquement, même si la Cour est basée à Strasbourg.
108. Aucune référence à l'arbitrage
n'est faite ni dans la CEDH, ni dans les travaux préparatoire*.
Dès lors, il convient de s'interroger sur la possible extension de
l'article 6 aux tribunaux arbitraux. Il est très compréhensible
que la mention de tribunal « établi par la loi
»69 est peu compatible avec le tribunal arbitral, puisque
celui-ci est établi par la volonté des parties à travers
la convention arbitrale. De plus, il est difficile d'appliquer à
l'arbitrage la publicité des procédures puisque l'arbitrage est,
par principe, une justice privée destinée à rester
confidentielle la plupart du temps.
109. Pourtant, même si l'applicabilité directe
de cet article à l'arbitrage ne semble pas explicite, les juridictions
nationales invalideraient de toute façon une sentence ne respectant pas
l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre, pas
nécessairement sur le fondement de la violation de l'article 6, mais
pour une violation de l'Ordre Public.70 De plus, certains auteurs
ont montré que si l'arbitrage n'est pas directement concerné par
cet article, ce principe doit servir d'inspiration à la justice
privée71 tout comme à la justice publique. Tôt
ou tard, l'arbitrage devra se conformer à cet article puisque, dans les
faits, la remise en cause
67 Signée à Rome le 4 novembre 1950 par
les Etats-membres du Conseil de l'Europe.
68 Human Rights Act 1998, 1998, Chapter 42, 9 November
1998.
69 Article 6 (1) of ECHR.
70 P. COURBE, « L'indépendance et
l'impartialité de l'arbitre », Recueil Dalloz, 1999, p 497.
71 C. JAROSSON, « l'arbitrage et la Convention
Européenne des Droits des l'Homme, Rev. Arb. 1989, p.573.
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L'indépendance et l'impartialité des arbitres
internationaux
potentielle des sentences par les cours nationales imposera
petit à petit le respect de ces exigences.
110. Même si la Commission Européenne des Droits
de l'Homme72 et la Cour Européenne des Droits de l'Homme ont
apporté de nombreuses réponses autour de la relation entre
l'arbitrage et la CEDH, il a fallu attendre avril 2008 pour déterminer
si un tribunal arbitral est nécessairement tenu de respecter la CEDH.
111. Dans la plupart des cas, il a été
considéré que la clause arbitrale est une renonciation aux droits
garantis par la CEDH, et par exemple dans X c/ République
fédérale d'Allemagne73, la requête
d'une des parties avançant une violation de l'article 6 (1) a
été déclinée sur le fondement qu'une convention
arbitrale était une renonciation aux droits de la CEDH. Cependant, la
Commission de Droits de l'Homme distingue l'arbitrage volontaire et l'arbitrage
obligatoire. En effet, l'arbitrage obligatoire peut être
considéré comme contraire à l'article 6, comme il avait
été décidé dans l'affaire Bramelid and
Malmstrom v Sweden.74
112. Le 3 avril 2008, dans l'affaire Regent Company v.
Ukraine75, la Cour Européenne des droits de l'Homme a
retenu que le tribunal arbitral était une « cour établie
par la loi », comme défini à l'article 6, même
s'il n'a pas nécessairement le statut d'une cour d'état
traditionnelle. Dans le 54ème paragraphe de ce cas, la Cour a
estimé ce qui suit :
«Article 6 does not preclude the setting up of
arbitration tribunals in order to settle disputes between private entities.
Indeed, the word "tribunal" in Article 6 § 1 is not necessarily to be
understood as signifying a court of law of the classic kind, integrated within
the standard judicial machinery of the country [...]. It further considers that
the Arbitration Tribunal was a "tribunal established by law", acting in
accordance with the 1994 International Commercial Arbitration Act and internal
procedural rules. [...] Under the 1994 Arbitration Act and section 3(1) of the
Enforcement Proceedings Act, the Arbitration Tribunal's award is treated as
equivalent to an enforceable court judgment.»
113. En effet, la Cour a estimé que le tribunal
arbitral international a été établi conformément
aux lois nationales, et pour c'est pour cette raison que la sentence devait
être considérée comme équivalente à un
jugement étatique. De plus, il est important de considérer cette
affaire lorsque l'on cherche à définir les rapports entre
l'arbitrage et la CEDH, et aussi en raison du fait qu'elle étend la
protection donnée à l'article 1 concernant la
72 La Commission Européenne des Droits de
l'Homme était l'entité qui, avant l'entrée en vigueur du
Protocole n°11 (1er novembre 1998), examinait les requêtes des
individus, et lorsque celles-ci étaient fondées, ouvrait un cas
la Cour pour le compte des individus.
73 X v République fédérale
d'Allemagne, 5 mars 1962, 5 Annuaire de la Convention Européenne des
Droits de l'Homme, 1962, Rec 8, 68.
74 Commission Européenne, Bramelid and
Malmstrom v Sweden, 28 Décisions et rapports 18, 1983.
75 Cour Européenne des Droits de l'Homme,
5ème Section, Regent Company v Ukraine, Application
no. 773/03, 3 April 2008.
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L'indépendance et l'impartialité des arbitres
internationaux
possession au tribunal arbitral exactement de la même
manière que pour une décision étatique
finale.76
114. L'affaire Regent Company v Ukraine
s'intéresse pour la première fois aux rapports entre
l'arbitre et l'article 6 de la CEDH. De nombreux commentateurs de cette
décision souhaitent que la solution retenue en l'espèce devienne
décisive en arbitrage international.77
115. En ce qui concerne l'indépendance et
l'impartialité des arbitres, la Cour Européenne des Droits de
l'Homme a connu deux affaires importantes78, et a refusé dans
ces deux cas de prendre une décision, puisque les litiges devaient
être réglés selon les règles arbitrales
applicables.
116. La Cour Commercial Anglaise a considéré
que « lors de l'exercice de son rôle de supervision sur les
processus arbitraux, elle n'est pas à l'abri des tentacules du Human
Right Act 1998 »79 Cependant, en refusant d'ouvrir un
appel contre une sentence arbitrale, le juge n'est pas tenu d'énoncer en
totalité ses raisons, comme préconisé par l'article 6 de
la CEDH.80 De plus, la Cour d'Appel anglaise a décidé
dans l'affaire Kazakhstan v Istil Group Inc81 que la
restriction aux droits d'Appel prévue par la Section 67 (4) de
l'Arbitration Act 1996 était compatible avec l'article 6 de la
Convention Européenne des Droits de l'Homme.
117. Concernant la Cour de Cassation française,
l'appréciation de l'article 6 semble différente selon que l'on
considère sa jurisprudence ou celle de la CEDH. La Cour de Cassation, en
considération de l'article 6, avait apprécié
l'indépendance de l'arbitre de manière objective.82
Cependant, selon la jurisprudence de la CEDH, l'impartialité est
appréciée par une méthode subjective, en
déterminant la conviction personnelle du juge, et en parallèle
par une méthode objective, en apportant les preuves que l'arbitre
n'était pas partial. Le juge est considéré comme impartial
tant que la partialité est prouvée.
76 Paragraphe 61, Regent Company v Ukraine,
op. cit. n°Erreur ! Signet non défini..
77 P. I. BYELOUSOV, « Ukraine: The Judgment of
the European Court of Human Rights in the Case "Regent Company v. Ukraine":
Prospects of Further Practice in Cases Related to International Commercial
Arbitration », 24 January 2011,
http://www.mondaq.com/article.asp?articleid=120516
78 Commission Européenne des Droits de
l'Homme, 27 Novembre 1996, Nordström-Janzon v The Netherlands,
DR. 87-B, 112 et Cour Européenne des Droits de l'Homme, 23
février 1999, Osmo Suovaniemi and others v Finland.
79 J. D. M. LEW, L. A. MISTELIS and S. M. KROLL, 5-73,
op. cit. n° Erreur ! Signet non défini..
80 Mousaka Inc v (1) Golden Seagull Maritime
Inc (2) Golden Seabird Maritime Inc, QBD (Comm. Ct.), 30/7/2001, (2002) 1
WLR 395, (2002) 1 All ER 726, (2001) 2 Lloyd's Rep 657, (2001) CLC 1716, Times,
October 3, 2001.
81 Kazakhstan v Istil Group Inc, CA Civ
Div, 25/4/2007, LTL 22/5/2007, (2007) 2 Lloyd's Rep 548, (2008) Bus LR 878.
82 Cour de Cassation, Civ 1ère, 28 avril
1998, Bull. Civ. I, n°155, D1998, IR p. 131, RTP civ. 1998, p. 744, obs.
R. Perrot.
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