2. La Recherche d'un cadre juridique
La nature juridique d'un contrat détermine son
régime car des règles d'ordre public viennent réglementer
chaque contrat nommé. De plus un contrat nommé possède un
ensemble de règles supplétives, ce qui permet de compléter
le contrat quand certains éléments ont été omis par
les parties.Le contrat agile laisse planer une telle incertitude sur les
obligations des parties que l'on pourrait légitimement se demander si
l'engagement contracté n'a pas un caractère potestatif. En outre,
les obligations en présence sont des obligations de moyens. Celle qui
conduit à beaucoup d'interrogations est l'obligation de collaboration,
elle pèse évidemment sur les deux parties conformément aux
principes agiles.
On peut certainement argumenter dans le sens de l'existence
d'un avant contrat, plus précisément d'une promesse
synallagmatique de contracter. En effet dans notre cas deux personnes
s'engagent l'une envers l'autre à conclure de futurs accords. Ces
accords portent notamment sur les livraisons et le transfert des droits
intellectuels. Mais c'est insuffisant puisqu'il s'agit ici de sécuriser
la démarche agile de manière proactive, on va donc rédiger
un contrat dès que possible, quitte à le préciser et le
compléter ensuite. Ainsi, pour un projet piloté selon une
méthode agile, deux cadres juridiques sont selon nous susceptibles
d'application : le contrat de louage d'ouvrage (2.1) et le contrat de
société (2.2).
Afin de limiter les risques de requalification par le juge,
les parties peuvent insérer dans le contrat une « clause de
détermination » pour préciser la qualification qu'il
convient de donner à l'acte et, également, celles à
exclure. La qualification donnée par les parties doit correspondre
à une des qualifications que le contrat est susceptible de recevoir au
vu de ses éléments objectifs. C'est alors la volonté des
parties qui doit guider le juge dès lors que la qualification
proposée ne se heurte pas à une réglementation
impérative.
Il faut néanmoins souligner qu'une clause de
détermination n'est pas efficace lorsqu'elle poursuit un but frauduleux,
cherchant à faire échapper le contrat aux conséquences
impératives de la qualification à laquelle il devrait normalement
être soumis. Ainsi, la clause ne permet pas d'éviter la
requalification du contrat en contrat de travail, risque fréquent avec
les contrats d'entreprise, mais aussi avec les sociétés en
participation11.
2.1. Le Contrat de louage d'ouvrage
Il est constant que la doctrine et la jurisprudence
considèrent l'activité de développement d'un logiciel
spécifique comme une prestation de service relevant du contrat
d'entreprise. Le logiciel standard faisant, quant à lui, l'objet d'un
contrat de vente. L'article 1710 du code civil définit ainsi le contrat
d'entreprise : « Le louage d'ouvrage est un contrat par lequel l'une
des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre, moyennant un
prix convenu entre elles. » Définition qui ressemble fort
à celle du contrat en général, à l'article 1101 du
même code : « Le contrat est une convention par laquelle
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11 Cass. ch. sociale, 25 octobre 2005, n° 01-45147,
Publié au bulletin
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une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou
plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire
quelque chose. »
La doctrine actuelle semble unanime sur la nature incertaine
du contrat d'entreprise et sur la capacité limitée de la
jurisprudence à y remédier, consensus parallèle à
l'idée d'une réforme du droit des contrats, voire de la
nécessité d'un code européen des contrats. On peut
expliquer ces incertitudes par les changements de paradigme induits au cours
des différentes révolutions industrielles et par la construction
empirique d'un droit des contrats spéciaux hyper
spécialisé se mélangeant les pinceaux ; aussi par les
confusions terminologiques opérées par les praticiens, y compris
les rédacteurs du code civil.
Toutefois, la définition de l'article 1701 du code
civil a été complétée par la doctrine et la
jurisprudence, redonnant au contrat de louage d'ouvrage une certaine
légitimité. Ainsi, le contrat d'entreprise est-il aujourd'hui
davantage « la convention par laquelle une personne charge une autre,
moyennant rémunération, d'exécuter, en toute
indépendance et sans la représenter, un travail. »12
Ce qui le distingue du contrat de travail c'est que
l'entrepreneur effectue son ouvrage en toute indépendance. Le travail
est ainsi effectué sans représentation, ce qui l'oppose au
contrat de mandat. Et pour clairement le distinguer du contrat de vente la
doctrine contemporaine a tendance à ajouter le critère du
caractère « sur mesure » de la prestation.13
C'est bien cette question d'indépendance du prestataire
qui pose problème dans un cadre agile vu la place qu'on accorde à
la notion de collaboration. L'obligation de collaboration est accessoire dans
le contrat d'entreprise tandis qu'en l'espèce on y attache bien plus
d'importance, ce qui la ramène à une place essentielle en plus de
tempérer
12 Cass. civ. 1ère, 19 février 1968 : Bull civ. I,
n°69 ; JCP 1968, II, 15490
13 G. Durant Pasquier, Le maître de l'ouvrage, contribution
à l'harmonisation du régime du contrat d'entreprise, Paris II,
2005, n° 263
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grandement la portée du devoir de non-immixtion du
prestataire. L'obligation de collaboration semble même peser sur chacune
des parties dans le contrat agile.
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