Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?( Télécharger le fichier original )par Matthieu MARCHAND Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012 |
Partie I. Chapitre 3. La construction du duopôle EMI-DeccaAmerican Phonograph Company avant d'être engagé par Berliner. En 1898, Trevor Williams, un riche avocat, accepte de garantir les prêts bancaires nécessaires à la fondation de ce qui sera la Gramophone Company. Des bureaux sont érigés à Maiden Lane, dans Londres puis, en 1907, afin que l'entreprise nouvellement créée ne fasse plus dépendre son activité de pressage de disques de l'Allemagne et des États-Unis, elle construit un énorme complexe d'usines, de bureaux et de laboratoires à Hayes, dans la banlieue ouest de la capitale. Symboliquement, la première pierre est posée par la soprano Nellie Melba. Figure 7 Tiré de : http://www.emil-berliner-studios.com/en/chronik2.html À son apogée, le site couvre 150 hectares de terrain, 2 millions de m2 d'espaces consacrés aux usines et emploie 10 000 personnes, ce qui fait de Hayes le centre névralgique de la production111. La vitesse à laquelle ont été posé les bases de la future EMI est révélatrice du prototype de la grande firme, plus apte d'après Schumpeter à soutenir l'innovation que la petite firme, puisque disposant d'un marché plus vaste (réseau de distribution) sur lequel elle peut amortir les coûts fixes de la recherche112. Ainsi, dès 1899, la Gramophone Company ouvre des compagnies associées en France, en Italie, en Allemagne et des filiales en Russie, Espagne, Autriche, Hongrie. Entre 1901 et 1906, c'est dans des coins plus reculés de l'Europe 111 Idem, p. 58. 112 GUELLEC, Dominique, Économie de l'innovation, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2009 [1ère éd. : 1999], p. 38. qu'elle ouvre des usines et des filiales (Russie, Danemark, Suède mais aussi en Inde et en Perse), avant que l'année 1912 ne voit se multiplier les agences à travers le monde113. À partir de 1907, le Times publie les dividendes de la firme, signe de la place qu'elle a acquis sur le marché (v. aussi annexe 7). B/ La British ColumbiaDu côté de la British Columbia (ou Columbia-UK), elle est sur le point de devenir une industrie majeure à la veille de la Première guerre mondiale, disposant elle aussi d'un large réseau de distribution. Pourtant, la branche britannique de la Columbia américaine n'aurait pu acquérir ce statut sans la personne de Louis Sterling, un New Yorkais auparavant investi dans une manufacture de production de cylindres114, preuve qui démontre encore une fois que le paysage de l'industrie musicale anglaise à la veille de la guerre fait remonter ses origines soit aux activités liées à Berliner, soit à celles de Columbia. L'entrée en guerre de l'Angleterre contre l'Allemagne le 4 août 1914 eut des conséquences à double tranchant : d'un côté l'usine Gramophone de Hayes est notamment transformée en fabrique de munitions et de pièces d'aviation, tandis que les matériaux nécessaires à la fabrication des disques (comme la laque) sont réquisitionnés115. Mais de l'autre côté, l'isolement causé par la guerre força la British Columbia à une plus grande autonomie. En l'occurrence est mis au point un nouveau procédé de lamination qui réduit de beaucoup le bruit de surface du disque. Columbia-US décide d'adopter ce procédé mais elle doit 15 millions de dollars aux banques ; alors que la branche américaine est acculée à la faillite en octobre 1923 (elle sera réorganisée en février 1924), elle vend le 26 avril 1923 sa division britannique à la Constructive Finance Company, un consortium de gens d'affaires dirigé par Sterling116. La Grande guerre fit perdre à l'inverse, mais de façon temporaire, la position de leader sur le marché de la Gramophone Company : bien que sa marque HMV soit connue dans le monde entier, elle doit se séparer de sa filiale allemande, la Deutsche Grammophon. De plus, depuis le 9 juin 1920, la société Victor a obtenu 50% des parts de la Gramophone Company. Les deux firmes se partagent dès lors des zones d'influence à travers le monde, profitant du boom discographique des années vingt. Ensemble, elles créent la compagnie allemande 113 DEARLING, Robert et Celia, RUST, Brian, The guinness book of recorded sound : the story of recordings from the wax cylinder to the laser disc, Londres, Guinness Superlatives Ltd, 1984, pp. 44-45. 114 Il s'agissait de la Sterling & Hunting Ltd, fondée par Sterling et son ami Russell Hunting. 115 LESUEUR, Daniel, L'histoire du disque et de l'enregistrement sonore, Chatou, Éditions Carnot, 2004, p. 51. 116 THÉRIEN, Robert, L'histoire de l'enregistrement sonore au Québec et dans le monde 1878-1950, Sainte-Foy, Les presses de l'université Laval, 2003, pp. 112-113. Electrola le 20 octobre 1925. Une usine se base à Potsdam : la production est lancée en mars de l'année suivante. De son côté, Decca Records est fondée en février 1929 mais elle est le résultat d'un cheminement lui aussi particulièrement complexe, sous l'égide d'Edward Lewis, un courtier dont l'ingéniosité rappelle le modèle de l'entrepreneur schumpétérien qui, en 1914, met au point le premier gramophone « portable », le Decca Dulcephone. Il apparaît sur une publicité du Daily Mail le 16 juillet et remporte un grand succès. Les soldats pourront l'emporter sur le front, ainsi qu'une poignée de disques à la mode, dont le fameux « It's a Long Way to Tipperary », qui deviendra un véritable hymne (v. annexe 1). Lewis travaille alors auprès de Barnett Samuel & Sons, un fabricant d'instruments de musique basé à Londres depuis le milieu du XIXe siècle. Lewis racheta ensuite la Duophone, une usine d'enregistrement en difficulté basée à New Malden (proche de Londres), et la fit fusionner avec l'entreprise qui l'embauchait jusqu'alors afin de la transformer en manufacture de gramophones. Barnett Samuel & Sons devient alors la Decca Gramophone Company le 14 février 1929, fait d'autant plus remarquable que la crise malmenait l'industrie phonographique (v. infra). |
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