I.5.4.5. Les dernières étapes du deuil:
gestion des affaires familiales et la pratique du "feu des ancêtres".
Les affaires traitées par le conseil de famille sont:
la recommandation des orphelins et de la veuve aux voisins et proches; le
remboursement des dettes; la relève des réalisations en cours du
défunt; la suite à donner, par l'héritier à ses
engagements; la condonnation si le défunt est mort sans avoirs. Entre
autres recommandations prendre soin de la veuve, des orphelins et du
bétail. Tout se résume dans cette phrase en kirundi:
« Inarupfu yaraye murazigame impfuvyi, umwana akiba
muratunge impfuvyi, inka ikona, muramenye ko yahora ari iy'umubanyi..."
On désigne ensuite le légataire, puis tous ceux
qui ont hérité, les garçons, les filles, surtout ceux qui
ont hérité des vaches ou qui reprennent à leur service des
familiers et domestiques dont on donne le nombre et les noms. On déclare
les dettes contractées par le défunt; par exemple contre-valeur
de services et prestations non encore fournies; dot dont on n'a pas encore
remis le produit (veau) au gendre, etc. Les affaires en cours, même
très importantes, qui par oubli ou autre négligence, ne sont pas
soumises au conseil à ce moment, sont par après classées
sans suite. L'héritier est chargé de toutes ces
responsabilités. Toutefois si le défunt n'a pas laissé de
quoi régler les dettes, on condonne (on annule).
Les "majambo" (paroles) sont suivies par la
dégustation de la bière de sorgho (umubira),
bière de sorgho qui n'a pas fini de fermenter. Le murundi y verra
un
82. E.Ndigiriye, op. cit., p.29
83 Ibid.
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symbole du devenir, de l'avenir, de la
prospérité escomptée: cette bière en effet peut
encore s'améliorer en vieillissant. Un souhait exprime la même
idée: « uranyerera » (que tu portes bonheur pour
moi); un souhait de bonheur; qu'on puisse « devenir vieux »
et prospère comme la bière qui est encore épaisse. On
déguste la bière dans le même ordre que lors de la
dégustation du « lait ». Mais les serviteurs, familiers et
amis reçoivent une part toute spéciale ainsi que les petits-fils
après avoir lancé le fruit de l'olivier sauvage en direction de
la tombe du défunt: « ukwuzukuza » (se dit des petits
enfants qui taquinent leur grand-père).
Après cette cérémonie, les personnes
étrangères à la famille se retirent. Celle-ci se rassemble
autour d'un grand feu allumé par le « kimazi »
(serviteur) des ancêtres. Ce brasier des ancêtres est fait au
milieu de l'entrée du kraal au moyen du bois spécial choisi par
le conseil des anciens. On y ajoute du bois de plantes ou arbres qui
fournissent habituellement les médicaments traditionnels de base, par
exemple igicuncu, umuravumba, ntibuhunwa, nkurimwonga, umugombe,
ikizibakanwa,...
Le feu pour allumer le brasier doit venir d'une famille dont
on n'empruntera plus par après du feu, et ce même feu ne peut plus
être donné à d'autres foyers. On sortira un tison
brûlant lorsqu'on éteint le "brasier des ancêtres", pour
l'utiliser dans le foyer de la case. Le repas rituel qui suit est cuit sur les
braises du feu. On a déjà vu qu'il est composé de bananes
douces, de bétail saigné et de sel. La tradition veut, on l'a vu
aussi qu'on n'ira plus jamais chercher des bananes ou du sel chez les
mêmes fournisseurs. Les bananes sont grillées dans les braises et
on les trempe par le bout dans du sel en les mangeant: « kubidumba
umunyu » (tremper dans du sel). Si on est assez riche pour se le
permettre, on tuera un taurillon qui devra être mangé en un seul
repas. On l'égorge alors en laissant le sang pénétrer le
sol tout en disant: « que les ancêtres reçoivent par
là leur part! ». La viande est également grillée sur
les braises et mangée avec du sel comme les bananes.
A défaut de viande on saigne une vache; on lui tire
quelques litres de sang que l'on fera cuire dans les braises et que l'on
déguste avec les bananes et le sel. Si on n'a pas de viande et ne peut
saigner une vache (si le défunt n'avait qu'une vache et que celle-ci
vient d'être saignée peu auparavant) on coupe un bout de l'oreille
de la vache et on mélange ceci avec le repas (« murinzi »
ou repas protecteur). La vache qui a donné soit de son sang, soit
un bout d'oreille est après très respectée et
particulièrement bien soignée; c'est la vache des ancêtres:
« inka y'abasokuru ). Elle ne pourrait être
donnée
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ni vendue; son lait et son sang seront uniquement
mangés par les participants au repas protecteur (« murinzi
»).
On est à la veille de la reprise de la vie normale le
feu des ancêtres est éteint. Pendant ce travail, le serviteur des
mânes retire du feu un tison du bois spécial et avec les braises
et cendres il va le jeter en un endroit retiré, au milieu d'un
croisement de chemins abandonnés (imisibu).
Désormais, il sera défendu aux membres du clan
d'utiliser cette sorte de bois, ni comme bois de chauffage ni comme bois de
construction ou comme bâton. Il devient l'arbre des ancêtres
(« igiti c'abasokuru ») et on lui doit respect.
Ainsi donc, la pratique de l'extinction du feu des
ancêtres est un passage entre la situation malheureuse et la
période de la reprise de la vie normale.
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