I.5.4.3. Les pratiques de deuil
Concernant les pratiques de deuil au Burundi, on
célébrait des cérémonies de deux types : la
purification des traces de la mort et le réveil à la
vie.81
La veille, au coucher du soleil, les notables du clan familial
se réunissent pour préparer les cérémonies. Ils
déterminent l'essence du bois qui servira à alimenter un
80. E. Ndigiriye, op.cit., p.261
81. E. Ndigiriye, «Le lever de deuil chez les
Barundi», Au coeur de l'Afrique, Bujumbura, 1972, p.25
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feu qu'on allumera à l'entrée du kraal (le
braisier des ancêtres: gicaniro c'abasokuru). Cette essence doit
être rare et peu utilisée comme bois de chauffage ou de
construction. En effet, un tison de ce bois sera déposé sur la
tombe ou jeté à une croisée de chemins. A partir de ce
moment, ce bois sera tabou (igiti kizira) et les sentiers ne seront
plus empruntés par les membres de la famille du défunt. Les
notables détermineront encore chez quelle famille on ira chercher les
bananes douces et le sel qui composeront, avec de la viande ou du sang de
boeuf, le repas spécial qu'on appelle "umurinzi"(repas
protecteur). Ce sel et ces bananes doivent être fournis par une famille
chez qui le clan n'ira plus jamais chercher ces denrées. Le bois pour le
feu et les victuailles doivent être sur place dès la veille du
lever de deuil.
Le conseil des anciens désignera aussi la personne qui
devra procéder aux purifications, le cérémoniaire, et il
choisira enfin le ruisseau des purifications et le chemin d'aller et de retour
qu'on empruntera.
La pratique de purification mérite d'être
explicitée. Elle concernait les personnes, les objets et les lieux de
tous les vestiges de la mort dont le défunt était le porteur
inconscient.
La purification suivait en outre cinq étapes. Vient en
premier lieu le rasage des cheveux : "kwiharangura" (se raser
complètement la tête) ou "kwikura uruhara rw'uwapfuye"
(prendre part au dépouillement du défunt). La personne qui a
été désignée la veille pour être le servant
des esprits des ancêtres (ikimazi c'abasokuru), aligne devant
elle tous ceux qui doivent être rasés. Elle prend un rasoir et
coupe à chacun une petite touffe de cheveux, jusqu'au dernier auquel, il
rase la tête complètement. Tous se font ensuite raser
complètement par un autre ; mais l'acte est attribué à
celui qui a commencé l'opération.
En deuxième lieu, le servant-kimazi monte sur
le toit de la case du défunt et y arrache la huppe (touffe d'herbes),
"isunzu ry'inzu", emblème de la virilité de l'homme qui
l'habitait, et le jette. Il fait sortir ensuite de la case le beurre, le sel et
la viande séchée qui s'y trouvaient au moment du
décès; on doit les jeter ou mieux, les donner en échange
de main - d'oeuvre.
En troisième lieu, viennent les ablutions:
"kwisukako ibirohe" (verser sur soi une eau trouble) ou
s'éclabousser, ou passer par l'eau (guca ku mazi). Ces
expressions ne signifient rien d'autre que faire sa toilette. Mais comme la
mort a terni la beauté de la nature aux yeux des personnes en deuil, et
comme l'acte de se laver rend de nouveau beau pour plaire, alors que la
personne à plaire n'est plus, on emploi ces paraphrases.
Ainsi, à l'aube, les enfants mâles du
défunt se rassemblent. L'héritier principal reçoit la
lance du père, signe d'autorité courageuse, son frère
l'arc, les autres fils les
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Ce rite se passe très tôt le matin avant le lever
du soleil. La même personne qui a rasé les membres de la famille
endeuillée, précède tous les hommes et garçons et
elle les amène à un ruisseau éloigné, à
l'écart, en avant du gué, à un endroit non
fréquenté. Là, on se lave tout le corps. Les femmes et les
filles se lavent à la maison avec de l'eau puisée la veille.
Quelques personnes restées à la maison font des travaux de
nettoyage; elles font un grand feu avec les herbes qui ont servi de couchettes
durant le deuil; ce feu réchauffera ceux qui viennent de se laver.
La quatrième étape consiste à sortir de
la case les pierres du foyer : "ishiga ry'umugabo". En cas de
décès d'une femme mariée, on éloigne aussi le bois
du lit qu'elle occupait habituellement. On jette tout, loin des lieux
fréquentés par la famille, dans une croisée de chemins. Si
le conjoint reste en vie et envisage se remarier, le lit sera
complètement démoli. Un homme veuf qui reçoit dans sa
maison une nouvelle épouse, ou une veuve qui accueille un nouvel
époux dans la maison du défunt, ne pourraient coucher dans le lit
familial du défunt sans crainte de représailles du mort :
"uburiri burahinda" (le lit du mort répudie).
Enfin vient le moment de « se blanchir »,
(Kweza) : cette cérémonie se passe dans le secret le
plus absolu et elle n'est réservée qu'aux veufs et veuves encore
jeunes qui peuvent envisager de secondes noces. Si le conjoint mort
était un homme, le cousin du défunt (umuvyara) ou son
frère ou son familier fait l'acte conjugal avec la veuve. Si au
contraire, c'était la femme qui est morte, la cousine ou la soeur de la
défunte se donne au mari. Le but de ce coït rituel est d'effacer
toutes les traces de la mort dans le conjoint survivant. C'est la fin de la
première partie des cérémonies. Elle est séparable,
en temps illimité, des parties suivantes, dont le rite de "gutanga
amasuka" (« procurer des houes ») qui symbolise la reprise des
activités agricoles. On retardera en effet les cérémonies
suivantes comme le réveil à la vie pour permettre d'aller
cultiver les champs.
Cette renaissance est réalisée symboliquement
dans l'action de traverser un cours d'eau jusqu'à l'autre rive avec les
biens qu'on a arrachés à la mort. Cette cérémonie
est suivie d'une série d'actes juridiques et d'autres rites signifiant
le retour à la vie et à la prospérité. On retient
entre autres la marche vers l'abreuvoir et « le passage par l'eau »
des hommes et du bétail.
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flèches. Notons que les filles sont exclues de cette
cérémonie. L'oncle paternel, ou à défaut le
familier du défunt, va au devant d'eux vers un abreuvoir d'un ruisseau.
Chacun des fils conduit sa part du troupeau, ou tous conduisent l'unique vache
représentant le cheptel. S'ils n'ont pas de bétail, ils font
rouler devant eux le fruit de l'olivier sauvage (intobo). Ils portent
avec eux des pagnes en écorce de ficus, tous neufs et non teints.
Souvent, tout le bétail que le défunt
possédait en propriété doit être mené au
ruisseau. On en exclut donc les vaches reçues en gage (imbitso)
et les vaches provenant de la dot, du moins si on n'a pas encore rendu au
gendre la première génisse née de ces vaches
(indongoranwa). Le cortège traverse le ruisseau et
arrivé sur l'autre rive et les descendant mâles du défunt
revêtent de nouveaux pagnes, ramassent des branchages et des herbes
sèches pour le feu des vaches. Ils coupent ainsi une brassée de
joncs (mivimu ou mihororo) et en tressent une corde qui servira
à lier les pattes arrière de la vache (injishi) pour
qu'elle se laisse traire plus facilement. On revient à la maison sans
refranchir le ruisseau par un chemin qui le contourne. Cela débouche sur
un deuxième acte qui est celui de la réunion et mise des nouveaux
pagnes (kuganira n'ukwambara imarirano). Le cortège des gens
venant du ruisseau trouve, à sa rentrée à la maison, les
deux tiers du « rugo » (cour intérieure depuis la
porte de la case) jonchés d'herbes de marais (uruhororo).
On fait d'abord entrer les vaches, suivent les hommes. Le
« feu des vaches » est allumé et on l'entoure pour causer et
manifester la joie de se rencontrer. On déplie les étoffes
nouvelles (ibimazi) appelées à protéger
les survivants des malveillances des esprits des défunts.
L'étoffe des enfants est procurée par l'oncle paternel ou
maternel, ou le familier (mugabire) du père défunt. Si
c'était la mère qui était décédée,
c'est le père qui les procure. L'étoffe de la veuve et des autres
femmes est en revanche procurée par la parenté qui a perçu
la dot au moment de son mariage. Les enfants et les femmes qui en ont le droit,
revêtent alors ces pagnes. Actuellement, l'étoffe d'écorce
de ficus battue est dans la plupart des cas remplacée par une cotonnade
blanche (« americani »).
On pourrait prolonger le descriptif des pratiques de deuil qui
nous replongent dans un univers de croyances populaires de notre
société. Evoquons par exemple, le barattage du beurre dont la
contribution au retour à la vie paraît fondamentale. Tout le monde
étant assis, le dos tourné vers la porte de la maison et face
à l'entrée du kraal,
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les femmes mettent du lait dans une baratte; elles se la
passent après avoir fait semblant de baratter. C'est l'annonce de la
prospérité, une étape suivie par la
cérémonie du lait.
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