L'effectivité en droit privé camerounais des droits proclamés en faveur de l'enfant par la convention relative aux droits de l'enfant( Télécharger le fichier original )par Annick MAHTAM ENDALE NJOH-LEA épouse SOLLE Université de Douala - Cameroun - Diplôme d'études approfondies. option : droit privé fondamental 2006 |
2°- L'exploitation économique de l'enfantLa CDE a inscrit parmi les règles de protection de l'enfant, la protection contre l'exploitation économique énoncée dans l'article 32. L'exploitation économique concerne non seulement le travail des enfants (a), mais aussi leur exploitation sexuelle à des fins économiques (b). a. Le travail des enfants Il faut distinguer, parlant du travail des enfants, la main d'oeuvre domestique, majoritairement éducative, et l'exploitation esclavagiste des enfants. L'emploi des enfants à des fins domestiques, n'a pas toujours été considéré dans notre société comme étant en soi une exploitation professionnelle de l'enfant. Au contraire, conformément aux traditions africaines, certains auteurs ont identifié en cette main d'oeuvre, un caractère socialisant voire, éducatif pour l'enfant.321(*) Ce dernier, étant appelé à être formé aux activités familiales du fait de son existence en son sein, accompagne régulièrement ses parents dans l'exercice quotidien des petites tâches (domestiques, champêtres, commerciales et autres). Mais à partir d'un certain seuil, cette activité devient nocive pour l'enfant. Il en est ainsi lorsqu'elle perd tout caractère éducatif, devient contraignante ou ne tient compte ni de son âge, ni de ses forces. C'est donc la surexploitation domestique qui est condamnable et constitue l'exploitation informelle de la force de travail de l'enfant. Phénomène très répandu dans les pays en voie de développement à cause de la pauvreté galopante, la surexploitation des enfants a tendance à s'internationaliser du fait de la mondialisation de l'économie et des flux migratoires.322(*) Peu de données permettent de cerner ces pratiques au Cameroun, parce qu'elles relèvent de l'économie informelle et se déroulent presque toujours dans le cadre familial.323(*) Le travail formel obéit en effet aux règles établies par le Code du travail camerounais et les Conventions de l'OIT. Il est à relever à ce propos que le législateur n'a pas attendu la CDE pour prendre des dispositions par rapport au travail des enfants. La ratification des Conventions fondamentales de l'OIT relatives aux droits de l'homme, parmi lesquelles figurent la Convention n° 138324(*), et la Convention n° 182325(*) a permis au Cameroun de consolider ses mécanismes de protection du travail de l'enfant. Au niveau interne, les normes relatives au travail des enfants sont nombreuses : la Loi N° 92/007 du 14 août 1992 portant Code du travail, le Décret N° 68/DF/253 du 10 juillet 1968 fixant les conditions générales, d'emploi des domestiques et employés de maisons, le Décret N° 69/DF/287 du 30 juillet 1969 relatif au contrat d'apprentissage, surtout en ce qu'il exige 14 ans au maximum pour l'admission en apprentissage et interdit le logement d'une apprentie par un maître homme-célibataire (art. 2), l'Arrêté N° 16/MTLS/DEGRE du 27 mai 1969 relatif au travail des femmes et dont l'annexe indique les travaux interdits aux femmes et aux enfants, l'arrêté N° 17/MTLS/DEGRE du 27 mai 1969 relatif au travail des enfants Le cadre juridique sus-énoncé fixe à 14 ans l'âge minimum d'accès aux travaux ne comportant pas de risques particuliers et au moins à 18 ans, pour les travaux dangereux, pénibles et insalubres susceptibles de compromettre la santé et la moralité de l'enfant.326(*) Le contrôle de l'application de ces mesures législatives et réglementaires est assuré par l'Inspecteur du travail du ressort (CTv., art. 104 à 109). Des sanctions pénales sont prévues aux articles 167, 168 et 170 du Code du Travail à l'encontre des auteurs d'infractions aux dispositions des articles 82, 86, et 90 du même code relatif entre autres aux conditions de travail des enfants. Pour mieux lutter contre le travail des enfants, l'Organisation International du Travail a institué dans les années 1990 le Programme International pour l'Abolition du Travail des Enfants, qui intéresse essentiellement les enfants réduits à la servitude, travaillant dans des conditions ou des secteurs dangereux, et les enfants particulièrement vulnérables que sont les enfants de moins de 12 ans et les filles en particulier. L'exploitation de la force physique de l'enfant est autant réprimée que leur exploitation sexuelle à des fins commerciales au Cameroun. b. L'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales Etant donné leur dépendance et leurs capacités limitées à se défendre, les enfants et les adolescents sont particulièrement exposés aux risques d'exploitation sexuelle. L'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales est devenue une préoccupation majeure partout à travers le monde. Elle constitue une violation fondamentale des droits de l'homme et de l'enfant. L'élément clef réside dans le fait que l'abus de l'enfant et la violation de ses droits se produisent à travers une transaction commerciale. Cela veut dire qu'il y a un échange au cours duquel une ou plusieurs des parties profitent en argent, en marchandise ou en nature, de l'exploitation à des fins sexuelles d'une personne âgée de moins de 18 ans.327(*) L'article 34 de la CDE recommande la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle. L'Etat doit protéger l'enfant contre la violence et l'exploitation sexuelle, y compris la prostitution et la participation à toute production pornographique.328(*) Il s'agit d'assurer la protection de l'enfant contre l'enlèvement329(*), la vente ou la traite « à quelque fin que ce soit et sous quelque forme que ce soit »330(*). La réaction de la communauté internationale face à la vente d'enfants et à l'exploitation sexuelle d'enfants, s'est traduite à travers l'organisation de deux Congrès mondiaux contre l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales : le Congrès de Stockholm de 1996 et le Congrès de Yokohama de 2001331(*). Elle fait aussi l'objet d'une attention particulière par le Protocole Facultatif à la CDE concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, adopté le 25 mai 2000 par l'Assemblée Générale des Nations Unies à New-York. Ce protocole entréen vigueur le 18 juillet 2002, constitue pour le Haut-Commissaire, Mme Robinson, « un pas important dans la protection des enfants contre les violences particulièrement graves de leurs droits »332(*). Au niveau national, le Code pénal protège les enfants contre ces pratiques immorales à travers la répression de plusieurs infractions notamment,le proxénétisme, la pornographie, la prostitution, la corruption de la jeunesse, et le danger moral. L'article 344 réprime le détournement de mineur qu'il qualifie de « corruption de jeunesse » d'une peine d'emprisonnement d'un à cinq ans et d'une amende de 20.000 à 1.000.000 de francs, celui qui « excite, favorise ou facilite la débauche ou la corruption d'une personne mineure de vingt et un ans ».333(*) Ces peines sont doublées si la victime n'a pas atteint l'âge de seize ans. Est également réprimé sous le titre du danger moral, le fait pour le tuteur d'un enfant de moins de dix-huit ans de permettre à ce dernier de résider dans une maison ou un établissement où se pratique la prostitution, de travailler dans un tel endroit, ou de travailler dans la résidence d'une personne qui se prostitue (article 345 du CPC). La prostitution est aussi sévèrement condamnée. En effet, l'article 343 du Code pénal punit d'un emprisonnement de six mois à cinq ans et d'une amende de 20.000 à 500.000 francs, toute personne de l'un ou de l'autre sexe qui se livre habituellement à des actes sexuels avec autrui moyennant rémunération. Sont concernés aussi les attitudes qui tendent à favoriser cette activité. S'agissant de la prostitution enfantine, l'intervention légale en vue de la protection des mineurs exploités sexuellement à des fins économiques, réside dans la répression du proxénétisme. L'article 294 du Code pénal puni de six mois à cinq ans d'emprisonnement ferme, et de 20.000 à 1.000.000 francs, « celui provoque, aide ou facilite la prostitution d'autrui ou qui partage même occasionnellement le fruit de la prostitution d'autrui ou reçoit des subsides d'une personne se livrant à la prostitution ». Le Code pénal retient à l'encontre des proxénètes le double de la peine lorsque la victime est mineure de vingt et un ans. Le phénomène de prostitution enfantine est étroitement lié à la consommation de la drogue. Les enfants toxicomanes ou alcooliques s'adonnent fréquemment à la prostitution pour entretenir leur dépendance et il arrive que les adultes qui exploitent des enfants prostitués les encouragent à user de stupéfiants pour accroître leur dépendance. La toxicomanie peut être un sérieux obstacle à la réadaptation des victimes d'exploitation sexuelle.334(*) Parmi les formes d'exploitation sexuelle à des fins économiques, on peut enfin citer la pornographie enfantine qui est aujourd'hui une pratique internationalement répandue bien que non prise en compte dans le code pénal camerounais. Le Cameroun a ratifié le protocole facultatif se rapportant à la CDE concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. l'article 2 de ce protocole définit en son alinéa c, la pornographie mettant en scène des enfants comme « toute représentation par quelque moyen que ce soit d'un enfant s'adonnant à des activités sexuelles explicites, réelles ou simulées, ou toute représentation des organes sexuels d'un enfants à des fins principalement sexuelles ». Les séquelles de l'exploitation sexuelle des enfants sont dévastatrices. Elle endommage l'enfant prostitué non seulement aux niveaux psychiques, physiques et sociaux, mais aussi le rend particulièrement vulnérable au SIDA et aux infections transmises par voie sexuelle, car il n'a guère les moyens d'exiger des rapports protégés. Le législateur camerounais se garde encore d'adopter des textes y afférents, de même que la protection qu'impose l'enfant en situation de conflits armés. * 321EYIKE-VIEUX (D), op. cit., p. 76 ;MBANDJI MBENA (E), op. cit., p. 82. * 322 GICQUEL (J-B), « La mondialisation et ses effets négatifs sur le travail des enfants en France aussi », inEnfants et travail : une coexistence acceptable ? L'approche des droits de l'enfant, éd. IDE, Sion, 1997, p. 49 & s. * 323 La surexploitation de l'enfant dans le cadre familial au Cameroun présente plusieurs facettes : M. Samuel NDJOCK, Expert au Ministère des Affaires Sociales, affirme dans l'ensemble que, le fait d'aider les parents dans les corvées domestiques, ainsi que dans les activités de revente ne saurait être assimilé au travail des enfants. Cependant, les données changent lorsqu'un nombre d'enfants vivant avec des gardiens, sont abusés par de longues heures de travail, allant au-delà de leurs capacités physiques et leurs âges, ainsi que leur formation. * 324 La Convention n° 138 de l'OIT sur l'âge minimum d'admission à l'emploi, adoptée en 1973 a été ratifiée par le Cameroun le 14 avril 1998. * 325La Convention n° 182 sur les pires formes de travail des enfants adoptée le 17 juin 1999 a été ratifiée par le Cameroun en 2002 * 326Art. 86 du CTv. « Les enfants ne peuvent être employés dans aucune entreprise, même comme apprentis, avant l'âge de quatorze (14) ans [...] » * 327 MENGUE (M.-T.), « l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales au Cameroun », juillet 2006, Sous-groupe contre l'exploitation sexuelle des enfants du Groupe des ONGs pour la CDE (janvier 2005), Semantics or Substance ? Towards a shared understanding of terminology referring to sexual abuse and exploitation of children, juillet 2006, p. 56. * 328Art. 33 CDE : « Les Etats parties s'engagent à protéger l'enfant contre toutes les formes d'exploitation sexuelle et de violence sexuelle. A cette fin, les Etats prennent en particulier toutes les mesures appropriées sur le plan national.... » * 329 L'enlèvement de mineur est réprimé par le CPC. TGI WOURI, Jgt n° 153/CRIM du 12 mars 1996 (Enlèvement de mineur aggravé), aff. MP & X C/ Y. Le tribunal déclare le prévenu coupable et le condamne à sept mois d'emprisonnement après circonstances atténuantes pour sa bonne tenue à la barre (inédit). TPI DOUALA-NDOKOTI, Jgt n° 479/COR du 16/11/2005, aff. MP & XY C/Z (Enlèvement de mineure). Le tribunal déclare le prévenu coupable des faits qui lui sont reprochés et le condamne à un an d'emprisonnement et à 100.000 francs d'amende. (Inédit). * 330Art. 35 CDE. * 331 Premier Congrès mondial contre l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, organisé à Stockholm du 27 au 31 août 1996, et le deuxième Congrès mondial organisé à Yokohama du 17 au 20 décembre 2001. * 332 In http:// www.unhchr.cr * 333 TPI DOUALA-NDOKOTI, Jgt n° 619/COR du 25/11/2005, aff. MP & X C/ Y (Corruption de la jeunesse). Le tribunal déclare le prévenu coupable des faits qui lui sont reprochés. Lui accorde le bénéfice des circonstances atténuantes en raison de sa qualité de délinquant primaire et de ses aveux ; l'admet en outre au bénéfice de l'excuse atténuante de minorité (le prévenu avait aussi 16 ans au moment des faits), en répression le condamne à 20.000 francs d'amende et aux dépens. * 334 UNICEF, La protection de l'enfant : guide à l'usage des parlementaires, op. cit. p. 70. |
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