Section 2 : Le cadre opérationnel de la
reconstruction des Etats défaillants
Depuis la redéfinition par le rapport Brahimi
des opérations de paix, la pratique onusienne en matière de
maintien de paix est désormais orientée vers des missions de plus
en plus ambitieuses et des fonctions plus élargies : de la
sécurité aux droits de l'homme, de l'état de droit aux
élections et à la gouvernance économique. La
reconstruction des Etats, troisième phase des opérations de
consolidation de la paix, s'inscrit naturellement dans cette dynamique au vu de
ses enjeux. Pour souligner le caractère multidimensionnel de ces
opérations et, partant de la pratique de la reconstruction des Etats, il
faudrait s'intéresser au cadre opérationnel d'exécution de
ces missions. Ainsi, au vu du travail effectué par les opérations
de consolidation de la paix sur le terrain et d'après les termes de leur
mandat, la reconstruction des Etats passe d'abord par l'amélioration des
structures sécuritaires des Etats défaillants (Paragraphe 1). La
réforme du secteur de la sécurité doit naturellement
permettre la restructuration des autres secteurs afin de contribuer
effectivement à la reconstruction des Etats et de leur assurer une paix
durable (Paragraphe 2).
220 La CIJ dans plusieurs arrêts a
déterminé les conditions de formation de la règle
coutumière, Voir CIJ Affaire du Plateau Continental de la Mer du
Nord, arrêt du 20 février 1969, Rec. CIJ, §44 «
Pour constituer l'opinio juris [...] non seulement les actes
considérés doivent représenter une pratique constante,
mais en outre ils doivent témoigner, par leur nature ou la
manière dont ils sont accomplis, de la conviction que cette pratique est
rendue obligatoire par l'existence d'une règle de droit » ; Voir
aussi CIJ Affaire de la délimitation maritime dans la région
du Golfe du Maine, arrêt du 12 octobre 1984, Rec. CIJ, 1984, p. 299,
§11 : la règle coutumière « [...] se prouve par voie
d'induction en partant de l'analyse d'une pratique suffisamment
étoffée et convaincante, et non pas par voie de déduction
en partant d'idées préconstituées à priori [...]
» ; Voir mutatis mutandis CAHIN G., La coutume internationale
et les organisations internationales : l'incidence de la dimension
institutionnelle sur le processus coutumier, Paris, A. Pedone, 2001, p.
782.
64
Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
Paragraphe 1 : Le volet sécuritaire de la
reconstruction des Etats
La reconstruction des Etats, ayant pour ultime finalité
l'instauration d'une paix durable, s'intéresse en premier lieu au
traitement des armes dont la profusion était généralement
à l'origine du développement du banditisme ou des situations
conflictuelles dans les Etats défaillants. A cet effet, la
reconstruction de l'État s'oriente primordialement vers la recherche
d'une stabilité sécuritaire à travers les
opérations de désarmement, démobilisation et
réinsertion des anciens combattants (A). Ensuite, afin de promouvoir
à l'avenir un État plus à même d'assurer et de
garantir par lui-même une véritable paix durable, la
reconstruction de l'État passe obligatoirement par la restructuration
des forces de l'ordre (B).
A. Les opérations de désarmement,
démobilisation et réinsertion des anciens
combattants
Aujourd'hui, les opérations de désarmement,
démobilisation et réinsertion des anciens combattants
(ci-après DDR) font partie intégrante du package standard de
toute intervention internationale post conflictuelle221 et
constituent la première étape du long processus de reconstruction
des Etats défaillants ayant sombré pendant de longues
années dans la guerre. Le DDR s'inscrit ainsi dans une logique
d'instauration d'un climat de stabilité et sécurité
nécessaire au démarrage des activités de
développement du pays. Né de l'idée que le
développement de l'État post-conflit est intimement lié
à sa capacité à garantir la sécurité sur son
territoire, le DDR a été adopté, au sein de l'ONU, par les
communautés de la sécurité et du développement,
à telle enseigne qu'il se révèle assez susceptible quand
il s'agit de préciser sa définition et de circonscrire son
périmètre. Expérimenté pour la première fois
en Amérique centrale à travers le mandat du Groupe d'observateurs
des Nations Unies en Amérique centrale222, le DDR est
désormais incorporé dans le mandat de toutes les
opérations de consolidation de la paix et de reconstruction des Etats
après les conflits223. Il peut être défini comme
l'ensemble des activités ayant trait à la collecte et au
contrôle des armes, au cantonnement et à la démobilisation
des anciens combattants, à l'aide à leur
réintégration et réinsertion dans la vie
civile224. A travers cette définition, on peut
appréhender les trois étapes de ce processus : le
désarmement, la démobilisation et la
réintégration/réinsertion. De l'avis du conseil de
sécurité, ces trois étapes sont consécutives et
doivent être envisagées de manière intégrée
dans le processus de reconstruction des Etats : « Le Conseil de
sécurité reconnaît que le désarmement, la
démobilisation et la réinsertion ne peuvent être
envisagés isolément, mais
221 Voir POULIGNY B., Les anciens
combattants aujourd'hui. Désarmement, démobilisation et
réinsertion, CERI et SGDN, Paris, Septembre 2004, p. 60
222 Résolution 650 (1990) du 27 mars
1990
223 Voir S/2000/101, Rapport du
secrétaire général sur le rôle des opérations
de maintien de la paix des Nations Unies dans le Désarmement, la
Démobilisation et la Réinsertion, 11 février 2000.
224 MUGGAH R., « Désarmement,
Démobilisation et Réintégration », in
CHETAIL V. (Sous la dir.), op. cit., p. 144
65
Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
doivent être considérés comme un processus
continu, fondé sur l'objectif plus général de la recherche
de la paix, de la stabilité du développement (...)
»225.
Le désarmement, première étape de ce
processus, consiste concrètement en la collecte, le stockage et la
gestion des armes de petit calibre, des munitions, des explosifs détenus
par des combattants après l'obtention d'un cessez le feu sur un
théâtre conflictuel226. Cette opération qui est
le souvent incluse dans les accords de paix de sortie de crise, doit
idéalement s'effectuer sur une base volontaire. Comme le souligne le
conseil de sécurité dans le cadre u mandat de l'ONUSOM II, la
réussite du désarmement, support de la reconstruction pacifique
de l'État, nécessite une bonne volonté politique de la
part des mouvements et factions devant être
désarmés227. Dans ce cadre, pour encourager les
anciens combattants à rendre leurs armes, on leur attribue le plus
souvent des indemnités financières ou la garantie
d'échapper à des poursuites judiciaires.
Sont souvent associées au désarmement, les
opérations de déminage des territoires. Le déminage des
territoires s'avère tout aussi important que le désarmement
lui-même et consiste à dépolluer entièrement les
régions dans lesquelles ont été disséminées
des mines pendant la période des affrontements. Cette mission
complémentaire au désarmement a été
incorporée par exemple dans le mandat de l'Autorité provisoire
des Nations Unies au Cambodge. L'APRONUC devait, en vertu de la
résolution 745 (1992), assister le Cambodge en matière de
déminage et lancer des programmes de formation en matière de
déminage et de sensibilisation aux mines parmi la population
cambodgienne228.
Après le désarmement, intervient ensuite la
deuxième phase du processus à savoir la démobilisation. A
la lumière du travail effectué par la mission des Nations Unies
au Libéria (MINUL), on peut apprendre que la démobilisation
consiste en l'inscription et l'accueil des soldats à démobiliser
dans des centres spécifiques, la délivrance des cartes
d'identité, l'enregistrement et l'entrepôt des armes et le cas
échéant leur destruction229. Cette deuxième
phase du DDR doit aboutir obligatoirement à la réinsertion des
combattants démobilisés car, comme l'a si bien remarqué
l'ancien secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, la
démobilisation serait incomplète sans une véritable
réinsertion230. Dans la pratique du DDR, la
réinsertion constitue une étape intermédiaire entre la
démobilisation et la réintégration des anciens soldats
dans la vie civile. Elle consiste en une assistance transitoire, ponctuelle
apportée aux démobilisés afin de leur permettre de
subvenir à leurs besoins fondamentaux. Cette assistance peut parfois
prendre la forme d'une indemnité de sûreté transitoire, de
denrées alimentaires, des vêtements, d'un abri, des services
médicaux, des services
225 S/PRST/1999/21, Déclaration du
président du Conseil de sécurité, 8 juillet 1999, p. 1
226 Département des Opérations
de Maintien de la Paix des Nations Unies, Integrated Disarmament,
Demobilisation and Reintegration Standards (IDDRS), New york, 2006, p. 2 ;
A/C.5/59/31, Note du secrétaire général sur les
Aspects administratifs et financiers du financement des opérations
de maintien de la paix des Nations Unies, 24 mai 2005
227 S/RES/814 du 26 mars 2003, § 7 - 8.
228 S/RES/745 du 28 février 1992.
229 S/2004/972, Cinquième rapport du
secrétaire général sur la Mission de l'organisation des
Nations Unies au Libéria, 17 décembre 2004, §21 - 24.
230 S/2000/101, Rapport du secrétaire
général, op. cit. §58 - 61.
66
Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
d'éducation, de formation et d'emploi231. Le
processus de DDR se conclut par une véritable
réintégration des anciens soldats dans la vie civile. La
réintégration s'inscrit dans le long terme et permet aux anciens
soldats d'acquérir le statut de civil grâce à un emploi
stable. Elle offre ainsi la possibilité de transformer les combattants
en de véritables citoyens productifs, aptes à contribuer au
relèvement de leur pays. Cet effort de reconstruction
sécuritaire, au moyen du DDR, implique inéluctablement la
réforme des structures militaires policières afin de bâtir
une véritable armée opérationnelle capable de contribuer
à l'établissement d'une paix durable.
B. La restructuration des forces de l'ordre
Après le DDR, la réforme du secteur
sécuritaire des Etats défaillants passe nécessairement par
une véritable restructuration des forces de l'ordre. En effet, au vu de
la situation qui prévaut généralement dans les Etats
défaillants où l'armée et la police nationale sont
transformées en instruments de répression, la création
d'un État de droit dans les Etats défaillants doit
nécessairement passer par la subordination des forces de l'ordre
à l'autorité civile et par la limitation de leur rôle quant
au maintien de la sécurité intérieure. Dans ce domaine,
l'objectif du projet de reconstruction des Etats défaillants est de
transformer l'armée et la police nationale, considérées
autrefois comme des éléments déstabilisateurs de la paix,
en de véritables garants et promoteurs de la paix. L'action
internationale en vue de la restructuration des forces de l'ordre des Etats
défaillants doit d'une part permettre la rationalisation232
des effectifs des forces de l'ordre et, d'autre part, le renforcement des
capacités opérationnelles et professionnelles de celles-ci.
Pour ce qui est de la restructuration des forces
armées, l'action de la communauté internationale en Centrafrique
et au Congo permet de saisir la portée des réformes accomplies
dans ce domaine. En Centrafrique, il faudrait observer que le projet de
restructuration des forces armées a été incorporé
au mandat de la Mission des Nations Unies en République Centrafricaine
(MINURCA) par la résolution 1182 (1998). En vertu de cette
résolution, la MINURCA devait conseiller et fournir une assistance
technique en vue de la restructuration des forces de sécurité du
pays233. Dans ce cadre, la MINURCA, avec le concours des
autorités nationales, a permis l'élaboration de quatre projets de
lois visant à préciser le rôle de chacune des composantes
de l'armée nationale dans le maintien de la sécurité et la
défense nationale ; mission qui était dévolue à un
conseil suprême de défense nationale et de la gestion des crises.
En outre la MINURCA a aussi contribué à la formation des cadres
de l'armée nationale du
231 A/C.5/59/31, Note du secrétaire
général sur les aspects administratifs et budgétaires du
financement des opérations de maintien de la paix, 24 mai 2005
232 Cette rationalisation peut se faire soit
par l'augmentation des effectifs souvent insignifiants des forces de l'ordre
soit par la réduction des effectifs de ces dernières.
233 S/RES/1182 du 14 juillet 1998, §9.
67
Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
pays afin de rendre plus efficaces l'administration et la
gestion des forces armées centrafricaines234.
Pour ce qui est de la République Démocratique du
Congo, la Mission de l'Organisation des Nations Unies au Congo (MONUC) a
été investie, par la résolution 1565 (2004) du mandat,
d'une mission de conseil aux autorités nationales afin de mener à
bien « la réforme du secteur de la sécurité, y
compris l'intégration des forces de défense nationale et de
sécurité intérieure (...) en s'assurant de leur
caractère démocratique et pleinement respectueux des droits de
l'homme et des libertés fondamentales »235. Ainsi,
d'après le rapport du secrétaire général Kofi
Annan, l'assistance de la MONUC a permis la réduction de l'effectif des
Forces Armées de la République Démocratique du Congo, la
formation des éléments intégrés dans la nouvelle
armée constituée et leur entrainement236. Il
conviendrait aussi de souligner le rôle de la MONUC dans la supervision
de l'assistance apportée par les autres partenaires dans la
restructuration des forces armées congolaises. On peut citer pour
exemple, la mission EUSEC - RD. CONGO237 déployée par
l'Union Européenne afin d'accompagner les réformes du secteur de
la sécurité en République Démocratique du
Congo238.
La reconstruction des forces de l'ordre des Etats
défaillants doit permettre de mettre sur pied des structures efficaces
dans le maintien de l'ordre civil afin de créer un véritable
climat de paix et de sécurité au plus près de la
population. A ce titre, dans son rapport de 2006 sur la situation en
Haïti, l'ancien secrétaire général de l'ONU
considère que la mise en place d'une police professionnelle et efficace
constitue une condition préalable et indispensable à la
création d'un tel environnement favorable à une paix
durable239. Dans les opérations de reconstruction des Etats
défaillants, la restructuration de la police nationale de ces Etats est
dévolue aux Observateurs de police civile des Nations Unies dont la
mission, selon le Rapport Brahimi, consiste non seulement à
recenser les abus et autres comportements inacceptables mais doit avant tout
impliquer la réforme et la réorganisation des forces de police
locales240. Dans la même dynamique que celle de la
restructuration des forces armées, le conseil de sécurité
va intégrer au mandat des forces internationales déployées
dans les Etats défaillants en vue de leur reconstruction, la mission de
renforcement des capacités opérationnelles et des
compétences professionnelles des forces de police. C'est ainsi que
l'Opération des Nations Unies au Burundi (ONUB) est investie par la
résolution 1545 (2004) de la mission de mener à bien des
réformes institutionnelles ainsi que de la constitution des forces
intégrées de sécurité intérieure, en
particulier la formation et la supervision de la police, en s'assurant de leur
caractère démocratique et pleinement respectueux des droits de
l'homme et des libertés
234 S/1999/788, 7ème
rapport du secrétaire général sur la mission des Nations
Unies en République Centrafricaine, 15 juillet 1999.
235 S/RES/1565 du 1er octobre 2004,
§7, b)
236 S/2004/251, Quinzième rapport du
secrétaire général sur la Mission de l'Organisation des
Nations Unies en République Démocratique du Congo, 25 mars
2004.
237 Mission mise en place à la demande
du gouvernement de la République Démocratique du Congo par la
Décision 2010/565/PESC publiée au Journal officiel de l'Union
Européenne du 21 septembre 2010.
238 S/RES/1693 du 30 juin 2006, §5.
239 S/2006/60, Rapport du secrétaire
général sur la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en
Haïti, 2 février 2006, §65.
240 A/55/305 - S/2000/809, Rapport du Groupe
d'étude sur les opérations de paix de l'Organisation des Nations
Unies du 21 août 2000, §39.
68
Réflexions sur le concept d'Etats défaillants
en droit international
fondamentales241. Dans cette même optique, le
conseil de sécurité a également chargé la Mission
des Nations Unies au Timor Oriental (MANUTO), établie en 2002 en
remplacement de l'Autorité Transitoire des Nations Unies au Timor
Oriental (ATNUTO), du mandat d'assurer le maintien de l'ordre et de la
sécurité publique et d'aider à la mise en place du Service
de police du Timor Oriental, nouvel organisme chargé du maintien de
l'ordre public dans le pays242.
Ainsi, dans plusieurs autres Etats défaillants, la
reconstruction des forces de l'ordre s'est effectuée à travers la
rationalisation des effectifs mais surtout par le renforcement des
capacités opérationnelles des éléments de
l'armée et de la police nationales. Dans la reconstruction des Etats
défaillants, ces réformes du secteur de la sécurité
doivent préparer le terrain à d'autres réformes visant
à asseoir l'autorité politique de l'État à
reconstruire et à faciliter de cette manière son
développement économique et social.
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