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Les reporters photographes professionnels du Sénégal. Une corporation sous-valorisée.

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par Amadou BA
CESTI-Université Cheikh Anta Diop - Maîtrise Sciences et Techniques Information et Communication 2011
  

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Chapitre 2 :

APPARITION DES PREMIERS PHOTOGRAPHES SENEGALAIS ET DES STUDIOS.

Ouvert à Saint-Louis par un Européen, c'est en 1860 qu'apparaît le premier studio - de daguerréotypie - du Sénégal. Mais, comme le note Antoine Freitas, « ce ne sera réellement qu'au début du XXe siècle que les premiers photographes africains auront une pratique privée puis installeront quasiment dans toutes les capitales et grandes villes d'Afrique, leurs propres studios, après avoir côtoyé, souvent comme employés, les studios européens installés sur place ou après un service militaire dans les armées coloniales. »55(*)

Le Sénégal n'échappe pas à ce phénomène. Il a donc fallu attendre près d'un siècle plus tard pour voir le premier studio tenu par un Sénégalais. Dans les années 1940 Mama Casset, le photographe lé plus populaire du pays, installe à la Médina, à Dakar, African Photo.56(*) Si Mama Casset est le premier praticien du pays à ouvrir un studio,57(*) Meïssa Gaye est par contre le premier photographe du Sénégal, sinon de l'Afrique.58(*) Originaire de Saint-Louis comme Mama Casset, Meïssa Gaye ouvre son studio, Tropical Photo, dans la partie nord de l'île en 1945.59(*) D'autres pionniers suivront.

Portraitistes de renom, ce sont ces précurseurs de la photographie au Sénégal et leurs congénères dont nous présentons les profils dans la première section de ce chapitre. A leur suite, apparaitront d'autres photographes talentueux, nés dans les années 1950 et 1960, qui suivront les traces de leurs illustres prédécesseurs.

Section 1 : Les précurseurs et l'âge d'or des studios

La photographie sénégalaise a vécu ses moments les plus fastes avec ses précurseurs. Dans leurs studios, la maîtrise technique dont ces photographes ont fait montre et leur passion ont permis une plus large diffusion de la photographie au sein de la société.

A/ Les précurseurs

Fils unique d'une famille de commerçants, Meïssa Gaye (1892-1993), né à Coyah en Guinée, fréquente l'école coranique comme les jeunes Saint-Louisiens de son âge, puis l'école des missionnaires catholiques de Ploërmel, quand ses parents reviennent s'installer à Saint-Louis. Il y décroche son certificat d'études.60(*)

En 1910, Meïssa Gaye a 18 ans lorsqu'il part au Congo comme apprenti menuisier sur des chantiers de construction de bateaux et de ponts. Là, il fait une rencontre qui bouleversera sa vie. Sur le chantier, il se lie d'amitié avec un Européen équipé d'un appareil à plaques, qui lui en apprend le maniement, la technique de développement, et finit par le lui vendre avant son retour en France en 1913.61(*)

C'est en 1923, à son retour à Dakar, après un passage dans la douane, en Guinée, que la photographie devient véritablement un second métier pour Meïssa Gaye. Il prend un poste dans l'administration, à la Délégation de Dakar, et pendant son temps libre, il fabrique lui-même son appareil photo Diony-Diony (« Ici-et-Maintenant ») et va faire des photos de maison en maison.62(*) Par ce procédé, Meïssa Gaye inaugure la pratique de la photographie ambulatoire. Quoi de plus normal pour ce photographe enthousiaste, doublé d'un globe-trotter. Toujours est-il qu'entre 1929 et 1932, il demande une disponibilité de trois ans et s'installe à Kaolack d'où il part sillonner tout le Sénégal, appareil au dos.63(*)

Du coup, Meïssa Gaye apparaît comme le premier photographe sénégalais à avoir diffusé la photographie à l'intérieur du pays. Que Meïssa Gaye se soit inspiré des trucs et astuces d'A. Le Mée, détaillés dans son ouvrage La photographie dans la navigation et aux colonies64(*) semble évident. Car, d'après Erika Nimis, « les témoignages des premiers photographes de studio ouest-africains attestent de l'utilisation de toutes ces techniques, comme celle dite de la lampe électrique, citée en maintes reprises. »65(*) En effet, dans La photographie dans la navigation et aux colonies, l'auteur, un enseigne de vaisseau, donne des tuyaux pour faire de la photo dans un environnement peu propice comme les colonies.

« Le chapitre 3, consacré à « l'installation d'un laboratoire à bord et à terre », fournit de nombreuses astuces pour organiser un laboratoire de brousse. Par exemple, il rappelle que « toute lampe électrique à incandescence peut être transformée en lanterne de laboratoire en l'enveloppant de papier et de toile rouge rubis. » (p .53) Plus loin, l'auteur décrit « le laboratoire portatif permettant d'opérer à toute heure du jour et de la nuit, en en tout lieu » (pp-56 et 57), ancêtre de la chambre photographique « à la minute ». Ces techniques importées vont améliorer les conditions de travail des photographes pionniers qui les adaptent selon leurs besoins. »66(*) Ce que fit admirablement Meïssa Gaye. Durant ses trois ans de disponibilité, il conçoit et réalise un agrandisseur pour des formats allant jusqu'au 30x40 cm.67(*) Des formats qu'il obtenait après avoir passé ses plaques dans la gigantesque chambre qu'il s'était lui-même confectionnée (125X70 cm de profondeur) et qui lui permettait d'obtenir des images de format plus important.68(*)

Homme cultivé, passionné par l'art, Meïssa Gaye était un personnage habile des mains. «  Nombre de ses photos sont colorées à la main. Il n'hésitait pas à sensibiliser des parties de tissu (chemises, foulards, cravates) pour y faire apparaître les photos désirées. »69(*) Aussi, relate Frédérique Chapuis, « après la prise de vue et le développement, il s'affirme comme un extraordinaire retoucheur. » « Mon père était un sorcier », dira à la journaliste un des fils du maître, par ailleurs son assistant, émerveillé par la maîtrise technique du père.70(*)

En 1933, Meïssa Gaye retourne dans l'administration. Après un bref séjour à Dakar, il est affecté à Ziguinchor. En 1939, il retourne à Saint-Louis où il est nommé photographe au service de l'identité judiciaire.71(*) Equipé de son Roleiflex, il photographie les défilés militaires du 14 juillet, la visite d'une personnalité venue de la Métropole, ou encore les réunions politiques locales, avant d'aller en fin d'après-midi, tirer le portrait dans les quartiers.72(*)

Lorsqu'il prend sa retraite en 1945, Meïssa Gaye s'installe à Saint-Louis où il ouvre son studio, Tropical Photo dans le quartier nord de l'île. C'est, l'un des studios les plus réputés de la ville avec celui du Martiniquais Caristan.73(*) L'écrivain sénégalais, Aminata Sow Fall, alors gamine, se rappelle de cette période faste de la photographie au Sénégal. « On se photographiait en grande tenue comme partout ailleurs, sans doute, à l'époque. On en rêvait quand on était un enfant(e) fortement impressionné(e) par les toilettes (et le parfum !) qui préparaient - avec - une effervescence inouïe - une séance chez l'un des deux photographes professionnels les plus cotés : Meïssa Gaye au quartier Nord et Karistan au quartier Sud, à quelques mètres de chez moi, sur le quai du fleuve, » relate-t-elle, nostalgique, dans un texte intitulé, Souvenir d'une photographie confisquée.74(*)

« Dans l'état actuel de nos connaissances, écrivent sa fille, Absa Gaye, et Gilles Eric Foadey, Meïssa Gaye est le premier photographe africain. » Celui que l'on ne manque pas de citer de Saint-Louis à Dakar, lorsque l'on parle de photographie, comme étant l'ancêtre, le plus ancien.  L'un de ceux qui, avec Mama Casset, dépasse la simple appropriation technique, pour faire de la photographie un projet esthétique.75(*)

Dans l'histoire de la photographie sénégalaise, Mama Casset est sans doute le praticien le plus célèbre. Né en 1908, il s'éteint en 1992 après une vie passée d'abord à Saint-Louis du Sénégal puis à Dakar. Initié à la photographie du temps de la colonisation par le Français Oscar Lataque, il sera enrôlé dans l'armée française pour réaliser des photographies aériennes.

En 1940, il installe son studio, African Photo, à la Médina, pour devenir le photographe à la mode de Dakar. Chacun voulait avoir une image -en noir et blanc- de Mama Casset. Celui-là même qui a réalisé un célèbre timbre-à-sec76(*) ; lui, le maître incontesté du portrait, créant les stéréotypes de la pose en studio, souvent repris dans la peinture et la photographie de studio sur tout le continent. Ses portraits de la bourgeoisie comme du peuple dakarois deviennent des références et inspirent toute une génération de photographes et de peintres de souwère (fixés-sous-verre), comme Bouna Médoune Sèye ou Gora M'Bengue.77(*)

De passion de jeunesse, la photographie était devenue un art pour Mama, « comme le plus grand des arts ». Mama Casset savait qu'il était artiste. Il se présentait d'ailleurs avec un nom d'artiste (son vrai nom était Kassé).  Quand il parlait de son art, il le considérait comme une technique exigeante avec ses recettes, ses trucs et sa science.78(*) « C'était un travail spécifique : retoucher des photos. Après la prise, on pouvait dévêtir quelqu'un de son boubou pour lui faire porter un costume par le travail de retouche. Salla avait embauché un Russe-on l'appelait Père Basile du fait de son grand âge. Il était très fort en retouche », se souvient Samba Diop, assistant des frères Casset (Mama et Salla).79(*)

Ayant vu le jour dans une famille aisée de Saint-Louis, Mama Casset a 12 ans lorsqu'il est confié par son père à Oscar Lataque, son ami. Mama Casset occupe le poste d'assistant de studio. En même temps qu'il fréquente Lataque, il poursuit ses études à l'école de Thionck, en même temps que de futures personnalités de la vie politique et culturelle sénégalaise comme Birago Diop.80(*)

A la fin de ses études primaires, Mama quitte Lataque et se fait embaucher par Tennequin, un autre Français qui dirige le Comptoir Photographique de l'A.O.F, à l'avenue Roume. 81(*) Dans ce studio à la mode, à Dakar, dans ces années 1930, il y croise un autre pionnier, Amadou Guèye dit « Mix » (1906 - 1994), originaire comme lui de Saint-Louis. Homme cultivé- à l'instar de nombre de précurseurs- et anticonformiste, la mise toujours impeccable, « Mix » investissait les salons et les cercles militaires et politiques de la capitale (du Sénégal depuis 1958).

Parallèlement, « Mix » avait installé son propre studio et, véritable homme du sérail, savait nouer des relations et se faire admettre dans tous les milieux. Aussi, devient-il le photographe officiel de la plupart des manifestations. Fort de cette expérience, Il est nommé en 1959 chef de la Section photo de la Fédération du Mali, puis du ministère de l'Information et des Actualités Sénégalaises. Dans les premières années de l'indépendance, il suit Senghor pas à pas. Ce qui fait d'Amadou « Mix » Guèye le premier photo-reporter africain, à en croire Frédérique Chapuis.82(*)

Même s'il s'est illustré comme photographe de studio, Mama Casset était aussi un reporter au vrai sens du terme, avec des qualités professionnelles indéniables comme en témoignent ses photos. « Pas de pathétisme, ni de tristesse mais la distance de la dignité et la proximité de l'âme », écrit Jean Loup Pivin à propos de la démarche ou du style de Casset.83(*) Cela renseigne sur le regard journalistique de Mama Casset, qui partage avec son aîné Meissa Gaye, le titre de précurseurs de la photographie sénégalaise. Frère cadet de Mama, Salla Casset (1910 - 1974) fait partie des précurseurs de la photographie au Sénégal. Grand portraitiste comme son frère, il avait installé son propre studio, Sénégal Photo dans la Médina de Dakar, après avoir fait ses armes, dans les années 1930, chez Lataque, où il avait remplacé Mama.

Parmi les précurseurs da la photographie au Sénégal figure Alioune Diouf. Né en 1910, il est d'abord secrétaire dans l'administration à Cotonou avant de devenir, de 1937 à 1942, greffier auprès d'Octave de Saint-André, le président du tribunal de Conakry, qui l'initie à la photographie et lui offre un appareil. Après 36 ans de vie professionnelle, rythmée par les affectations, les humiliations racistes, les conflits, les bagarres pour un peu de dignité et de reconnaissance, Alioune Diouf, la « forte tête », se consacre entièrement à la photographie. Avec son appareil, il sillonne les villages périphériques de Saint-Louis. Ce qui n'était pour lui qu'un second métier lui permit d'arrondir sa retraite.84(*)

Doudou Diop, né en 1920, une autre figure de la photographie à Saint-Louis  était comptable dans l'armée coloniale, où il fit son apprentissage photographique. A la fin de l'année 1952, il reçoit en cadeau un appareil photographique et un agrandisseur. Comme Meïssa Gaye, il lui arrivait de retoucher délicatement ses images, les coloriant à la main pour pallier les limites des capacités techniques de l'appareil. Jusque dans les années 1980, Doudou Diop a réalisé les portraits de ses clients Saint-Louisiens. Equipé d'un Rolleiflex puis d'un Yashica, il avait installé son studio, Studio Diop, dans le quartier de Sor.85(*)

Dans ce faubourg de la capitale de l'Afrique occidentale française, un autre studio, Doro Sor Photo est ouvert en 1953 par Doro Sy. Né dans les années 1920, il est initié à la photographie en 1950 lors d'un stage à Paris où il poursuivait ses études.  A son retour à Saint-Louis, il installa son studio. Doro Sy réalisait non seulement des portraits devant le légendaire cocotier qu'un ami Nigérien lui avait peint, mais aussi de nombreux reportages : il était le photographe attitré de la ligue de football du Fleuve et exécutait par ailleurs, pour le compte du tribunal, des photographies de reconstitution de délits et de meurtres. « Mais c'est grâce au très joli décor avec le cocotier, que Doro Sy, se fit connaître », note Frédérique Chapuis.86(*)

Adama Sylla quant à lui, aimait les images de paysages, mais bien plus qu'un simple décor peint sur le mur d'un studio. A telle enseigne que, « pour lui, et pour lui seul, il photographiait des paysages (fait rare chez les photographes africains), ou son quartier en continuelle transformation. »87(*) Né en 1934, il a été initié à la photographie en 1957 à la Maison des Jeunes de Saint-Louis. En 1963, il est embauché comme photographe pour s'occuper du laboratoire du Musée de l'IFAN de Saint-Louis. Deux ans plus tard, il ouvre son studio à Guet-Ndar. Les affaires marchent bien dans ce riche quartier de pêcheurs, coincé entre le fleuve et l'océan. Les jours de fête ou après le retour d'une saison en mer, on vient se faire photographier dans le studio d'Adama Sylla.88(*)

* 55 A. Freitas, « Afrique des dieux, Afrique des hommes » (RDC), in : Anthologie de la photographie africaine et de la diaspora de 1840 à nos jours. Op. cit., p. 27.

* 56 Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, op. cit., pp. 7-8.

* 57 ID., op. cit, p. 11.

* 58 ID., op. cit, p. 68.

* 59 ID., op. cit, p. 69.

* 60 F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », op. cit., p. 49.

* 61 ID., op. cit, p. 51 ; Voir aussi Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique. Op.cit., p. 67.

* 62 Voir F. Chapuis, p. 51 ; Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, p. 68.

* 63 ID, op. cit, p. 68.

* 64 Cité par E. Nimis

* 65 E. Nimis, Photographes de Bamako, op. cit., pp. 31-32.

* 66 E. Nimis, Photographes d'Afrique de l'ouest. L'expérience Yoruba, op. cit., pp. 62-63.

* 67 Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, p. 68.

* 68 F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », p. 54.

* 69 Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, p. 68.

* 70 F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », p. 52.

* 71 Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, p. 68.

* 72 Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, p. 68 ; F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », p. 56.

* 73 F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », p. 60.

* 74 A. S. Fall, « Souvenir d'une photographie confisquée », in : Anthologie de la photographie africaine et de la diaspora de 1840 à nos jours. Op. cit., p. 65.

* 75 Voir Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, p. 68 ; F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », pp. 49-60.

* 76 Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, p. 11.

* 77 ID., op. cit, p. 9.

* 78 ID., op. cit, pp. 8-9.

* 79 Entretien réalisé avec lui à Dakar le 26 mars 2010.

* 80 ID., op. cit, p. 10.

* 81 ID., op. cit, p. 10

* 82 F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », p. 54 ; Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, p. 78.

* 83 Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, p. 7.

* 84 F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », p. 58.

* 85 ID, op. cit, p. 58 ; Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, p. 90.

* 86 F. Chapuis, « Les précurseurs de Saint-Louis », p. 88 ; Mama Casset et les précurseurs de la photographie en Afrique, 1950, p. 58.

* 87 ID. Ibid, p. 60.

* 88 ID, op. cit, p. 60.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand